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Je suis celui qui, à l’instant où je lis, fait revivre des personnages oubliés. Je sais que, sans Christian, ils n’existeraient pas. Bien que je m’octroie l’amitié de Christian, je ne suis pas sûr de l’avoir vraiment connu… Je ne sais pas s’il est en vie… ou s’il a vraiment vécu. Je ne sais pas si, moi-même, je suis réel ou si je suis un être fictif, un personnage de roman. Pourtant, je me rappelle bien les personnages qui ont traversé ma vie. Sylvie, l’ex-femme de Christian avec qui j’ai couché. Je crois que ce fut la cause de son divorce. Véronique, la fille du libraire. Je suis presque sûr de l’avoir rencontrée lors de la promotion du dernier livre de Christian. Hebi, la mystérieuse Japonaise qui se faufile entre les mots et entre les morts. Je me rends compte maintenant que je ne l’ai jamais vue, que j’en ai seulement entendu parler, que j’ai simplement lu son nom ici.
Ma mémoire me joue des tours sous le silence des mots. Je ne sais pas depuis combien de temps je tourne en rond dans cet appartement. Je m’assois souvent, pendant des heures, devant cette page blanche. Je n’arrive pas à écrire. Je ne sais pas si j’ai, un jour, écrit quoi que ce soit. J’ai l’impression que toute mon histoire a été écrite par quelqu’un d’autre.
À côté de moi, un exemplaire du dernier roman de Christian que j’ai trouvé sur l’une des tables de chevet de sa chambre : Les mots des morts.
Je l’ouvre une nouvelle fois. Je ne sais plus combien de fois je l’ai ainsi ouvert puis refermé en ne lisant qu’une seule page, toujours la même. Je tourne les pages jusqu’à la dédicace.
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