Hors des murs

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Citseko fut réveillé par le froid. En frissonnant, il se redressa rapidement pour se dépêcher de rallumer le feu. Il utilisa les dernières bûches en se demandant s’ils auraient de quoi en racheter d’autre dans la journée. Le jeune homme se retourna pour observer son amant endormi, enfoui sous les couvertures.

Sans bruit, il prit le vieux seau et sortit dans la rue boueuse. Un petit groupe s’était déjà rassemblé autour de la fontaine, essayant de briser la glace à coups de pierre. Patiemment, soufflant sur ses doigts gelés, Citseko attendit. Quand la glace fut brisée et que tous purent se servir, il s’avança.

-Citseko !

Le jeune homme se tourna vers l’homme qui venait de l’appeler :

-Oui, monsieur Sih ?

-Tu aurais du temps pour me donner un coup de main ?

Le garçon nota les tonneaux entassés devant la porte de la boutique. Citseko posa son seau pour courir aider l’homme à rentrer sa livraison. Quand ils eurent terminé, le boutiquier lui tendit quelques pièces :

-Tiens, merci bien. J’y aurais passé la journée sans toi.

Citseko eut un sourire gêné en refusant l’argent :

-Ce n’est pas la peine. Merci.

L’homme le força à prendre les pièces avec un regard sévère et répliquant d’une voix grave :

-Je sais que la vieille t’a viré. Vous n’avez probablement plus grand chose. Prends. Ne fait pas l’idiot.

La gêne se changea en gratitude. Citseko rangea l’argent dans sa poche et courut récupérer son seau. Prenant garde à ne pas renverser l’eau, il rentra dans la mansarde qui leur servait de maison. Sur la couche, Cyrastès n’avait pas bougé. Citseko mit de l’eau à bouillir et s’approcha de son amant pour s’assurer qu’il n’était pas malade.

Celui-ci grogna sous le contact de la main sur son front :

-T’es froid.

-Désolé. Je suis allé cherché de l’eau. Elle est sur le feu. Je vais acheter du bois.

Cyrastès ouvrit à demi les yeux, levant la tête vers lui :

-Avec quel argent ?

-Monsieur Sih m’a donné quelques pièces pour l’avoir aidé.

Le jeune homme referma les yeux et glissa sa tête sous la couverture :

-T’es le plus fort.

Citseko sourit, amusé et ressortit, un panier au bras. Il courut chez le vendeur de bois, manquant glisser deux, trois fois sur le verglas. Il aperçut la femme du vendeur et la salua de la main :

-Citseko ! Comment va Cyrastès ?

-Frigorifié.

-Il ne travaille pas aujourd’hui ?

Cirseko secoua la tête et tendit la monnaie qu’il venait de gagner :

-Il nous faudrait du bois.

Le vendeur apparut du coin de la maison pour le saluer :

-L’hiver va être rude, hein ?

Citseko hocha la tête.

-Cyrastès tient le coup ? Ce ne doit pas être facile pour un garçon d’une grande famille comme lui.

La remarque ce voulait amusante, mais le sourire de Citseko se figea. Lorsqu’il avait été chassé en dehors des murs, il avait dû attendre trois ans avant de revoir Cyrastès. Celui-ci s’était mis en tête de le rejoindre, mais il avait fallu attendre de former un nouvel héritier pour son clan avant qu’il ne puisse se libérer.

Cela faisait un an qu’ils s’étaient retrouvés. Un an que Citseko avait vu son amant décliné, peu habitué aux conditions de vie rudes et cruelles de l’autre côté des murs. Lui qui avait été élevé pour diriger un clan, vivant dans le confort et servi à toute heure, ne se retrouvait avec rien d’autre qu’un amour inutile. Citseko ne se faisait pas d’illusion, Cyrastès retournerait dans les murs, dans son clan. Il en avait le droit puisque son exclusion avait été volontaire, contrairement à Citseko. Celui-ci attendait patiemment le jour où il lui ferait part de sa décision. Il se préparait, prêt à accepter la situation avec le sourire. Il n’avait pas l’intention d’essayer de le retenir. Cyrastès avait déjà tout perdu pour lui.

