Dépaysement mythique (2)
La projection survola le village et Vyrian constata que, plus elle s'éloignait du centre, plus les rues se faisaient désertes. Les habitants semblaient avoir cessé leurs activités pour se rendre sur la grande place et profiter de la Cérémonie.
Alors qu'il appréciait le calme de la bourgade, il vit en contrebas deux retardataires remonter la rue en courant. La petite fille dans sa précipitation trébucha et tomba dans une flaque. Le garçon qui l'accompagnait se retourna et l'aida à se relever. La manche bleu ciel de l'enfant était couverte de boue. Mais, peu à peu, le tissu se dégorgea et la tache disparut. La fillette n'eut plus qu'à s'épousseter pour nettoyer ses habits.
Vyrian regarda, incrédule, la tenue qui avait retrouvé sa couleur initiale.
— Comment est-ce possible ? Elle est tombée dans la flaque, sa manche était imbibée.
— Sa robe est faite en laine de Picriin. Ces créatures sont connues pour la blancheur immaculée de leur laine et leurs propriétés auto-nettoyantes et désinfectantes. Leurs fibres sont également thermosensibles, elles se replient lors de températures froides, gardant ainsi la chaleur et se détendent par temps chaud. Ce qui en fait un matériau de prédilection pour la confection de vêtements.
— À quoi ressemblent-elles ?
La projection prit soudain de la hauteur et Mère lui indiqua les petites taches blanches qui ponctuaient l'horizon.
— Ce sont les créatures mythiques en pâture.
Vyrian les regarda paître avec attention et suivre le mouvement lorsque l'un d'eux décidait d'aller s'abreuver.
— Ce sont des moutons ?
— Ils leur ressemblent. Les Picriins font partie de la même famille que les Textys. Ces créatures ont la particularité de modifier la texture de leur corps.
— Et donc Altéryx en tant que village de dompteurs, élève ces créatures pour leur laine ?
— Oui, mais pas seulement. Le terme de dompteurs désigne des personnes capables à la fois de travailler avec la faune locale mais aussi avec une partie de la flore. Le domptage et l'élevage des créatures mythiques servent principalement à la confection de vêtements, d'enchantements, de potions et plus rarement à des fins offensives.
Chaque contrée est autosuffisante, mais en raison de la richesse spécifique des milieux, un commerce est né et se tient sur la place des quatre principaux villages. Altéryx possède des terres très fertiles, Hemyra est un village de montagne et prospère grâce aux minerais extraits de ses sols et à son gibier de montagne, Hydrios est une cité fluviale connue pour la qualité de son eau et son abondance de poissons, d’algues et d’herbes médicinales. Quant à la Confrérie des Sages, ils vivent de ce que la forêt leur offre, principalement des baies, du bois et du gibier.
Vyrian fut, une fois de plus, charmé par l'harmonie entre l'environnement et les habitants. Ils se servaient de ce que la nature leur offrait sans en abuser et parvenaient ainsi à maintenir un équilibre. L'accoutrement des mysticiens avait beau ressembler à des tenues médiévales, leurs matériaux, leur artisanat et leur mode de vie, eux étaient bien différents.
Mère s’arrêta au bout d’une rue et désigna les deux stèles qui marquaient la sortie du village.
— Ce sont des pierres de bénédiction. À sa naissance, chaque enfant est béni par le chef du village, qui lui confère ainsi la protection de ses ancêtres. Au-delà de ces stèles, cette protection est inefficace. Chaque ville possède ses propres défenses.
Mère poursuivit sa progression, dépassa les deux reliques, puis se dirigea vers un sentier bien entretenu. Après plusieurs mètres, Vyrian distingua une imposante construction.
— Où sommes-nous ?
— C'est ici que vit Dungal, le mentor de Yomi. Il exerce différents métiers, d’où la taille démesurée de son foyer. Préférant la solitude à l'animation du village, il a choisi de vivre à l’extérieur de son enceinte.
L'intelligence artificielle s'approcha de la demeure, traversa les murs et ils se retrouvèrent dans un vaste salon où d’imposantes rangées de livres tapissaient les murs du sol au plafond. Deux voix parvinrent aux oreilles de Vyrian, qui en déduisit qu'elles appartenaient à Dungal et Yomi.
