Cérémonie (1)
Les deux sœurs quittèrent Altéryx en direction de l'est et pénétrèrent sous le feuillage bleu-vert de la forêt. Les arbres recouverts d'une mousse phosphorescente éclairaient le sentier ombragé, faisant office de lampadaires naturels. Après une succession de plusieurs virages, la végétation se fit moins dense et les jeunes femmes arrivèrent dans une grande prairie.
Sur l’herbe récemment fauchée, des lignes peintes délimitaient les terrains. Des estrades avaient été érigées tout autour et offraient une vue panoramique sur la Cérémonie qui se déroulerait en contrebas. Des étendards s’agitaient sous l’effet d’une brise discontinue. L'endroit rassemblait plusieurs centaines de jeunes. Tous portaient la même cape que les deux filles. Les candidats se mêlaient les uns aux autres, discutaient et riaient dans l'attente des épreuves. Les participants de tous horizons échangeaient librement et Vyrian était bien en peine d'identifier leur provenance.
— Vous m'avez parlé des quatre villages. Sont-ils loin les uns des autres ? Les participants doivent-ils parcourir l'intégralité du Monde Mythique pour se rendre à la Cérémonie ?
— Oui, le Monde Mythique est vaste. Dans un souci d’équité, le lieu de la Cérémonie change tous les ans. Cette planète regroupe quatre contrées qui rassemblent à elles seules l'ensemble des villes et villages. Altéryx est la capitale de l'une d'elles et lui a donné son nom.
— D'accord, mais en termes de superficie, à quoi correspond une contrée à l'échelle de notre planète ?
— Il s'agirait de nos continents.
— Quatre continents se partagent donc le Monde Mythique.
— Oui. Vous avez déjà vu Altéryx, le village de dompteurs et la capitale de la contrée la plus au nord. Leur drapeau est facilement reconnaissable au flocon argenté à sept branches, aux extrémités desquelles les têtes des créatures mythiques de la région sont présentées de profil.
Vyrian hocha la tête. L'imposante bannière dorée flottait en compagnie de trois autres de tailles équivalentes. Le scientifique les identifia comme étant celles des contrées invitées.
— Le drapeau bleu avec une fontaine en son centre serait celui d'Hydrios ?
— Oui, Hydrios est la contrée la plus à l’ouest et est connue pour sa fontaine, fierté de sa capitale. Son eau est réputée pour ses propriétés curatives. De grands guérisseurs en vantent les mérites, ce qui contribue à augmenter la renommée de la cité. Tous les habitants ont d'ailleurs une formation de soigneur qu'ils complètent selon leurs prédispositions.
— Donc, les drapeaux rouge et vert correspondraient aux villages d'Hemyra et de la Confrérie ?
Le chercheur se surprenait lui-même à avoir mémoriser les noms des différentes contrées et en tira un sentiment de satisfaction passager.
— Tout à fait. Hemyra est la contrée la plus au sud et la capitale des artisans. L’étendard est reconnaissable au marteau et à l’enclume croisés. Son architecture emblématique est due au don de modélisation de ses habitants. Ils peuvent, à partir de matières premières, utiliser la magie et façonner toutes sortes d'objets auxquels ils confèrent des propriétés magiques. Ce sont, par exemple, les inventeurs des armes convertibles. La Confrérie, quant à elle, se situe à l'est et abrite un refuge d’érudits souhaitant parfaire leur art en toute quiétude. Leur drapeau se reconnaît au grimoire sur lequel une lame et une plume se confondent. Ses membres considèrent la connaissance comme une arme à double tranchant, pouvant aussi bien blesser que guérir, détruire comme créer.
Vyrian assimila ces informations. Suivant la même logique, il comprit sans difficulté que la multitude de drapeaux aux proportions plus modestes représentaient les bourgs sous le contrôle des quatre capitales. Les couleurs de fond permettaient de faire les associations : doré pour Alteryx, bleu pour Hydrios, rouge pour Hemyra et vert pour la Confrérie.
Il vit une nouvelle fenêtre s'ouvrir en périphérie de son champ de vision. Les prémices d'une carte se dessinaient suivant les indications de Mère. Vyrian découvrit les quatre continents gouvernés par chacune des capitales citées. Alteryx possédait un territoire recouvert de forêts et de plaines. Un bois servait d'ailleurs de frontière naturelle avec la Confrérie. Les érudits habitaient un terrain forestier et montagneux propice à l’étude et à la méditation. Le sommet d’une des montagnes représentait la limite avec Hemyra. Les artisans vivaient sur un terrain volcanique et montagneux, riche en matériaux nécessaires à leurs inventions. Au pied de ces montagnes, une vallée abritait Hydrios et ses cours d’eaux médicinaux.
