Le manifeste avorté

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Moi aussi parfois je marche sur le sol noir, j’écoute ses explosions et ses cris : mes pieds nus fatigués, mon regard rond voulant aller au-delà de la foule : je veux revivre mes premières libertés, ou dans ce théâtre médiocre, nous avons brisé nos premières tables - nous avons brisé leurs vieilles tables.

Il y a une reine ici, c’est l’universel des villes, leur éternel retour, la vulgaire ignorance de l'innocence servile : nous l’avons défié - et toi aussi - par un livre parmi la masse, par un sourire dans la machine ou par une promesse à l’avenir. Il n’y avait rien pourtant là-dedans, mais nous avons appris le symbolisme, la langue du monde : pour nos frères inconnus nous voyant, ce fus une beauté simple et réconfortante.

C’est là, dans nos villes, où l’on a désirer être médecin pour tous ceux là prisonnier d’eux-même : où l’on a été souffrance pour les consommants et poésie pour les impies. Où nous avons découvert que la morale n’était que le rien du monde, où notre route, longue et sinueuse vers les montagnes, ne sera jamais abandonné : car nous le savions dès lors, par nos sourires d’enfants à la décadence : nous étions condamnés à surmonter.

Oui, nous sommes condamnés à quitter nos souvenirs, à perpétuer le mouvement par une force solitaire : on ne vole pas impunément au spectacle de tel instant de liberté, cela est en trop, nous voilà bannis. Bannis de ces terres stériles de noblesse, stériles de puissance, de mollesse, bannis ces terres qui ne peuvent nourrir que l’acteur : nous étions affamés par le doute et les disonances.

Nous aspirons aux beaux, au sans-mots : nous voulons danser par jour de pluie et détruire leurs raison-roi, nous voulons une vertu pour contempler le froid et bâtir de doux abris.
Nous voulons, nous espérons, au-delà des mensonges et des peurs, à comprendre les forces et détruire l’impersonnels : elles qui ont construits le peuple des consommants. Nous voulons nous émanciper de tout ce qui est étranger, devenir de fière enfant de la terre, hors de tout modèle de construction : car nous ne serons jamais un peuple - nous sommes trop impies pour cela.

Nous n’avons pas peur : nous sommes des briseurs : tant que persiste le doute et la fuite, il y aura toujours de terribles insatisfactions, cette vieille odeur d’irréelle. Notre chemin ne pardonne pas les faiblesses, voilà d'où vient notre besoin de force : pour cela, nous affrontons les profondeurs, nous acceptons le dictate des affres. Oui, plus que tout autre nous avons appris à bien souffrir, jusqu'à la mort sans s’accorder nul répit : car seule la vérité est assassine, et nous nous offrons à elle, totalement.

Chaque soir, nous mourrons, pour devenir un autre chaque matin - un autre toujours plus proche de nous-même. Ainsi nous guide notre étoile : comment l’appeler autrement que - surhumain ?

Alors, toujours, dans les villes, dans les grandes mouvances de mon âme, je marche les pieds nus, sur le sol noir : ma solitude m’élève et je contemple ce spectacle de ceux qui fut hier mon sens. J’aime la ville, car j’y prends de la hauteur : jamais je ne grandis tant qu’à travers leurs vies à eux. Et si je ne suis pris de pitié, c’est bien parce que j’ai un avenir à protéger - j’ai toute une morale à dépasser.

J’y puise ma force avant de retourner dans mes montagnes : j’y vois mes écrits y trainer sur un bureau depuis trop de temps déjà : les cimes me tendent de belles promesses. Elles me chuchotent de nouveaux mots, arrives-tu à les entendre ?

Je crois qu’il manque une oeuvre à mes oreilles, encore une souffrance, un dernier raffinement avant de les comprendre. Que mes hommes modernes me montrent ma voie : comme le fit ce vieil homme, une nuit étoilé, en m’adressant cette parole :

“L’homme est quelque chose qui doit être surmonté !”

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