…Pour ne pas s’oublier

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Je regarde cette femme souriante et mystérieuse faire le tour du lit pour quitter la chambre. Je remarque à nouveau son tatouage et sa fleur de pissenlit.

– Attendez un instant, Isabelle.

– Oui ?

– Tout à l’heure, quand vous parliez de votre tatouage, vous avez dit que vous ne vouliez pas vous oublier… Qu’est-ce que vous faites pour ça ? Enfin, si ce n’est pas trop indiscret.

– Ah, ça… En fait, j’écris.

– Vous écrivez ?

– Oui, j’écris des mots, j’écris des histoires, les miennes, celles des autres, je raconte des choses, je m’évade, quoi… On en reparlera un jour si vous voulez. En attendant, bon courage et à demain, monsieur Blanchard !

– Oui, merci encore.

La porte de la chambre se referme et les mots d’Isabelle continuent de flotter dans l’air… « J’écris des histoires, les miennes, celles des autres ».

Et toi, quelle est ton histoire, Stan ? Mon histoire… Elle n’existe plus. Elle n’a peut-être jamais existé. À nouveau je sens le poids du vide incommensurable qui se plaque contre ma poitrine et qui m’oppresse.

Non, c’est pas vrai ! Je ne suis pas rien, j’existe ! Stan existe ! Je sens mon visage devenir brûlant. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Mon âme se rebelle, se révolte, perce la croute et jaillit en gerbes de colère à travers ma conscience. Elle me crie qu’elle existe ! Elle me hurle de ne jamais l’oublier, de ne jamais m’oublier !… Au bord des larmes je me sens soudain si seul, si impuissant, si misérable, sur ce lit, dans cette réalité où tout le monde m’a oublié. Je serre les poings de frustration.

Et si tu écrivais ton histoire, pour ne pas oublier, Stan ?

Quoi ? Écrire… Des mots ? C’est tout ce qu’il restera de ma vie ? De trente-huit ans d’existence ? De dizaines d’amours et d’amitiés ? De centaines de rencontres ? De milliers d’émotions ? De millions de souvenirs ? De milliards de pensées ?

Au moins il restera quelque chose quand il n’y aura plus personne pour se souvenirC’est plus que peut en dire la plupart des gens.

Je sens la colère refluer malgré moi et céder la place à la mélancolie, à la nostalgie d’une vie perdue qu’il me faudra écrire pour ne pas l’oublier. Je desserre les poings. Est-ce là, la promesse que je me fais à moi-même ? Pour moi, pour Rémi, pour Nelly, mes parents et grands-parents, mon frère, mes amis et tous les autres ? Cette pensée résonne maintenant comme une évidence. Et j’en mesure toute l’ironie quand je me souviens qu’un jour, dans cet autre monde, cet autre passé, je voulais moi aussi devenir écrivain et raconter des histoires et que je ne l’ai jamais fait…

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