Il faut qu’on parle
La porte. Cette fois le sourire de Clarisse apparaît dans l’entrée. Je lui souris aussi. Cette jolie fille brune, ma femme ?
– Bonsoir, mon chéri, dit-elle en se délestant d’un sac de voyage.
– Bonsoir, mon amour.
Elle s’approche de moi. Mon cœur bat la chamade. Elle me regarde et se penche pour m’embrasser, avec les deux bras autour de mon cou. Nos lèvres se touchent, glissent l’une contre l’autre. Nos bouches s’entrouvrent, nos langues se cherchent, se trouvent, se goûtent timidement et s’enroulent quelques instants. Est-ce que je l’embrassais comme ça ? Est-ce qu’elle va penser que je ne suis pas Rémi ? Mes bras se referment autour de son dos et la pressent contre moi. Parce que j’en ai envie. Parce que c’est comme ça qu’on fait avec la femme qu’on aime, non ? On la serre contre soi pour sentir son corps près du sien et se dire qu’on est deux, qu’on est heureux, n’est-ce pas, Rémi ?
Nos bouches se séparent. Notre étreinte prend fin. Je sens une chaleur irradier mon visage.
– Ça va mon cœur ? demande-t-elle en me caressant la joue, t’es brûlant, on dirait.
– Oui, ça va… Je suis juste content de te voir, la rassuré-je tant bien que mal en plongeant mes yeux dans les siens.
J’essaye de la regarder et de me sentir amoureux. Je voudrais voir son visage et sourire en retrouvant la femme qui partage ma vie, pour le meilleur et pour le pire.
Et si ça n’arrivait pas ?...
– Moi aussi, je suis contente, Rémi… Et plus encore depuis que je sais que tu seras à la maison demain soir ! En fait, j’ai appelé ta mère juste avant de partir du boulot et elle m’a dit pour demain, c’est trop bien ! Il paraît que les petits étaient à fond, commente-t-elle en retirant son manteau.
– Oui, Jules m’a demandé si on pouvait jouer à la fusée après l’école…
…Et je ne sais pas de quoi il parle, mon amour.
– Oh ça ne m’étonne pas ! Depuis que tu es… enfin depuis l’accident, il n’arrête pas de jouer avec. Il démonte des pièces, la remonte comme tu lui as montré et il se raconte des histoires. Tu sais, quand je vais le coucher, il me dit qu’il va aller chercher papa en fusée à l’hôpital, c’est trop mignon…
Clarisse a les yeux qui brillent
– Ah oui ? soufflé-je en sentant l’émotion me gagner à mon tour. J’ai hâte de sortir, tu sais. J’en ai marre d’être ici, je veux rentrer à la maison !
– Moi aussi, chéri, moi aussi…
Clarisse s’approche à nouveau pour mettre sa tête au creux de mon épaule. Est-ce qu’elle pense encore à ce qu’elle m’a « dit » avant l’accident ? Est-ce qu’elle se sent amoureuse ? Est-ce qu’elle pense toujours à cet « autre », s’il existe ? Une houle de sentiments contradictoires déferle sur la digue de ma raison.
Elle s’écarte.
– Tiens au fait, je t’ai ramené des affaires propres pour demain, dit-elle en ouvrant le sac de voyage. Un caleçon, des chaussettes… Je t’ai pris un jean et un jogging aussi… si jamais ça ne passe pas avec l’attelle.
– Merci, mon amour, c’est gentil ! Je commence aussi à en avoir marre de me balader à moitié à poil dans cette chemise d’hôpital.
– Ah ouais ? Tu dis ça pour les infirmières qui ne peuvent s’empêcher de mettre les mains sur toi, c’est ça ? réplique-t-elle avec une moue malicieuse.
Je rougis malgré moi en pensant aux mains de Sylvie entre mes jambes.
– Mais non… Heu…
– C’est bon, je plaisante, s’amuse-t-elle… Et puis, il fallait bien que quelqu’un fasse ta toilette pendant tout ce temps-là, non ? Heureusement que je vais pouvoir m’occuper de toi pour ça, maintenant, enfin… Si tu as besoin de moi, évidemment…
Le ton de sa voix laisse peu de place à l’équivoque et la perspective de cette intimité avec Clarisse me plonge dans un abîme de perplexité. Comment est-ce que Rémi s’y prenait pour… ? Je suis Rémi. Je suis son mari… Forcément, il y aura autre chose que des bisous à un moment donné… Et là, ça sera compliqué si je ne me souviens pas de « nos gestes ». Il faut que je lui parle, il faut que je lui dise.
Et je me contente de sourire.
– Sinon je t’ai pris un polo, un sweat et ta veste grise… et une écharpe aussi. Tu verras, il fait déjà super froid dehors… Pour les chaussures, j’ai mis tes Chukka dans un sac plastique, comme ça tu as tout ce qu’il faut ! Ah j’oubliais, même si ce n’est que pour un jour, je t’ai aussi mis ton déo pour demain matin.
– Merci.
Mes vêtements… Et je ne sais même pas à quoi ressemblent mes chaussures, ni ce que je mettais comme déo.
– Et puis comme tu me l’as demandé, je t’ai ramené ton ordi. Voilà, cette fois, c’est bon, dit-elle, satisfaite.
Mon ordinateur portable… Pourquoi je voulais l’ordinateur, déjà ?
Peut-être pour écrire des souvenirs, tes souvenirs, tu te rappelles ?
Non, pas maintenant ! Je suis Rémi. J’aime Clarisse, c’est ma femme et je vais lui dire…
– Clarisse…
– Tu sais, j'étais trop contente quand tu m'as dit que tu avais marché aujourd'hui.
– Heu oui, j’ai fait plusieurs fois le tour de la chambre avec la kiné, ce matin, et puis tout seul en béquilles cet après-midi, mais…
– C’est vraiment top, mon chéri ! Et pour la rééducation, ça commence quand ?
– Je ne sais pas trop, je revois la kiné demain. J’imagine que ça va se faire rapidement, mais peut-être après le week-end. Et…
– Ah oui, j’espère aussi, pour qu’on puisse profiter de toi avec les enfants, surtout qu’on va manger chez tes parents, dimanche. Ta mère te l’a dit ?
– Oui, oui, elle me l’a dit… Clarisse…
– Sinon, je pensais, pour samedi…
– Clarisse, s’il te plait !
Le sang bat contre mes tempes. Clarisse me lance un regard inquiet.
– Qu’est-ce qu’il y a, mon chéri ? demande-t-elle en s’asseyant sur le lit près de moi.
Je lui prends la main.
– Il faut qu’on parle…
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