Un matin comme les autres...
J'ai un rituel. Tous les matins, je m'extirpe bon an mal an d'un sommeil tout aussi perturbé que peu réparateur. Je suis épuisée par ces rêves troublants, toujours les mêmes, mais je dois me faire violence, ma seconde journée commence.
Je me dirige vers la salle de bains comme un somnambule, le visage encore tout barbouillé des songes de la veille, les yeux mi-clos, le pas encore mal assuré. Il en faudrait peu pour faire dérailler ma démarche d'automate en proie à un état éthylique. Même le chat Oscar ne se risquerait pas à me barrer le chemin. Au contraire, il semble m'ouvrir la voie chaque matin. Oscar est mon plus fidèle compagnon, nous cohabitons tous les deux depuis des années maintenant et avons développé un lien presque télépathique.
Je chasse peu à peu ces images, ces voix sous une cataracte d'eau glacée qui me transit le corps, offrant une nouvelle page blanche à mon esprit purifié et prêt à affronter une nouvelle journée. La cafetière italienne siffle comme un train annonçant son entrée en gare. Je verse le nectar couleur réglisse qui laisse s'épanouir mille fragrances aromatiques. J'avale d'un trait, machinalement, la dose de dopamine qui ne tarde pas à ranimer les pulsations de mon coeur dans un emballement anarchique de vielle micheline remise en fonction.
J'enfile les premiers vêtements qui me tombent sous la main, peigne mes cheveux ébouriffés du bout des doigts et les rassemble au-dessus de mon visage improvisant un chignon négligé. Je suis prête, un tour de clé et j'enjambe mon fidèle destrier, un vieux vélo Mercier vert bouteille, chiné sur un marché à Saint Aubin. La ville sort de sa torpeur elle aussi au fur et à mesure de ma progression le long de la Garonne. L'air et encore frais.
Je suis maëuticienne dans une clinique. J'accompagne, je rassure, j'accueille et je prends soin des premiers instants de vie. Je contribue à chaque miracle comme s'il était le renouvellement d'un nouvel espoir dans une explosion d'appréhensions, dans le sang, la douleur, les cris et une myriade d'émotions ineffables et confuses.
L'on dit souvent que les cordonniers sont les plus mal chaussés, je n'ai jamais donné la vie et l'on m'appelle pourtant sage-femme. J'ai peut-être la présomption de penser que j'ai choisi d'être une mère universelle, la mère des mères et de leurs enfants.
Aujourd'hui à la clinique, un grain s'est coincé dans le rouage. Patricia était sur le point d'accoucher quand tout a déraillé, très vite...
La nuit précédente j'avais fait un de ces rêves qui m'annoncent bien souvent de troublantes prédictions. Ces images étaient si confuses que je n'ai pas compris la nature de leurs augures...
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