Les trompettes se turent et le rythme des tambours ralentit, semblant égrener les dernières secondes avant l'ouverture de la Cérémonie. Vyrian vit Ylméria tirer sa sœur vers les gradins, tandis que cette dernière regardait en direction d'Altéryx. Tout autour d'elles, les candidats convergeaient vers le centre de la prairie. Un groupe interpella les jeunes femmes. Ylméria les salua chaleureusement et Yomi fit de même avec moins d'entrain. Les nouveaux venus entamèrent rapidement une discussion avec la plus affable des deux sœurs, laissant Yomi en retrait. Alors que la jeune femme peinait pour ne pas les perdre de vue, elle fut bousculée par un candidat pressé.
Le chercheur focalisa son attention sur le maladroit et vit qu'il tenait un instrument. Vyrian le prit pour un barde, mais Mère le corrigea.
— Les bardes n’utilisent pas de Violeâmes, c’est interdit. Premièrement, parce qu'ils ne sont pas formés pour. Certains modèles peuvent se transformer, comme vous avez pu le voir avec l’arme de Yomi. Deuxièmement, ces instruments permettent de prendre le contrôle des émotions d’une personne et de la faire agir contre sa propre volonté. Une mauvaise utilisation peut entraîner des troubles comportementaux chez la victime. De ce fait, leur réglementation est très stricte.
Vyrian n’osait imaginer l’utilisation d’une telle arme dans son monde. La corruption n’en aurait été que plus importante. Le chercheur frémit à cette idée, avant de la chasser, préférant se concentrer sur Yomi.
La Mysticienne n'accorda que peu d'attention au jeune homme et pesta en voyant que sa sœur et ses amis s'étaient éloignés. Alors qu'elle s'apprêtait à jouer des coudes pour les rejoindre au plus vite, l'inconnu lui saisit le bras.
— Excuse-toi !
— Quoi ?
— J'ai dit : excuse-toi !
Le Mysticien ne laissa pas le temps à Yomi de réagir et frotta les cordes de son arme. À peine les premières notes de musique se firent entendre que la jeune femme commença à s'approcher de son agresseur. Vyrian espérait qu'elle parviendrait à reprendre le contrôle de son corps, il voyait à son expression qu'elle luttait contre son emprise.
Arrivée face au jeune homme, Yomi saisit son Violeâmes, le brisa sur son genou et se servit de la partie cassée, reliée par les cordes au reste de l'instrument, pour l'envoyer dans le visage de son attaquant, qui recula et tomba dans l'herbe sous le choc. La jeune femme lui lança ensuite l'arme brisée qui atterrit à ses pieds. Le garçon lui lança un regard médusé.
— La prochaine fois, avant d'exiger, tu penseras à réfléchir.
La foule s'écarta devant elle et elle profita de ce couloir pour atteindre les gradins. Mère, indifférente aux états d'âme des jeunes gens, expliqua le fonctionnement des Violeâmes au chercheur.
— Le point faible de ces armes réside dans les premières notes. Les habitants du Monde Mythique y étant sensibilisés, il est plus difficile de les contrôler. Seul un prodige peut transformer une personne en une marionnette. Un apprenti sera potentiellement plus dangereux. Sa maîtrise ne lui permettra pas de prendre le contrôle de son adversaire. En revanche, les dégâts qu'il infligera au cerveau de sa cible seront d'autant plus importants que son contrôle est hasardeux, ce qui entraînera chez la victime un comportement incohérent. À l'inverse, si un expert décide de léser le cerveau de son adversaire, il le fera avec doigté. Les premiers signes ne seront pas visibles, ce qui empêchera par la suite toute récupération totale des capacités psychiques de l'individu.
— D'accord, mais vous ne venez pas de dire que leur utilisation était réglementée ?
— Si, mais il arrive que des rivalités naissent avant les épreuves. Bien sûr, ces comportements ne sont pas tolérés et le contrevenant peut être expulsé, s'il est pris sur le fait.
Plus Vyrian en apprenait et plus il redoutait les effets d'un tel objet. Il comprenait la colère de Yomi. Lui-même n’aurait sûrement pas mieux réagi.
Les tambours se turent, annonçant le début de la Cérémonie. Les dernières personnes trouvèrent une place dans les gradins et Yomi se dépêcha de rejoindre Ylméria. À peine assise, sa sœur l'interpela.
— Encore à la bourre.
— Un simple contretemps.
— Dans ce cas-là, explique-moi pourquoi ce type te dévisage.
Yomi suivit le regard de sa sœur et soupira.
— Un abruti.
Avant qu'Ylméria ne puisse l'interroger davantage, un homme fit son apparition et les deux soeurs se concentrèrent sur son discours.
— Je me nomme Cirys. Je suis l'organisateur de la Cérémonie. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue. Jeune génération, vous êtes le futur de ce monde. Votre enfance à présent révolue, une nouvelle vie s'offre à vous. Portez fièrement vos couleurs ! Avant toute chose, vous devrez triompher des épreuves qui vous attendent et vous montrer digne de vos enseignements. Que les festivités commencent !
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