Programme Télépathie
Vyrian aurait reconnu cette voix entre toutes, ou plutôt ces ondes télépathiques. Cela faisait des années qu’elle les informait des intempéries qui sévissaient à l’extérieur. Il lui arrivait parfois d’entendre les hurlements du vent lors de forte tempête, comme celle qui l’avait conduit à découvrir ce lieu. Sans elle ni lui, ni les siens, ne seraient à l’abri entre les murs de l’hôpital souterrain.
Le scientifique repensa avec nostalgie au souffle du vent sur sa peau, au crissement des décombres sous ses pas, aux saletés incrustées sous ses doigts. Avec les années, toutes ces choses anodines étaient devenues un symbole de liberté.
À présent, son corps était immergé dans un milieu nutritif, maintenu à basse température dans un caisson de stase. L’ensemble le protégeait des effets du temps. Le premier lui apportait les éléments essentiels à sa survie en assurant son hydratation, son oxygénation, une bonne circulation sanguine et le maintien de son tonus musculaire. Le second, quant à lui, ralentissait la dégénérescence cellulaire. Mais cette technologie, si poussée soit-elle, ne pouvait pas lutter contre le passage du temps. L’usure viendrait à bout de cette prouesse technologique et son corps serait de nouveau livré aux éléments.
Cette échéance le motivait dans ses recherches. Il se remémorait sans cesse son passé en quête d’éléments susceptibles de les aider. Mais même cela, il ne pouvait le faire librement. La stase n’était qu’un état transitoire leur offrant le sursis nécessaire à l’élaboration d’une solution de survie. Ils avaient nommé cela le « Programme Télépathie ». Ce projet innovant permettait de lier les esprits. Ensemble, ils devaient réfléchir à leur avenir et à celui de leur planète. Mais les survivants se perdirent dans leurs pensées, les partageant sans le vouloir, donnant ainsi naissance à des projections mentales. Celles-ci n’étaient autres que des scènes spectrales du passé.
Vyrian se concentra et visualisa son corps conformément aux souvenirs qu'il en avait avant de rejoindre le réseau télépathique. Son avatar se matérialisa et il observa une fois de plus sa silhouette translucide, bien loin de la peau mate de son enveloppe charnelle. Il portait les mêmes habits depuis le début du Programme Télépathie. Ses baskets élimées, son jean délavé, sa blouse déboutonnée laissant apparaître le tee-shirt que lui avait offert sa fiancée. Alors que ses lèvres s’entrouvraient pour prononcer son nom et que son visage lui revenait en mémoire, il s'empressa de le chasser, éloignant par la même occasion la tristesse qui menaçait de le submerger et se focalisa sur l’instant présent.
Mère ne l’avait encore jamais dérangé pendant ses recherches. Il avait fait sa connaissance lors de sa découverte de l’hôpital souterrain. La première fois qu’il l’avait vu, il l’avait prise pour un vieux panneau de contrôle. Mais elle s’était réactivée à son approche, lorsqu’il avait tenté de déchiffrer ses initiales : « A2NC ». Il avait depuis appris qu’il s’agissait d’une Assistance Artificielle Neuro-Connectée. Le scientifique avait éprouvé un mélange de curiosité et de méfiance à son égard.
Aujourd'hui encore, il ne savait que peu de choses à son sujet : construite au début de la seconde grande guerre, elle avait été abandonnée dès la fin du conflit. Hormis ces informations et son nom issu d’un vieux film dont il ne parvenait pas à se souvenir, il ne savait rien d’elle.
Lors de leur installation, elle avait bien sûr suscité la méfiance des siens, mais en raison de ces capacités elle fut bien vite acceptée. En plus de les informer des conditions climatiques, elle veillait également à leur survie, surveillait leurs constantes vitales et leur état psychologique. C’était elle qui avait permis aux réfugiés des guerres de survivre. Vyrian l’avait interrogé à de nombreuses reprises sur son créateur, mais n’avait eu que des réponses évasives. Il avait fini par se demander si elle-même ne l’ignorait pas.
Son avatar chercha la silhouette féminine de Mère et il la trouva flottant dans sa robe numérique, sans cesse rechargée par l’évolution de son code.
— Qu’y-a-t-il ?
— Leur en voulez-vous toujours ?
— Pardon ?
— Leur en voulez-vous toujours de vous avoir banni ? La logique voudrait qu’il vous soit reconnaissant, sans vous, ils seraient sûrement morts à l’heure actuelle.
Vyrian ne cessait d’être impressionné par sa capacité d’expression, son vocabulaire n’avait cessé de s’enrichir depuis le début du Programme Télépathie, seule son intonation restait quelque peu maladroite. Il lui arrivait par moment d’oublier à qui il s’adressait.
— L’être humain est loin d’être logique.
Un faible sourire vint étirer les lèvres de Vyrian.
— Par contre, mon bannissement l’a été. Je savais à quoi m’attendre, j’ai enfreint les règles et j’en ai payé le prix.
— Mais ne pensez-vous pas que cela a assez duré ?
— Il y a bien longtemps que j’ai perdu toute notion du temps. Et qu’importe, cette situation n’a pas que des désavantages, au moins je suis au calme. En tant que banni, je n’ai pas accès aux discussions télépathiques, mais je peux observer les imitations de leur vie passée.
— Malgré ça, seriez-vous prêt à lutter pour eux ?
— Pourquoi toutes ces questions ?
— Répondez !
La projection mentale de Vyrian se paralysa. Il ignorait les enjeux de cette conversation, mais ceux-ci devaient être importants, il n’avait jamais vu l’assistance artificielle si … autoritaire.
— Bien sûr que je le ferai, je ne plonge pas dans mes souvenirs par plaisir.
L’imitation d’expression compatissante mit mal à l’aise Vyrian, il ne souhaitait pas être pris en pitié et encore moins se rappeler de cet événement.
— Je vous ai répondu, à votre tour maintenant.
— Cela fait six ans que vous êtes en stase. Vous avez donc, trente-deux ans, vingt jours, dix heures trente minutes et deux secondes …
— Trente-deux ans …
Vyrian se répéta son âge songeur. Il s'était immaginé épouser Clana, fonder une famille, monter sa propre équipe de recherche, mais rien de tout cela ne s'était réalisé.
— Vous savez, tout peut encore arriver.
Vyrian resta silencieux. Oui, il pouvait encore se marier, avoir des enfants et une brillante carrière, mais cela ne se ferait pas aux côtés de celle qu'il avait aimé. Ce vide l'avait amené à s'interroger sur les interactions humaines et leurs impacts.
— Je peux vous poser une autre question ?
Il se redressa, surpris.
— Oui, bien sûr.
— Que pensez-vous des autres survivants ?
Il se tourna vers les silhouettes diaphanes présentes tout autour de lui. Où qu'il pose le regard, elles étaient occupées à reproduire les scènes du quotidien. Il pouvait voir une fille faire de la corde à sauter, un groupe de personnes âgées jouer aux cartes, une femme accorder sa guitare. Toutes ces scènes étaient factices et ne faisaient que fuir la réalité.
— Où voulez-vous en venir ? Que se passe-t-il ? À quoi rime cet interrogatoire ?
— Je vérifiais si vous étiez digne de vos prédécesseurs.
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