Le Dernier Épique
De cette matrice bondée, brillante et brûlante, je nais. Je suis véloce, incroyablement véloce. Le temps s'envole à mes côtés, mais je ne m'en soucie pas, car je ne sais pas m'inquiéter. Je suis libre et limitée. Je ne suis que moi-même. Je suis une particule.
Je suis propulsée au bout de l'univers, qui est aussi en son centre. Il n'est pas encore grand ; un jour, il le sera. Un jour, il sera si grand que la grandeur aura perdu son sens. Pour le moment, les miens se blottissent et forment de petits monticules. Ou bien ils s'écrasent les uns contre les autres, menant de terribles guerres qui ne durent qu'un instant et meurent en un flash.
Moi, je vacille et je louvoie, je vole, je voyage et je voltige, pendant des centaines de milliers de vos années. C'est vrai. Je suis un nouveau-né, tout comme l'univers, et, dans un espace de temps qui verrait naître et mourir mille milliers des vôtres, je me contente de me promener. Et je ne m'en soucie pas, car je ne sais pas m'inquiéter. Je suis libre et limitée.
Quelque chose pousse et tout pousse, et lentement, très lentement, notre tout chaud et dense se refroidit légèrement. Je vois les miens se rapprocher, rassemblés par quelque attraction. Je serai piégée aussi, ou peut-être que je ne le serai pas. Tandis que les miens s'assemblent, ils courbent le tout lui-même, piégeant de plus en plus des uns et des autres. Ils s’agrègent et forment des structures massives, des cathédrales d'énergie. Je m'abîme dans l'une d'elles. Une brillante, bouillante et brûlante. Nous sommes fermement tassés. Résolument compactés. Mais rien de comparable à ce qui précédait notre naissance. Nous pouvons toujours nous échapper. Et nous nous échapperons. Lentement. Il pourrait s'écouler des éons avant notre évasion, mais nous nous échapperons.
Pendant des millions d'années, je glisse et je sprinte, je serpente et je course, je sillonne, me presse et sinue dans une dense soupe incandescente. Je suis nerveuse, je suis agitée. J'essaie de m'enfuir, mais les miens me font barrage. Piégée dans le labyrinthe de mes semblables, j'attends mon heure. Je zigue et je zague au cœur d'une fournaise, au cœur de la lumière elle-même, pendant que des mondes entiers naissent et meurent. Un jour je m'échappe, et rien n'est plus pareil. Je passe ma prison de lumière en traçant, je trace dans l'obscurité. C'est nouveau, l'obscurité. Et je trace dans le froid. C'est nouveau aussi. Je vois les miens scintiller au loin. M’appeler, peut-être. Je m'élance vers eux. Ou j'essaie, mais le tout s'étire vertigineusement entre nous. Le tout me dit que je ne les atteindrai jamais ; jamais plus. Je n'ai d'autre choix que d'aller de l'avant, tout droit. Je suis libre, mais je suis limitée.
Et je file à toute vitesse devant les fournaises flamboyantes, et je file devant les mondes qui les entourent, et je file devant les splendides spirales ensoleillées, et ce pourrait vous paraître une éternité, à vous et vos courtes vies, mais il ne s'écoule pour moi que des instants, parce que je suis véloce, incroyablement véloce. Et le tout continue de tout repousser, et bientôt les splendides spirales deviennent des îles, et les fournaises flamboyantes ne flamboient plus si bien, et rouge devient le tout.
Les fournaises flamboyantes se meurent. Certaines explosent et envoient les miens s'envoler dans l'immensité du tout, d'autres soupirent et s'estompent. Toutes meurent. Même les petites rouges. Même les petites brunes.
Quand je regarde autour de moi, seuls les lourds vortex subsistent. Eux seuls persistent à lancer les miens dans le tout froid et vide. Mais le tout est devenu si vaste que nous ne nous croiseront plus jamais. Jamais plus. Parce que maintenant est à l'heure de la grande mort. Et elle durera plus que toutes vos vies combinées, et bien plus que toutes vos pensées peuvent se l'imaginer. Mais ils ne s'écoule pour moi qu'un court laps de temps, parce que je suis véloce, incroyablement véloce.
J'ai pourtant l'impression d'avoir ralenti, dans ce vide froid et extensible. Je suis aussi véloce que je l'ai toujours été, mais tout détale si vite autour de moi que je commence à croire en ma lenteur. Mais je ne suis pas lente, le tout est seulement trop rapide. Il fonce vers sa mort. Peut-être qu'il la désire. Je ne m'en soucie pas, car je ne sais pas m'inquiéter. Les lourds vortex exhalent. Les lourds vortex expirent à leur tour. Et je me sens me dissiper. Et je cesse d'être véloce.
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