Je prends ma fourchette et la glisse dans l’assiette de coquillettes archi-cuites. Certains vides sont plus simples à combler que d’autres. Je mâche la pâte molle qui se mélange au goût artificiel du jambon industriel dans ma bouche. J’ai une envie soudaine de ketchup, ce produit tellement naturel. Je sais que cela ferait rire Nelly, persuadée que je serais capable d’ingurgiter n’importe quoi avec cette purée de tomates. Est-ce que Clarisse aime le ketchup ?

Je mange. Je bois. Je donne à ce corps les nutriments basiques qu’il réclame. Je me concentre sur ces gestes, en apprenant à mieux contrôler mes mains et mes doigts. Je déchire le sachet de sucre sans en mettre partout. Je savoure le velouté du yaourt autour de ma langue et contre mon palais qui ne s’en plaignent pas.

Je repousse la tablette devant moi. J’ai envie de ne penser à rien. Je commence une série de contractions statiques du quadriceps. Je perds le compte des secondes. Je pourrais allumer la télévision. Ai-je vraiment envie de savoir ce qu’il se passe dans ce monde de fou où Steve Jobs sera peut-être le prochain président des États-Unis ? Où un mec qui s’appelle La Haine est en passe de devenir le prochain candidat de droite aux élections présidentielles ? Non. Pas encore. Je ne veux rien savoir du tout… Je pourrais écumer Friendzone, laisser un message pour « mes » amis, surfer sur Internet comme on disait « chez moi ». Non. Je sens la torpeur me gagner. Je crois que je m’assoupis. Je ne lutte pas…

Je flotte. Je dérive. Le vide a le goût du paradis. Ni chagrin, ni envie, ni chaleur, ni glace, une onde sur l’infini, à travers les galaxies… Un écho. Comme une résonnance lointaine sur le silence de l’éternité.

Que la lumière soit.

Je quitte l’infini à regret. J’ouvre les yeux. Le ciel gris d’automne se pose sur mes pupilles à travers la fenêtre. La lumière est. Je suis. Toujours Rémi.