On lui tendit le panier avec quelques bûches qu’il prit en remerciant du bout des lèvres. Son pas fut plus lourd qu’à l’allée. Devant la porte, Citseko inspira profondément, retrouva son sourire et entra. Il trouva Cyrastès envelopait d’une couverture devant la cheminée :

-Tu as fait fortune ?

Citseko le rejoignit, posant le panier au sol et s’assoyant à ses côtés :

-Je suis juste allé chercher du bois.

-Si tu peux te faire des sous en allant chercher de l’eau, t’aurais pu le faire en allant chercher du bois.

Citseko rit en secouant la tête :

-Malheureusement non.

Cyrastès lui sourit en l’enveloppant dans sa couverture. Il continua de sa voix légère au ton constamment enjoué :

-Regarde ça. J’ai décongelé le pain au feu de bois.

Citseko joua l’émerveillement :

-C’est incroyable.

-Et on peut presque le manger.

-Non !

-Si, je te jure.

Il arracha un bout avec quelques difficultés et le glissa dans la bouche de Citseko. Celui-ci fit semblant d’apprécier :

-C’est presque mangeable, effectivement. On devrait peut-être le laisser chauffer plus longtemps.

-Tu es un homme sage.

Il l’embrassa en se serrant contre lui, essayant d’oublier le jour où Cyrastès lui annoncerait son départ.

Ce fut le lendemain.

Citseko tapa ses chaussures sur le sol pour en dégager la neige et se crispa aussitôt en voyant Cyrastès assis sur la couche, le regard dans le vide. Citseko le connaissait trop pour ne pas savoir qu’il s’apprêtait à lui annoncer quelque chose de grave. Il entra dans la petite pièce, se tordant les mains, en se demandant s’il devait tenter d’amorcer la discussion.

-Citseko ?

L’interpellé retint un sursaut, mais se força à sourire :

-Oui, je suis rentré.

Cyrastès tendit la main, Citseko la saisit et il le tira vers lui. Citseko noua ses jambes autour de sa taille, ses bras autour de son cou, se promettant de ne pas pleurer.

-J’ai quelque chose à te dire.

Citseko écouta son coeur battre la chamade, serrant le corps qu’il ne connaissait que trop bien comme si cela pouvait le garder dans cette mansarde humide et glacée avec lui.

-Tu promets de ne pas te mettre en colère ?

Citseko ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire :

-Me suis-je jamais mis en colère ?

-Jamais. Mais c’est peut-être le jour. On n’est jamais trop prudent.

Citseko sentait les mains de Cyrastès lui caressait le dos tout en parlant. Le jeune homme parlait de son ton léger et insouciant habituel. Il avait toujours tendance à tourner autour du pot avant de dire une chose déplaisante. Citseko patienta. Il n’était pas pressé. Sous ses lèvres, il pouvait sentir la veine qui battait dans le cou de Cyrastès. Il se demanda comment il pourrait vivre sans cette veine, sans ce cou, sans ces mains, cette voix qui le protégeaient de toute tristesse et désespoir depuis si longtemps. Il se rappela de ne pas pleurer. Cyrastès avait tout donné pour son bonheur et si son bonheur à lui était maintenant dans les murs, sans lui, il lui faciliterait la tâche.

Cyrastès se décidait enfin :

-J’ai donné toutes nos économies au garde de la porte.

Citseko mit quelques secondes à réaliser ce qu’il venait de dire :

-Quoi ?

-Il m’a dit qu’il ouvrirait les portes…

Citseko se redressa, s’écartant pour pouvoir fixer son regard dans celui de Cyrastès :

-Mais tu n’as pas besoin de payer pour partir. Tu as le droit, il ne peut pas te l’interdire.

-Moi, oui, mais toi non.

Citseko crut bien avoir été assomé, incapable de réagir ou parler alors que son compagnon continuait :

-Je lui ai parlé plusieurs fois. Il m’a dit qu'avec un certain montant, il pourrait te laisser passer discrètement…

Citseko l’écoutait à peine, sidéré par sa propre bêtise. Bien sûr que Cyrastès voulait rentrer. Bien sûr qu’il ne pouvait pas vivre dans ses conditions et, bien sûr, qu’il ne pouvait pas vivre sans Citseko. Et s’il ne pouvait pas vivre ici avec Citseko, il rentrerait avec. Aussi simple que ça. Citseko éclata soudain de rire. Toutes ces années et il n’avait toujours pas compris. Cyrastès ne laissait jamais les circonstances dicter sa conduite.

