Coup d'état (1)
Vyrian regarda la jeune femme et son compagnon disparaître à l’horizon. Il s’attendait à suivre leur fuite, mais contre toute attente, Mère continua de lui transmettre des images du village. Pensant à une latence de sa part, le scientifique se tourna vers elle.
— Pourquoi ne les suivons-nous pas ?
— Avant de reprendre l’observation de Yomi, vous devez connaître l’issue de cet interrogatoire. Connaître les projets de Faric à son égard vous permettra de les anticiper et ainsi d’aider la jeune femme.
Pour la seconde fois de la soirée, le chercheur se plia au pragmatisme de Mère. Alors que son regard s’attardait sur les arbres de nuit, il s’interrogea sur sa propre utilité.
— Mais en quoi puis-je aider si je ne peux pas agir ? Qu’attendez-vous de moi ?
— Pour le moment, rien. Vous êtes en période d’observation. Lorsque vous serez suffisamment compétent, nous en reparlerons.
Songeur, le chercheur se demanda ce que lui réservait le futur. Peu de temps auparavant, il se réjouissait de la pénombre grandissante, les arbres de nuit ne cessaient de s’épanouir dans l’obscurité et il attendait avec impatience de les voir colorer les habitations. À présent que le spectacle s’offrait à lui, il avait perdu tout intérêt pour le phénomène et observait les portes entrouvertes de la mairie suite au départ précipité de Yomi.
La projection franchit sans difficulté cet obstacle et il se retrouva de nouveau à l’intérieur du bâtiment. Lorsqu’il découvrit Dallan, Fara et Dungal pratiquement recouverts par la roche, Vyrian s’enquit de leur état. Après une observation plus approfondie, il fut soulagé de voir que le trio avait survécu grâce à une ouverture au sommet de leur cocon de roche qui leur apportait l’oxygène nécessaire à leur survie. Le scientifique crut entendre des gémissements de leur part, mais en y regardant de plus près, il vit Faric reprendre conscience.
L’homme se redressa lentement en grimaçant de douleur à chacun de ses mouvements. La vue de son doigt tranché finit de le réveiller tout-à-fait. Les villageois sortirent aussitôt de leur mutisme et un brouhaha emplit rapidement la salle. Ils semblaient désorientés et regardaient avec incompréhension les trois blocs de roche avant d’apercevoir Faric, à présent debout qui pressait son moignon contre son flanc. Un des habitants fut plus réactif que les autres et se dirigea vers lui d’une démarche encore mal assurée.
— Faric, que s’est-il passé ?
L’homme avisa le sang qui gouttait au sol et blêmit.
— Mais qu’est-ce… Vous avez besoin de soins !
Il se tourna vers les Altériens restés en retrait.
— Allez chercher un soigneur ! Vite !
Les villageois réagirent au ton pressant de l’homme et quittèrent la mairie. Pendant ce temps-là, le Mysticien revint vers Faric.
— Que s’est-il passé ici ?
— Vous savez très bien ce qu’il s’est passé. Je vous ai montré à qui allait la loyauté du maire et de ses proches.
L’homme se tourna vers les trois sculptures de pierre et les observa longuement.
— Je me souviens à présent.
Faric s’approcha de lui.
— Libérez-les. J’ai besoin d’eux vivants. Eux seuls savent où la fugitive a pu se rendre.
L’homme déverrouilla les entraves une à une. Vyrian entendit la roche s'effriter et les corps tomber tandis que la projection suivait Faric. Le politicien se tenait aux portes. Ses cheveux noir de jais luisaient de sueur, dissimulant une partie de son visage blafard. Il tenait son bras meurtri serré contre son abdomen. Une auréole sanguinolente s'étendait sur le tissu blanc de sa chemise. Le regard fiévreux, il dévisagea les habitants rassemblés à l'extérieur avant de s'effondrer.
Vyrian profita du temps de réaction des Altériens pour faire le point avec Mère.
— Ils ne sont plus sous son emprise ? Alors pourquoi lui obéissent-ils toujours ?
— C’est un effet secondaire des Violeâmes. Une fois l’emprise rompue, la cible conserve un lien avec son manipulateur et se souvient des derniers événements selon son point de vue. À leurs yeux, Yomi et ses proches sont coupables.
Les villageois se rapprochèrent dans un silence compatissant. Une femme s’approcha de Faric et ausculta son bras avec délicatesse, tandis que les autres s’éloignaient, laissant ainsi la place au blessé de recouvrer ses idées.
Vyrian observa le politicien serrer la mâchoire suite à ce bref échange. En état de choc, le Mysticien peinait à reprendre son souffle. Son bras tressautait au rythme de sa respiration saccadée, étalant un peu plus de sang sur sa chemise. Son homme de main se présenta devant lui.
— J’ai libéré les prisonniers, ils frôlaient l’asphyxie. Que fait-on d’eux ?
Faric leva lentement la tête et étudia l’homme qui lui faisait face.
— Ywan, c’est ça ?
— Oui.
— Amenez-les moi.
— Bien.
Le dénommé Ywan retourna dans la mairie en compagnie de deux autres villageois. Lorsque Dallan, Fara et Dungal sortirent du bâtiment sous leur escorte, seuls des visages hostiles les accueillirent. Les prisonniers haletaient et peinait à reprendre leur souffle. Ils tombèrent à genoux lorsque Ywan et ses hommes les présentèrent devant Faric.
— À présent, que fait-on d’eux ?
— Enfermez-les.
À peine son ordre formulé, les paupières du manipulateur s’affaissèrent. Surpris, l’un des hommes relâcha son emprise sur les entraves de Fara et elle en profita pour enfoncer ses ongles dans la blessure de Faric. Prise de vitesse, la soigneuse ne put que la repousser pendant que son patient ouvrait des yeux fous de douleur.
— Sale garce !
Ywan tira sur les entraves de la captive et elle se retrouva plaquée au sol avant d'être brutalement remise sur pieds.
— Vous avez entendu ? On les emmène aux cachots !
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