Démons du passé (3)
Vyrian ne savait que penser de l'attitude de la Textys, elle semblait juger Axan digne de confiance et Keen'an se fiait à elle. Le biologiste était curieux de savoir ce que donnerait leur partenariat.
Le mage pointa du doigt une sombre forêt, sous le regard étonné d'Axan.
— La Confrérie ?
— Tout juste. C’est là que nous allons.
— C’est un bon endroit pour rechercher des informations. Mais comment comptes-tu y entrer sans éveiller l’attention des mages ? Tu es recherché, tu ne peux te permettre de faire n’importe quoi.
— Raison de plus, ma fugue m’a rendu suspect, il est temps de régler cette histoire
Vyrian enviait la capacité du jeune mage à assumer ainsi son passé. Lui-même en était incapable. Les remords l’entravaient. Prisonnier de ses souvenirs, il ne parvenait à s’en défaire. La Télépathie lui avait offert une échappatoire dans un premier temps. Mais, elle était peu à peu devenue un calvaire. La lassitude l’avait envahi. Pour se maintenir hors de ce flux psychique, il n’avait eu d’autres choix que de décortiquer les pensées des uns et des autres. Cette époque était à présent révolue. Pour autant, il ne se sentait pas capable de faire face à ses erreurs.
Le scientifique haïssait sa faiblesse et se méprisait pour cela. Ce sentiment empira lorsque le mage entreprit de raconter son passé.
— Je suis, enfin, j’étais le pupille du doyen de la Confrérie des Sages. Il m’a trouvé bébé devant l’entrée de l’académie. Il m’a élevé et m’a enseigné les rudiments de la magie. Les années ont passé et j’en suis venu à considérer cet homme comme mon père. Il a fait de moi ce que je suis. Peu avant la cérémonie, je l’ai trouvé affaibli dans sa chambre. J’ai tenté d’appeler des soigneurs, mais il m’en a empêché. Malgré mes protestations, il n'a pas tenu pas compte de son état et m'a supplié de l’écouter.
La voix de Keen’an se brisa. Tout comme lui, le jeune homme avait perdu un membre de sa famille. Cette similitude raviva de vieilles douleurs. Le biologiste sentit son image mentale se déformer. Il dut se concentrer pour garder sa contenance et écouta la suite des explications.
— À ses yeux, j’étais quelqu’un d’exceptionnel, destiné à accomplir de grandes choses. Mais n’est-ce pas ce que disent tous les parents à leur enfant ? Quoiqu'il en soit, je l’ai juste regardé mourir. Par peur, par lâcheté, par déni, j’ai fui. Depuis je suis accusé de son meurtre et une prime a été mise sur ma tête. J’aurais pu me rendre, mais la mort du doyen m'a affecté bien plus que je ne voulais l'admettre. Je pense que je voulais juste m'éloigner du lieu de son décès.
Axan mit quelques temps à réagir à ses aveux.
— Tu penses que sa mort est liée à ce symbole ?
Tout comme lui, Vyrian n'avait pas manqué les regards que Keen'an jettait à la marque.
— Je n’en sais rien ...
Pitchi qui virevoltait autour des deux hommes les interrompit et se mit subitement à crier. Elle attrapa leurs manches et tira dessus de toutes ses forces. Les deux mysticiens, la regardèrent sans comprendre. Axan se tourna vers le mage qui semblait tout aussi perdu. Keen’an voulu saisir Pitchi, mais elle se déroba et prit l’un de ses doigts le tirant pour lui intimer d’avancer.
— Pitchi calme-toi, je comprends rien à ce que tu me dis ? Qu’est-ce qui t’effraie à ce point ?
Des larmes coulaient le long des joues de la petite créature et son corps ne cessait de trembler.
Axan qui regardait l'Exilé calmer la Textys l'interrogea.
— Que lui arrive-t-il ?
— Je l’ignore, je ne l’ai jamais vu comme ça.
Pitchi refoula ses larmes et émit un unique pépiement plaintif.
— Que je disparaisse ? Mais je ne vais pas disparaître, je vais à la Confrérie pour ….
Au même moment, l’air se mit à onduler et un portail s’ouvrit à proximité du trio. Vyrian aperçut pour la seconde fois le désert de cendres. La main de Keen’an irradia. La boussole réapparut et deux points s'y déplaçaient. Il n’y avait plus aucun doute possible, il devait s’y rendre.
En d'autre circonstance, Vyrian aurait été ravi de les voir traverser le portail, mais il lui semblait différent : nocif, corrompu. Un frisson lui parcourut l’échine. Il voulut crier aux deux hommes de fuir, mais Keen'an avait beau avoir matérialisé une nouvelle arme et la planter dans le sol, il ne cessait d'être attiré. Axan fut le premier à franchir le portail suivit de près du mage, malgré les efforts de Pitchi fermement accrochée à son col, qui essayait de le tirer en arrière. Le portail se referma et la Textys se retrouva seule. Sa détresse était palpable et cette fois, Vyrian ne put lutter contre ses souvenirs.
Le scientifique se revit plus jeune. Il pique-niquait en présence de Clana. La jeune femme resplendissait. Sa surprise la comblait. Il lui avait dégoté un endroit épargné par la pollution et les mauvaises conditions climatiques : un Eden. Malgré la joie d’être en sa présence, il avait dû s’excuser. Sa radio émettait, il devait répondre. Vyrian s'était maladroitement redresser. il se souvenait encore du mélange d’euphorie et de honte qu’il avait éprouvé à ce moment-là.
Gourd, il s’était dirigé vers son véhicule et avait augmenté le volume de la radio. Sa bonne humeur s’était envolée au fur et mesure de l’écoute des pronostics. Ils ne pouvaient rester là, une tempête se préparait. Blême, il s’apprêtait à rejoindre celle qu’il aimait, mais sous ses pieds, le sol avait commencé à se craqueler. Il avait vu Clana se redresser au loin. Elle l'avait fixé, tétanisée par la peur. Il était monté dans son véhicule, et avait tenté de démarrer, mais impossible. Il avait espéré pouvoir lui envoyer le treuil, mais les commandes de la voiture ne répondaient plus. La radio ne crachait qu’un amas de grésillements.
Il avait pris conscience de la fin qui les attendait. Pourtant, il s'était refusé à perdre espoir. Il était sorti du véhicule pour encourager Clana, mais elle avait disparu. Leur paradis s’était désagrégé.
Il lui avait tourné le dos, il l’avait abandonnée. Comme elle avait dû se sentir seule. Il avait retrouvé son corps inerte sur la plage quelques jours plus tard. Malgré cela, il n’était jamais parvenu à faire son deuil.
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