Fin des festivités (2)
Vyrian découvrit une grande salle de réunion dans laquelle le mobilier avait été poussé contre les murs. Des entraves furent placées aux chevilles des trois résistants et chaque fois qu’ils tentèrent de s’approcher de Faric, le dispositif émettait une vive lueur et leur corps se changeait peu à peu en pierre. Plus ils luttaient et plus le phénomène s’accélérait, bientôt seules leurs épaules dépassaient de la roche solidifiée. Impuissants, les prisonniers ne purent que fusiller Faric du regard, qui leur adressa un sourire en retour.
— J’ai augmenté la sensibilité des pièges : la moindre respiration, le moindre mouvement et la pierre continuera son ascension.
Le politicien se retourna, laissant derrière lui les visages furieux de ses captifs. Vyrian fut intrigué par la différence d’attitude entre le trio et le reste des habitants.
— Pourquoi ne sont-ils pas sous l'emprise du Violeâmes ?
— Parce qu'ils ne se trouvaient pas sur la place avec les autres Altériens. Dungal étudiait chez lui les glyphes de Xam, quant au couple, il était parti plus tôt dans la journée pour assister à la diffusion de la Cérémonie en présence des autres chefs de contrées.
Faric attrapa une chaise dans un coin de la pièce et la tira jusqu’à son centre. Il fit signe à l’homme portant Yomi et ce dernier la jeta négligemment sur le siège qui menaça de se renverser. Le politicien véreux renvoya son assistant et attacha la jeune femme sous le regard courroucé de son mentor et de ses parents. Dallan essaya une nouvelle fois de lui faire entendre raison.
— Faric, tout cela va trop loin !
— Ce n’est pourtant que le commencement.
Craignant le pire, Vyrian se tourna vers Mère.
— Nous devons l’arrêter !
— Vous ne connaissez pratiquement rien du Monde Mythique. Vos actes ont plus de chances d’aggraver la situation.
Vyrian savait que toute argumentation était inutile, mais il ne put empêcher son avatar de se parasiter sous l’effet de sa frustration. Le scientifique se força à retrouver son calme, il devait trouver une solution. Il remarqua pour la première fois l’absence de Xam. La dernière fois qu’il l’avait vu, il était en compagnie de Dungal, il imaginait mal le vieil homme l’enfermer chez lui, mais dans ce cas où pouvait-il bien être ?
Un mouvement attira son attention : Yomi s’éveillait. Vyrian ne fut pas le seul à s’en rendre compte, les villageois se tournèrent vers elle comme une seule personne. La Mysticienne, le teint livide, découvrit son auditoire ainsi que les liens qui lui enserraient poignets et chevilles. Elle tenta de se dégager, en vain. Son regard parcourut l’assemblée et s’attarda sur le visage de ses parents. Fara réfréna un sanglot et Dallan se mordit la lèvre inférieure. Vyrian ne comprenait pas leur réaction.
— Mais qu’attendent-ils pour agir ?
— Ils sont piégés.
— Je le vois bien ! Mais qu’attendent-ils pour réconforter leur fille et lui expliquer la situation ? Pourquoi ne font-ils rien ?
— Écoutez.
Ce n’est qu’à cet instant que Vyrian entendit le discret fredonnement des villageois, un rythme hypnotique qui lui engourdissait les pensées.
— Ils fredonnent l’air du Violeâmes de Faric ?
— Oui, Dallan, Fara et Dungal sont à la fois piégés physiquement et psychiquement. Céder à leurs émotions ne fera qu’offrir à Faric un moyen de prendre le contrôle de leur corps grâce à son Violeâmes.
— Mais vous m’avez dit qu’il était possible de lutter contre une possession. Yomi y est bien parvenue !
— Faric n’est pas un amateur. De plus, il est plus difficile de lutter lorsqu’on se trouve sous le joug de ses émotions.
— Nous ne pouvons vraiment rien faire pour l’aider ?
— Rien.
L’avatar du chercheur serra les poings d’impuissance. Il ne connaissait que trop bien ce sentiment. À l’époque déjà, quand son monde agonisait, il avait milité pour sensibiliser les siens aux changements climatiques. Mais à part quelques soutiens, la population s’était focalisée sur son quotidien, s’estimant chanceuse de pouvoir conserver le même mode de vie.
Le scientifique vit les yeux de Yomi s’agrandir d’effroi. Après avoir dégluti, elle s’exprima d’une voix chevrotante.
— Que se passe-t-il ?
Faric s’avança et s’accroupit face à elle.
— Ça, j’aimerais bien que tu nous le dises.
— Comment ça ? Je ne comprends pas. Qu’est-ce que ça signifie ?
Le politicien se redressa, fit signe à l’un de ses hommes et celui-ci lui apporta un coffret. Faric s’en saisit sans accorder d’attention à son serviteur et en sortit ce qui ressemblait à un bracelet en cuir. Les trois prisonniers s’agitèrent dans leur cocon de pierre et celui-ci poursuivit sa progression. Vyrian regarda une nouvelle fois l’objet ne comprenant pas la raison de cette agitation.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un bracelet de vérité. Il s’agit d’un vieil instrument de torture rendu célèbre pour sa capacité à faire souffrir sans laisser de trace, celui qui le porte inflige à toute personne une décharge. Lorsque son porteur touche un endroit à plusieurs reprises, la douleur est multipliée par le nombre de contact.
Faric s’accroupit de nouveau face à Yomi et lui prit le visage de sa main portant le bracelet de vérité. La jeune femme ne dit rien, mais les spasmes qui lui parcouraient le visage témoignaient de sa douleur. Le politicien rompit le contact et une quinte de toux secoua la torturée devant le regard amusé de son bourreau.
