Chapitre 3
Ceux qui le catégorisent en maître du close-up ne s’en tiennent qu’aux apparences, oubliant ses soixante années d’une vie vouée à la profession. Une carrière à se produire sur les cinq continents, dans les plus grands cabarets, auprès de chefs d'État ou de stars internationales. Aussi talentueux qu’humble, « le sénior » - comme on l’appelait entre nous - était un sage. Il préparait ses numéros avec la même méticulosité pour un show à Vegas que pour une salle des fêtes en Ardèche. Malgré ses multiples tours du monde, il dénigrait toute stratégie marketing et se faire une renommée lui importait peu. Ce qui l’intéressait, c’était créer l’émerveillement, abordant l’illusionnisme comme un courant spirituel, quasiment religieux, un équilibre essentiel à notre société actuelle obnubilée par un désir de tout vouloir comprendre, expliquer, démontrer. Il voyait en cet art l’opportunité de faire croire au merveilleux, à des faits inexplicables, travaillant à la perfection des prestations minimalistes, dépouillées de tout instrument ou d’artefact afin de persuader le public qu’il s’agissait là, non pas de prestidigitation, mais de pure magie. Évidemment, il gardait tous ses secrets à l’abri des regards -même du mien - et ne jaugeait la réussite de ses shows qu'en observant les yeux de ses spectateurs, perdus ou étonnés, à travers lesquels il retrouvait l’énergie, la candeur, la spontanéité propres à l’enfance. Cette lueur d’émerveillement, quand il la percevait au début de ses représentations, était le signe qu’il avait conquis la salle. À partir de là, il pouvait tout faire.
L’attention du public était sa matière première, aussi précieuse que le tour même. Considérant qu’une part importante de mentalisme, de magnétisme ou d’hypnose pouvait l’aider dans la captation des spectateurs, il avait pratiqué tous les arts de la prestidigitation pour ensuite mieux servir son art de prédilection, le close-up.
C’est aussi en ça qu’il n’avait pas de frontière.
Je lui dois beaucoup.
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