-Bon, si tu ris, c’est que ça va… à moins que je ne t’ai fait définitivement péter les plombs.

Citseko se ressaisit :

-Non, je me doutais que tu voulais partir. Je n’ai pas pensé que tu essaierais de me faire passer aussi.

Cyrastès battit des paupières :

-Qu’est-ce que tu racontes comme conneries ?

Citseko était encore porté par une vague de joie et continua de sourire :

-Rien. On est ruiné du coup ?

-Au fond du trou.

Citseko n’était pas inquiet.

-Mais tu as déjà réfléchi à une solution, n’est-ce pas ?

-Bien sûr. J’ai demandé une avance à mon boulot. Je devrais travailler plus d’heures, le temps que je récupère tout.

Cela rappela à Citseko, la nouvelle qu’il avait l’intention d’annoncer en rentrant :

-Oh, j’ai réussi à trouver un travail ce matin.

Il prit le visage de Cyrastès entre ses mains pour l’embrasser :

-Tu vois. Tout ira bien.

-Je te crois.

Les cloches résonnèrent d’au-delà des murs, stoppant Citseko dans son travail. A dire vrai, tout le monde cessa toutes activités. Le glas annonçait une nouvelle des plus incroyables.

-Citseko ! Citseko !

Le jeune homme regarda Cyrastès courir vers lui, agité et impatient. Il le saisit aux épaules dès qu’il l’eut rejoint :

-Tu entends ? Tu sais ce que ça veut dire ? Le Roi est mort !

Citseko tenta de le calmer en faisant remarquer :

-Je ne crois pas que tu devrais être si heureux de cette nouvelle.

Cyrastès balaya la remarque d’un geste de la main :

-J’ai eu une idée.

Ne pouvant s’empêcher de sourire à l’énergie débordante de Cyrastès, Citseko répliqua :

-Tu as toujours des idées.

-Oui, mais là, tu vas adorer. Je vais écrire une lettre au nouveau Roi, lui demander ton pardon. Tu pourras rentrer.

-Cyrastès, je ne crois pas que ce soit si simple.

-J’expliquerai tout. Il verra que ton bannissement était ridicule.

-D’accord, mais comment tu feras passer la lettre ?

-Je paierai les gardes de la porte… encore…

Citseko secoua la tête en riant et lui prenant les mains :

-Je crois que ce serait plus sûr que tu apportes la lettre toi-même.

La joie de Cyrastès disparut d’un coup :

-Comment ça ?

-Les gardes ne laissent rien passer, tu le sais. Ils prendront l’argent et c’est tout. Si je veux pouvoir rentrer, il faut que tu plaides ma cause de l’autre côté du mur.

Le jeune homme grimaça :

-Mais si je te laisse là, tout seul, abandonné, tu vas être triste et malheureux.

Citseko pouffa :

-Tu t’es regardé ?

Cyrastès se décomposa et le prit dans ses bras en geignant :

-Je ne veux pas partir sans toi.

Citseko le serra fortement contre lui :

-Tu l’as dit. C’est notre chance. Dans les murs, tu as ton clan, tes alliés. Ils t’aideront.

Ils restèrent un long moment enlacés, en silence, puis Cyrastès posa un baiser dans son cou, sur sa joue, ses lèvres. Ils se dévisagèrent, se sourirent. Ils n’avaient pas de doute. C’était maintenant ou jamais. Cyrastès tourna les talons, courut vers la porte et Citseko savait qu’il n’arrêterait plus de courir tant qu’il ne l’aurait pas fait revenir de l’autre côté des murs.

[Si vous êtes intéressés par ces personnages, ils font partie de mon livre "L'Union du Droit de Vie" que j'ai commencé à poster sur le site ^^ C'est un livre dans lequel j'ai essayé de mettre en avant des personnages de différentes identités de genre et sexuelle (Asexuelle, non-binaire, homosexuelle, bi, cisgenre, transexuelle, pansexuelle... cependant, ce n'est pas le centre du livre qui se tourne plutôt vers un style aventure et combat)]

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