— C’est vrai qu’il aurait été dommage d’abimer ce visage.
L’usurpateur prit soin de s’adresser à sa famille qui lui lança un regard outré.
— Tu n’as toujours rien à me dire ?
Yomi redressa la tête avec peine, de la salive coulait de la commissure de ses lèvres.
— Puisque je vous dis que je ne sais rien ! La torture ne m’aidera pas à regagner la mémoire.
— Dans ce cas, j’ai ce qu’il te faut.
Vyrian le vit s’éloigner de la jeune femme et ouvrir une mallette posée sur l’une des tables. Lorsqu’il fit de nouveau face à l’Exilée, Faric tenait dans ses mains son Violeâmes. A sa vue, Yomi se débattit de plus bel avec ses liens. Plus le manipulateur se rapprochait d’elle et plus elle redoublait d’effort, lorsqu’il passa son archet près de sa tête, la jeune femme recula et la chaise faillit basculer en arrière, mais Faric la retint.
— Où comptais-tu aller comme ça ?
L’homme, le pied sur la cuisse de Yomi, appuya de tout son poids sur la jambe de sa captive et la fit basculer en avant. Le choc fut si fort que le claquement des pieds de la chaise sur le sol résonna dans la pièce.
Yomi, de nouveau face à lui, il lui plaqua le bout de son archet sur la gorge.
— Parle ou lorsque j’en aurai fini de toi, il ne resta rien de plus qu’une coquille vide.
— Je ne sais rien … Je me suis réveillée au milieu de la forêt blessée.
— Tu t’es donc évanouie ? Dans ce cas, il me suffit de chercher ici.
Le Mysticien tapota de son archet la tempe de la jeune femme, Vyrian en eut un frisson, l’assistance artificielle se rapprocha de lui.
— Qu’y-a-t-il ?
— Cet homme a de bonnes notions d’anatomie. L’hippocampe est une structure importante de la mémoire et celle-ci se trouve dans le cortex temporal, autrement dit derrière la tempe.
— Je ne l’ai pas mentionné plus tôt, mais effectivement, pour utiliser un Violeâmes, il est nécessaire d’avoir de bonnes connaissances en anatomie afin de cibler les zones adéquates par rapport au résultat attendu.
Vyrian reporta son attention sur Faric. Le politicien s’apprêtait à mettre sa menace à exécution, mais Yomi mordit son archet lorsque celui-ci passa devant son visage. Le scientifique vit les yeux du tortionnaire s’écarquiller de surprise et d’effroi. Son poing percuta la joue de la jeune femme la faisant lâcher prise. Sous la violence du choc la chaise déjà bancale bascula et la tête de l’accusée heurta le sol dans un gémissement. Le sang qui commençait à s’écouler de ses lèvres meurtries perla sur le plancher.
Faric inspecta son archet. Certaines fibres étaient effilées, le manipulateur se pinça les lèvres et finit par ranger son instrument dans son étui.
— Bien, nous allons procéder à l’ancienne. Tu assistais à la Cérémonie, les festivités battaient leur plein avant qu’un imprévu se produise. Quel est-il ?
Le politicien plongea son regard dans celui de la jeune femme et elle lui rendit sans ciller.
— Je l’ignore. Demandez plutôt à vos Visionnaires !
La jeune Altérienne était toujours étourdie sous l’effet de ses récentes blessures. Malgré tout, elle tentait de rester fière. Vyrian se réjouit intérieurement de sa force de caractère, mais il craignait que ce comportement ne la fasse souffrir. L’agacement de Faric face à son ignorance sembla lui donner raison. Le chercheur regarda le maire autoproclamé tourner autour de la jeune femme. Une fois dans son dos, il posa ses mains sur ses épaules et appuya sur son membre déboîté.
— Je me suis mal fait comprendre.
Le chercheur vit les mâchoires de Yomi se crisper, sa dignité lui interdisait de crier. Elle cligna des yeux pour essayer de chasser les larmes qui menaçaient de couler et pivota la tête. Des mèches vinrent recouvrir son visage. Faric la força à se retourner.
— Tu finiras par craquer, crois-moi.
Le politicien appuya un nouvelle fois sur le membre blessé, cette fois Yomi ne put empêcher une plainte de franchir ses lèvres.
— Bien, maintenant, te souviens-tu ?
Le voile d’incompréhension qui persistait dans le regard de la jeune femme s’évanouit remplacé par une froide fureur.
— Je suis amnésique. Mais je suis sûre d’une chose, vous êtes la honte de ce village !
Devant l’audace de la jeune femme, Faric perdit patience et ses phalanges vinrent percuter la joue de Yomi cognant une fois de plus sa tête contre le sol. L’Éxilée se tourna lentement vers le politicien et cracha une gerbe de sang. Furieux, l’Altérien arma de nouveau son bras.
— Allez-y, frappez-moi ! La violence et la corruption sont l’apanage des faibles !
La voix enrouée de la jeune femme résonna dans la vaste salle et réussit à troubler Faric, qui hésita un instant. Yomi tremblait dans l’attente du coup.
Happé par la situation, Vyrian oublia sa condition, son image mentale se jeta sur la jeune femme dans le but de la protéger. Mais, rien n’y fit, ses actions n’étaient que virtuelles. Impuissant, il vit Faric se ressaisir. D’un instant à l’autre, son poing atteindrait Yomi.
L’homme avait perdu tout sang-froid. L’audace de la jeune femme était venue à bout de sa patience. Cet homme était instable. De plus, cet affrontement semblait personnel, comme si la vraie cible n’était pas Yomi, mais son père.
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