Un tête-à-tête imprévu (1)
Vyrian observa Nick s’engouffrer dans une étroite ruelle. De loin, il était impossible de la discerner, l’obscurité et la crasse en masquaient l’entrée. Les épaules du jeune homme frôlèrent les murs, le tissu de sa chemise fut égratigné et tâché.
Curieux quant à la destination du jeune homme, Vyrian ne le quittait pas des yeux. Mais bientôt ce ne fut plus suffisant. La fumée se faisait si épaisse qu’il ne parvenait plus à le distinguer.
Si le scientifique déplorait la qualité de l’air sur la grande place, rien ne l’avait préparé à une telle intoxication. Son image mentale s’arqua, sa bouche s’ouvrit en quête d’oxygène et ses convulsions s’accentuèrent.
Les symptômes de l’avatar se répercutèrent sur le corps du biologiste. Vyrian sentit sa bouche devenir pâteuse, sa salive se raréfier et la cendre irriter sa trachée. Il se mit à déglutir dans l’espoir de la faire disparaître, mais rien n’y fit, elle prenait peu à peu possession de son corps. Au bord de l’asphyxie, son cœur s’affola. Le tracé analogique de l’électrocardiogramme retranscrivit sa frénésie. Puis, peu à peu, le signal s’atténua. Vyrian hoqueta, toussa, cracha avant de parvenir à se calmer. Son image mentale reprit forme avant de s’adresser à Mère d’une voix mal assurée.
— Que s’est-il passé ?
— Vous avez fait une forte réaction à la pollution du Monde Historique. Bien qu’ayant cessé de vous transmettre les informations sensorielles de ce monde, votre corps a eu du mal à les supprimer.
Vyrian se mit à rire et une quinte de toux agita de nouveau son corps.
— Alors ça, c’est la meilleure. J’ai failli mourir à cause de la pollution d’un autre monde, sans m’y trouver.
— En effet.
Vyrian prit conscience de la précarité de sa condition. Il n’était en sécurité nulle part. Ni les infrastructures médicalisées ni les épaisses portes le séparant de l’extérieur ne pouvaient le protéger des dangers des autres mondes.
Le biologiste ignorait combien de temps s’était écoulé depuis son asphyxie, mais Nick avait disparu. Il vit l’image du Monde Historique subir plusieurs retouches. Peu à peu la projection s’éclaircit et il fut de nouveau en mesure de voir l’Historian.
Le chercheur ne semblait pas être le seul à avoir passé un moment désagréable. Nick caillassait le haut d’un bâtiment. Vyrian se concentra sur la cible du jeune homme et l’image s’agrandit. Il découvrit un ventilateur soufflant l’air vicié de la place vers la périphérie de la ville. Le scientifique comprit que Nick venait de pénétrer dans la zone défavorisée du Monde Historique.
Tandis qu’il l’observait déverser sa colère contre le mur, il interrogea Mère.
— Qu’arrive-t-il au Monde Historique ?
— La même chose qu’au vôtre.
— C’est sur ce constat que sont basées les 70 % de ressemblance ?
— En partie, en effet. L’administration et la hiérarchie humaine ressemblent beaucoup à celles que vous avez pu connaître. Comme vous avez pu le voir, les codes vestimentaires et l’architecture des bâtiments ne vous sont pas inconnus.
— C’est vrai, sauf que l’expérimentation humaine était proscrite, considérée comme non-éthique.
— Il faudra vous y faire, il s’agit d’un autre monde avec ses propres mœurs.
— Pas tout à fait, il semblerait. L’expérimentation humaine n’a pas l’air de faire l’unanimité. Quelle est la probabilité que cette planète ne finisse pas comme la nôtre ?
— 30 %, mais ça risque d’empirer prochainement. Les conflits empirent de jour en jour, ce monde peut basculer à tout instant dans une guerre civile.
— Cet Yvias est-il si puissant que ça ?
— Il est brillant et rusé, il a su se construire un empire dans l’ombre et ses hommes lui sont extrêmement dévoués. En créant des hybrides, il leur a offert de nouvelles capacités et par la même occasion une nouvelle vie. À défaut de leur offrir un salut, il leur donne satisfaction.
Des sirènes retentirent, bientôt rejointes par un grondement sourd. Vyrian regarda la scène sans comprendre. Il vit Nick lâcher le débris qu’il tenait entre les mains et aperçut la ruelle qu’il avait emprunté disparaître, verrouillée par d’épais murs de pierre sortant des habitations qui la bordaient. Des spots lumineux s’activèrent dans un grand bruit et parcoururent les rues à la recherche de l’agresseur. Alors que les cercles de lumière fusionnaient et se séparaient, Nick partit en courant et s’enfonça plus profondément dans les rues du bas quartier ne se préoccupant pas de l’urine qui serpentait entre les pavés.
Il ne s’arrêta que lorsque les lumières disparurent au loin. Essoufflé, désorienté et crasseux, le jeune homme paraissait misérable. Courbé, les mains sur les cuisses, il tentait tant bien que mal de reprendre son souffle. Une ombre s’étira sur le sol poussiéreux et attira l’attention du biologiste. Il la regarda se déplacer de mur en mur avec aisance. Arrivée à proximité de l’Historian, elle disparut. Une voix sortit des ténèbres.
