Le temps éternel 

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Pendant des années, on nous avait martelé que l'immortalité serait la solution à tous nos problèmes. Les publicités, les médecins, les chercheurs, tout le monde rêvait d’une vie sans fin. "Imaginez vivre jusqu’à 200 ans, découvrir tout ce que le monde a à offrir, voir des générations naître et mourir, accumuler la sagesse et les expériences !" Voilà ce qu’on nous disait. L’idée semblait presque paradisiaque. Une vie infinie, où chaque instant serait précieux. L’espérance de vie allait augmenter, c’était sûr, et bientôt la vieillesse ne serait plus qu’un souvenir. Qui n’avait pas envie de vivre éternellement, de repousser les limites du possible ?

Mais personne ne parlait du revers de la médaille.

Le jour où la mort a cessé d'exister, ce jour où les malades ne mouraient plus, où les vieillards n'étaient plus enterrés, où les victimes d'accidents se relevaient comme si de rien n’était, tout a changé. Au début, c'était un miracle, un rêve devenu réalité. Les gens ont célébré cette nouvelle ère de vie éternelle. Le monde semblait plus jeune, plus plein d’espoir, plus… infini. Mais ce qu’on n’avait pas anticipé, c’était que vivre éternellement n'était pas un cadeau, c'était une malédiction déguisée.

Les gens se sont installés dans une routine, d’abord discrète, puis de plus en plus marquée. Puisque la mort n’arrivait plus, il n’y avait plus de raison de se dépêcher. Les jeunes restaient chez leurs parents, ni pressés de commencer une carrière ni de trouver leur voie. "J’ai tout le temps", pensaient-ils. Et ce "temps", il était illimité. Les personnes âgées, qui avaient vécu des vies remplies de souvenirs et de regrets, se retrouvaient à revivre cette éternité d’années. Ils ne vieillissaient plus, mais leurs corps étaient usés, marqués par des siècles d’existence. Ils ne mouraient pas, mais ils n’étaient plus vraiment vivants non plus. Tout devenait une répétition sans fin de leurs jours passés, une lassitude qui ne pouvait être balayée par aucune nouveauté.

La société, au lieu d'évoluer, s'était figée. Le temps semblait s'étirer, interminable, jusqu'à ce qu’il perde toute valeur. Les gens se sont mis à errer sans but, perdus dans des distractions infinies. L’histoire de l’humanité n’avançait plus, tout restait en suspens. Les aspirations, les rêves, les ambitions se sont effrités. Pourquoi se battre pour un avenir quand il n'y a plus d’avenir ? Pourquoi accomplir des choses, ou même se lever le matin, si la fin de tout cela n'est qu'une illusion lointaine ?

Mais le plus terrible, c'était la souffrance, qui, elle aussi, devenait éternelle. Les maladies qui autrefois emportaient les gens dans la tombe, le cancer, les infections, les accidents de voiture, étaient désormais des maux sans fin. Ceux qui souffraient d’une maladie incurable n’étaient plus guéris, mais simplement condamnés à vivre avec, à endurer leurs douleurs pendant une éternité sans répit. Le cancer qui dévorait autrefois les corps en quelques mois, à présent, rongeait lentement pendant des années, des décennies, sans jamais causer la mort. Les malades souffraient éternellement, leur corps ne mourant jamais, mais leur âme et leur esprit se consument peu à peu dans une agonie qui ne finissait jamais. Ils restaient piégés dans leurs corps déformés, incapables de mourir mais aussi incapables de vivre vraiment.

Les gens ont commencé à comprendre, un peu tard, que l'immortalité n’était pas ce qu’on leur avait vendu. En fait, c’était tout le contraire. Vivre éternellement, c’était vivre dans l’attente de quelque chose qui ne viendrait jamais. C’était s’enliser dans un monde qui ne changeait pas, où rien ne finissait et où rien ne commençait. Les rêves n’avaient plus de sens, les relations se dégradaient, les vies se perdaient dans une boucle sans fin de procrastination et de frustrations.

La Terre, déjà surpeuplée avant que la mort n'arrête de frapper, commença à crouler sous le poids de cette éternité. Les ressources naturelles s’épuisèrent lentement, les villes devinrent des labyrinthes de béton où l’on se croisait sans se regarder. Tout le monde était là, mais personne ne vivait vraiment. Il y avait toujours trop de gens, mais jamais assez de place pour respirer.

Le monde se vida de sa substance. Il devenait difficile de distinguer les vivants des morts-vivants. Les gens se réfugiaient dans des paradis artificiels, dans des espaces où l’on pouvait oublier la réalité, se perdre dans des distractions qui n’avaient plus de fin. Les divertissements étaient devenus la seule échappatoire. Les séries interminables, les jeux vidéos sans fin, les fêtes qui n'en finissaient jamais. Tout était devenu une manière d'éviter d'affronter la réalité de cette existence sans fin.

Les scientifiques, qui avaient été les premiers à se réjouir de la disparition de la mort, commencèrent à se poser des questions. Pourquoi la vie n’était-elle plus aussi précieuse qu’avant ? Pourquoi les gens ne créaient-ils plus rien ? Pourquoi l’humanité semblait-elle s’effacer dans l’ennui ? La réponse était simple : sans la mort, l’urgence de vivre disparaissait. Et sans urgence, la vie devenait une lente agonie, sans but ni direction.

Les politiciens se réunirent pour trouver une solution, mais il était déjà trop tard. La terre était saturée, les âmes étaient perdues. L'immortalité, ce rêve qu'on nous avait vendu comme une bénédiction, était devenue la plus grande malédiction de l'humanité. Et dans les regards vides des immortels, on pouvait voir un seul désir : que la mort, enfin, vienne les chercher.

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