L'angle de vue pivota et le biologiste découvrit une jeune femme assise sur un canapé en compagnie d'un homme âgé. Yomi, plus petite que sa sœur adoptive, avait les cheveux auburn et portait un simple pantalon de toile, complété par une chemise nouée sur le côté. Des protections qui semblaient être en cuir renforçaient ses articulations. Vyrian ne distingua aucune arme.
L'Exilée passait distraitement la main dans le pelage d'une créature allongée sur la table en face d'elle. Le biologiste l'aurait prise pour un louveteau, si une lueur ne pulsait pas de son flanc. Il voulut questionner Mère à son sujet, mais il se retint lorsque le vieil homme prit la parole et il observa la scène qui se déroulait sous ses yeux.
— Peux-tu me rappeler ce que je t’ai enseigné sur les Xealeras ?
Yomi s'éclaircit la voix et commença son énoncé. Vyrian se focalisa sur l'onglet qui venait de s'ouvrir en périphérie de son champ de vision. Une représentation du Xealeras y figurait. Les paroles de la jeune Mysticienne étaient recopiées et enregistrées dans un fichier qu'il comprit être un bestiaire.
— Ce sont des créatures d’origine mythique, les Xealeras sont couramment surnommés "créatures aux mille visages", en raison de leur comportement complexe. Une vieille croyance suggère que leur excentricité a pour seul but d’impressionner leurs adversaires. Ils ont l'apparence de canidés pourvus d'ailes ou de dard. Celle-ci dépend en partie de leur environnement. De taille variable, les plus petits individus ne dépassent pas un mètre au garrot.
Les Xealeras sont facilement reconnaissables aux glyphes parcourant leur corps. Ces marques sont spécifiques à chaque individu. Elles apparaissent lorsque la maturité magique est atteinte. Souvent représentées sous forme de spirales, des changements de couleurs permettent d'observer le flux de magie se déplacer des extrémités vers le centre. Celui-ci est plus concentré au coeur de la spirale, où la couleur associée est plus sombre. À l'opposé, les extrémités sont plus claires. Une fois le flux d’énergie parvenu au centre de la spirale, il est renvoyé en périphérie.
Il s’agit de leur source de puissance. Les glyphes servent à mesurer la qualité magique de l’animal, sa puissance et son expérience. Un symbole complexe signifie que l'individu est expérimenté. Si les couleurs sont vives, il est puissant et plus le flux magique circule rapidement, plus sa qualité est élevée.
Vyrian apprécia le récit de la jeune femme, que sa voix douce et légèrement chantante rendait agréable. Le biologiste s’appropria les descriptions des glyphes du Xealeras, qu’il baptisa « cœur magique ». Il se laissa surprendre par la suite.
— Les Xealeras ne deviennent pas pubères lors de l’adolescence, mais uniquement lorsque leurs pouvoirs se manifestent. Ce sont des créatures fidèles à vie. Habituellement, le jeune est élevé par ses deux parents. Il n’y a pas d’âge précis pour que le petit s’émancipe, cela peut très bien ne jamais se produire.
Captivé par ces découvertes, le chercheur observa le cœur magique de l'animal, appréciant sa complexité. Mais Yomi ne partageait pas son engouement. Elle se renfonça dans le canapé et soupira de lassitude.
— Dungal, à quoi ça sert, tout ça ?
— Patience. Vérifions d'abord tes connaissances.
Tout en parlant, l’homme ouvrit et tendit un livre à sa disciple. Ensemble, ils vérifièrent les acquis de la jeune femme.
— Bien. Je n'ai jamais douté de ton savoir. Cependant, je trouve que tu te reposes trop dessus. Tu ne cherches pas à comprendre ce que signifie un changement des caractéristiques de Xam. Maintenant que nous avons revu les propriétés des Xealeras, peux-tu essayer d'émettre une hypothèse sur son état ?
La jeune femme reporta son attention sur son compagnon. Le cœur magique de la créature pulsait frénétiquement. Son rythme semblait s’être accéléré. Yomi hasarda une réponse.
— Il est stressé ?
— Et par quoi pourrait-il être stressé ?
— Je ressens depuis quelque temps une étrange aura. Ça pourrait venir de là ?
Attentif aux dires de son élève, Dungal fit défiler les pages du livre jusqu’à ce que le titre "les Sanctionneurs" apparaisse. Seulement, Xam n’était pas de cet avis. Il passa sa queue sous la page et la fit tourner. Seul l'en-tête recouvert d’enluminures avait de l’importance pour Vyrian : la légende de Numyrhis.
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