— Alors, on est perdu ?
Nick se redressa instantanément. Il s’éloigna du mur et rechercha l’origine de la voix. Mais avant qu’il n’y parvienne, des bras lui comprimèrent la trachée. Il lutta, s’essouffla et s’affola. Vyrian vit ses gestes devenir désordonnés. La panique lui comprima le cœur, il ne pouvait le regarder mourir, il devait agir, trouver un moyen de l’aider, mais il ne savait comment s'y prendre. La projection mentale du scientifique se parasita.
— Allez, tiens bon.
Un rire cristallin retentit et lui fit lever la tête. Vyrian se concentra sur sa provenance. Le spectre auditif du rire lui apparut dans un onglet, il se concentra dessus et l’image se réorienta. Il discerna une silhouette lovée contre le jeune homme. Il se focalisa dessus et la résolution de l’image s’améliora. Le chercheur discerna le corps d’une femme ceindre Nick. Des questions se bousculèrent dans sa tête.
— Qui est-elle ?
— Je l’ignore.
— Êtes-vous sûre de bien connaître les trois mondes ?
— Elle n’est pas rattachée au projet Trimondes.
— C’est chose faite puisqu’elle étrangle le clone d’un des Exilés.
La jeune femme prit de nouveau la parole et mit fin à la discussion entre Vyrian et Mère.
— Que vient faire un type comme toi par ici ?
Elle relâcha quelque peu son emprise, ce qui permit à Nick de lui répondre.
— Qui êtes-vous ? Montrez-vous !
— Bien, messire.
La fille sortit de l’ombre. Vyrian la dévisagea. Il fut surpris par sa carrure, grande, maigre et débraillée. Il se demandait comment elle avait pu exercer tant de force sur le jeune homme. D’épaisses chaussures, des protections aux articulations et des gants aux jointures renforcées lui donnèrent un premier indice. Il se dégageait d’elle une aura de violence. Elle avait l’allure d’une combattante. Cette impression fut confirmée par les cicatrices qui lui parcouraient le corps, piquetant sa peau de discrètes tâches blanchâtres. Le scientifique réalisa que ce qu’il avait pris dans un premier temps pour une tenue débraillée s’avérait être les restes de vêtements ayant connus de nombreux affrontements. Des entailles aéraient le tissu de son chemisier en de nombreux endroits. Quant à ce que Vyrian avait pris pour un short, il devait en réalité s’agir d’un pantalon déchiré. Il ne faisait aucun doute, il s’agissait d’une survivante, une guerrière.
Nick toujours dos à son adversaire, tenta de prendre la parole mais l’air se bloqua dans sa gorge. Il manqua de s’étouffer. Un sourire satisfait étira les lèvres de la jeune femme.
— Ne fais pas cette tête. Tu pourras bientôt reparler. En attendant c’est moi qui pose les questions. D’abord, que fait un type comme toi ici ? Regarde-toi ! Tu es pathétique ! Enfin bon, ce n’est pas ma survie qui est en jeu. Mais j’espère pour toi que tu as une bonne raison de t’aventurer dans les bas quartiers. Surtout que tu t’es fait pas mal d’ennemis en activant le système de sécurité de la grande place.
Vyrian ne put s’empêcher de frémir aux menaces à peine voilées de la fille. Un couteau papillon était apparu dans ses mains pendant qu’elle questionnait Nick. Elle en vérifia le tranchant et une goutte carmin apparut sur son doigt qu’elle lécha. Satisfaite, elle fit jouer les quelques rayons du soleil qui parvenaient à traverser les nuages sur sa lame. Elle les orienta sur la carotide de Nick. Le jeune homme ne manqua pas la signification de ce geste. Sa respiration s’accéléra. Vyrian s’inquiétait de plus en plus au sujet de son agresseuse. C’était une prédatrice, son regard scrutait, jaugeait et analysait chacun des mouvements du garçon.
Intimidé, Nick tenta de formuler une réponse, mais il ne put que bégayer.
— Je…savais pas. Je… Je… cherche…
Bien qu’il s’appliquât à prononcer chaque mot séparément, des quintes de toux l’empêchaient de s’exprimer convenablement. Agacée, la fille reprenait ses phrases, le poussant à continuer.
— Que cherches-tu ?
Le chercheur vit le jeune homme se recroqueviller sur lui-même. Il n’avait pas encore vu le visage de son agresseur. Comment réagirait-il en voyant cette rouquine aux cheveux foncés ? Cette coloration rappela à Vyrian les cheveux de Yomi. Il n'en tint pas compte et se prit à espérer que Nick ne fasse rien de stupide.
Manquant une nouvelle fois de s’étouffer, le jeune homme lui montra la carte de visite qu’on lui avait laissée. À en juger par sa réaction, il était évident qu’elle connaissait la personne qui habitait à cette adresse. Son ton se fit plus dur et ses muscles se raidirent, prêts à frapper.
— Que lui veux-tu ?
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