Babette
03 mai 1952
Saint Justin
J'ai pas l'temps ! Pas l'temps pour toi et toutes ces foutaises ! Encore un truc de bonne femme, tout ça ! Des fleurs et des pralines ! Comme si j'pouvais te donner ça... On n'est pas comme ça, nous ! C'est pas pour nous, tout ça ! Les fleurs et les ronds de jambes. C'est pour tous les bourgeois que tu aimes dans tes foutus livres... Qui s'disent qu'ils s'aiment ou, mieux, qui l'chantent ! Non mais vraiment...
J'vais pas m'amuser à ça avec toi, ne compte pas d'ssus. J'suis pas du genre à conter fleurette aux minettes qui aiment se faire désirer. Ça m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est la vie. Notre vie, j'veux dire. La seule chose que j'peux te dire, c'est qu'j'aime bien quand j'te vois le matin préparer ma gamelle pour le boulot. J'pense à toi, comme ça et j'me dis que j'ai bien d'la chance. Et aussi quand j'me lève le matin, ça sent l'café dans toute la maison.
Ça sent toi, ma Babette. Pour moi, l'odeur du café, c'est l'vrai parfum d'une femme. Et là, j'te parle de toi, ma 'bette. Pas d'la gamine du boulanger qui sait pas aligner trois mots. L'odeur du café, pour moi, c'est la plus belle robe que tu puisses porter. Aussi belle que ta robe de mariée. Tu t'souviens ? Tu l'avais faite toi-même avec les moyens qu'on avait. Elle était toute simple et j't'ai trouvée sacrément jolie dedans !
Tu t'souviens ? Tu avais laissé tes cheveux libres et j't'avais cueilli des fleurs dans l'champ du Père Albert pour faire ton bouquet. Quand j'te l'ai montré, tu m'as presque fait tomber en m'prenant dans tes bras tell'ment tu étais contente ! Tu t'souviens, dis, ma 'bette ? Tu voulais pas d'bague. Tu disais qu'on avait autre chose à faire parce qu'on était déjà tous les deux et qu'ça t'allait bien comme ça. Alors, l'odeur de mon café du matin, c'est dev'nu un peu ta robe de mariée de tous les jours.
Quand j'pars au boulot, et que j'rentre un peu plus tard que d'habitude parce qu'André veut s'en j'ter un p'tit avec moi pour arrêter d'penser à sa vie, j'te ramène toujours un p'tit quelque chose que tu pourras nous cuisiner. C'est comme les fleurs pour tes ch'veux qu'j'avais oubliées d'cueillir. Et quand tu nous prépares quelque chose avec tout c'que j'te ramène, c'est comme si tu en rajoutais une, de fleur, à chaque fois dans tes cheveux.
Et y en aura jamais trop pour moi. Quand tu t'occupes de notre p'tite maison, c'est comme si tu m'env'loppais le coeur de coton. Ça fait du bien. Y a qu'toi qui sait faire ça, c'est sûr ! Moi, j'vais pas t'faire de la poésie ou t'chanter une chanson d'amour en collants. J'te dis juste que j'ai toujours envie de rentrer l'soir pour te voir, ma Babette. C'est pas comme André qui est tout seul maint'nant.
Lui, il pleure sa vie. Et j'ai vraiment pas envie qu'il y passe. Il est comme moi, André. Il sait pas faire autre chose que d'aller bosser et d'rentrer chez lui faire c'qu'il a à faire. Il sait pas les mots d'amour que tu lis dans tous tes bouquins. On est pareils, lui et moi. C'est pas qu'on veut pas. C'est juste qu'on sait pas comment faire. Alors on fait avec les moyens du bord. Et moi, quand j'te ramène de quoi nous préparer quelque chose, c'est comme si j'te disais toutes les belles phrases que tu aimes lire.
J'ai toujours été comme ça. Et tu as toujours aimé ça. Ma p'tite vie avec ma p'tite Babette qui fait comme de la magie pour rajouter une fleur tous les jours dans ses ch'veux et un bout d'coton sur mon coeur. C'est ça qu'j'aime. Pas toi, dis ? Alors, ma 'bette, si tu es d'accord pour continuer à faire d'la magie avec ta robe de mariée-café dans notre p'tite maison, ça m'ira bien comme ça.
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