Dernière lettre
J'ai mal . . . Si mal ! Je n'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie !
Assise sur un coussin, dans la maison des Mito, les yeux rivés sur l'autel installé en l'honneur de Naoki, je contemple en silence le cadre contenant sa photographie, entouré de cierges et de fleurs.
Dans la pièce se trouvent ses parents, ses frères, ses voisins et ses amis du club de littérature, dont Imaé. La jeune femme dissimule ses larmes derrière ses longues boucles blondes. C'est la première fois que je la revois depuis six ans, mais nous ne nous sommes pas encore adressé la moindre parole. Le temps n'est pas à de joyeuses retrouvailles . . .
Je suis juste dévastée ! Et, pourtant, je suis la seule à ne verser aucune larme. C'est tout simplement que je n'en ai plus. J'ai tant pleuré hier qu'elles se sont tarries. Tout ce qu'il me reste, c'est un coeur brisé . . .
Je ne sais combien de temps je suis restée ainsi, assise en silence, le parfum des cierges et des fleurs pour seul air, et le souvenir de Naoki pour seule vision.
C'est Madame Mito qui m'a ramenée à la réalité en posant sa main sur mon épaule pour me dire :
- Mademoiselle, vous devriez rentrer à présent, il fera bientôt nuit.
Nous sommes seules dans la pièce, tous les autres visiteurs sont déjà partis.
- Oui, vous avez raison, lui dis-je en me relevant.
Je quitte la maison et me retrouve dans le jardin, baigné de la lumière orangée du crépuscule.
En tournant la tête vers ma droite, je remarque un détail auquel je n'avais pas fait attention en arrivant : dans ce coin du jardin se trouve une petite pierre, sur laquelle est gravé quelque chose.
Intriguée, je m'en approche et m'agenouille pour lire l'inscription : Aka.
Mes yeux s'écarquillent et se seraient embués de larmes si j'en avais encore à faire couler, tout simplement parce que je réalise qu'il s'agit là d'une pierre tombale. Le corps du petit chien repose sous mes pieds. Notre petit sauveur est décédé . . .
C'est alors qu'une voix retentit derrière moi :
- Mademoiselle . . .
Je me retourne pour voir Madame Mito. Je lui dis alors :
- Excusez-moi, je ne voulais pas vous importuner de ma présence, je m'en vais . . .
- Non, attendez ! Vous ne me dérangez absolument pas. Si je suis venue vous voir, c'est pour vous remettre ceci, dit-elle en me présentant une enveloppe blanche.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Je l'ignore. Comme vous pouvez le voir, je ne l'ai pas ouverte. Mon fils me l'a donnée avant-hier, en me demandant de la remettre à la personne qui se recueillera sur la tombe d'Aka. Ele est donc à vous.
- Je vous remercie. Encore toutes mes condoléances et au revoir.
Je me dirige vers le portail et quitte la propriété de la famille Mito, l'enveloppe blanche serrée contre mon coeur.
*
Assise sur le lit de ma chambre, éclairée seulement par la lueur de la pleine lune, j'ouvre d'une main tremblante l'enveloppe et en sort une feuille de papier que je déplie pour en lire le contenu :
"Ma bien-aimée Yoko,
À l'heure où tu lis cette lettre, je suis déjà parti. N'en sois pas triste, tu sais que j'ai toujours vu la mort comme une libération.
Après ton départ, j'ai poursuivi mes études. Je suis même resté au club de littérature jusqu'à la fin du lycée. J'ai obtenu mon bac avec une très bonne mention, puis j'ai entamé des études en mathématiques, dans le but de devenir professeur dans cette matière.
J'ai fait tout cela en me raccrochant à la personne qui compte le plus au monde pour moi avec toi : Aka.
Seulement, tu sais bien que les chiens vivent moins longtemps que les êtres humains. D'ailleurs, si tu lis cette lettre, c'est que tu as bien vu qu'Aka n'est plus de ce monde.
Ayant perdu les deux personnes qui comptent le plus à mes yeux, je n'avais plus rien auquel me raccrocher. Imaé, voyant que je retombais peu à peu en dépression, me disait souvent : "Ne t'inquiètes pas, Naoki, je suis sûre que Yoko reviendra bientôt.", ou encore : "Il faut que tu sois là pour elle lorsqu'elle reviendra.", mais c'était déjà trop tard, j'avais complètement perdu l'espoir de te revoir un jour.
Pourquoi est-ce que je t'ai écris cette lettre alors ? Je ne sais pas vraiment, j'en ai juste ressenti le besoin.
J'ignore si ces mots te parviendront un jour, mais quoiqu'il en soit, je veux que tu saches que je t'aime toujours aussi fort. Je t'aime tant que je n'envisage même pas la possiblité d'une vie sans toi.
Je sais que tu te reprocheras mon décès, alors saches que tu n'as pas du tout à t'en vouloir, ce n'est pas de ta faute, je suis le seul responsable de ma mort. Tu es une excellente sauveuse, c'est moi qui suis une mauvaise victime.
D'ailleurs, je me rends compte que je ne t'ai jamais remercié pour tout ce que tu as fait pour moi alors que tu es une personne incroyable ! Je tiens donc à te le dire : merci pour tout.
Une dernière chose Yoko : s'il te plait, oublie-moi et poursuis ta vie. Profite de chaque instant et de toutes les opportunités qu'elle a à t'offrir. Sois libre et heureuse, c'est tout ce que je te souhaite.
N'aie aucun regret, comme je n'en ai aucun. Enfin,si, il y a une chose que je regrette . . . Ce sont nos promesses brisées."
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