Chapitre 5 : la reine déchue [Iris]
Droite comme un I, je maintiens mon dos endoloris loin du dossier du siège et observe le paysage défiler. Aujourd’hui le ciel est gris, donnant un air triste à la ville. À moins que ce ne soit mon humeur qui déteigne sur ma perception du monde alentour.
Mon cousin s’en sort avec une bosse et quelques bleus. Ma tante et mon oncle, offusqués par mon comportement, ont préférés éloigner leur chéri de moi et mettent tout en œuvre pour le changer d’établissement, quitte à le faire rater quelques jours. Moi… et bien je m’en suis juste sortis hier soir.
Mon cerveau prend un malin plaisir à me rappeler les évènements, passant en boucle et en boucle comment j’avais craqué. J’ai beau, pour certaines personnes, avoir l’air d’une garce, aucun d'eux n’étaient venu me le dire. En même temps, si un évènement du genre venait à se produire, je n’osais pas imaginer ce qui pourrait arriver à ce pauvre lycéen.
La berline noire s’arrête près du portail et je reste un moment immobile. Mes envies de rater les cours furent bien vite éliminer par le souvenir de mon père. Si j’ose en sécher ne serait-ce qu’un seul, les conséquences seraient dramatiques. Je retiens de montrer ma lassitude en prévision de la journée. Après tout l’ambiance cette après-midi au club sera sans aucun doute géniale.
Moi qui pensais que mon enfer ne pouvait pas s’empirer…
Je sors enfin du véhicule qui redémarre de suite et me retrouve face à un attroupement. Les insultes et les encouragements retentissent au rythme des poings qui se lèvent.
Mais qu’est-ce qui se passe ?
Curieuse, je décide d’en trouver la source et m’y avance avec prudence. On me remarque très vite. Je reconnais des visages, des filles et des garçons de mon groupe. Ils s’éclairent de sourire et, au lieu de me dire de faire demi-tour, s’écartent pour créer un chemin qui me mène tout droit au centre.
Le brouhaha ambulant ne semble devenir qu’un bruit de fond étouffé quand je me retrouve face à ce qui provoque autant de tapage.
Un de mes moutons passent à tabac Léanne. Elle tient à peine sur ses pieds, ses mains serrées devant son visage tel un boxer. Un sillon de sang s’écoule sans faiblir d'un de ses narines, parsemant ses vêtements et le sol de gouttes écarlates. Son œil droit et les parties de sa peau visible sont parsemés d’ecchymoses. Son adversaire, un garçon qui fait bien une à deux têtes de plus qu’elle, semble en bien mieux état.
Punie pour avoir été sur mon chemin, pour m’avoir fait pleurer. Ce n’est pourtant pas de sa faute…
Oui, durant un moment je lui en voulais. Comment pouvait-elle me juger sans me connaître réellement ? Mais personne ne sait qui je suis au fond, derrière cette mascarade. Elle n’avait l’image que d’une fille à papa pourrit gâtée, servit par une horde d’abrutie.
Je passe ma vie à mentir.
Mes poings se crispent.
Ma raison tente en vain de me rappeler que je suis obligée de jouer ce rôle, d’enterrer qui je suis en fond de moi-même pour mieux survivre.
L’agresseur se tourne vers moi, un sourire carnassier sur le visage. Léanne me remarque alors. Son expression passe de la surprise à la méfiance.
– Je vous laisse le coup de grâce. Apprenez à ce monstre comment se comporter avec les personnes de votre rang.
La foule s’agite davantage, clamant mon nom et des encouragements de plus en plus violents.
– Foutez-la au sol !
– Défoncez-la !
Je lève mon poing et l’étudie comme si on venait de me donner une arme. Pourquoi devrais-je m’attaquer à elle ?
La brune renforce sa garde, me foudroyant de ses iris bleu.
Je cadenasse ma raison dans un coin de ma cervelle, laisse les conséquences de mon futur acte de côté pour enfin m’exprimer.
– Vengez-vous ! Vengez-vous ! clame à l’unisson ces morpions. Vengez votre nom !
Je ne vengerai pas la connerie démesurée liée à ce putain de nom !
J’élance mon bras pour lui donner le plus de puissance possible. La jointure de ma main s’abat avec violence contre le visage du garçon qui, pris de cours, vacille et tombe sur les fesses. Je profite de la surprise générale pour attraper le poignet d’une Léanne abasourdie.
– Je n’ai pas besoin de crétins qui, pour mon nom, déteste et tabasse d’autres élèves !
Je les fusille du regard, mes doigts se resserrant un peu plus contre la peau de la brune.
– Faites lui encore du mal et je ferais en sorte de vous détruire !
Sur ces mots, je l’entraîne avec moi et nous quittons la foule incrédule. J’accélère le pas, incapable de prédire la façon dont ils vont réagir.
Quand père va apprendre ce que j’ai fait, il va…
Je secoue la tête pour sortir cette horrible pensée de mon esprit. Ce qui est fait est fait. Tu ne dois pas y penser pour l’instant, concentre-toi sur le moment présent. Tu dois emmener Léanne à l’infirmer…
– Pourquoi tu as fais ça ?
– On va te soigner puis on ira en cours, annoncé-je en reprenant mon rôle.
– Réponds à ma question ! hurle-t-elle en traînant des pieds.
– Je trouvais ça injuste, réponds-je froidement.
Elle se libère de ma poigne d’un coup sec, vient se planter devant moi et m’attrape par les épaules. J’étouffe un cri de souffrance dû à mes blessures d’hier. Son regard plonge dans le mien mais, très vite, ses ongles se crispent contre ma chair et elle détourne la tête. Mes doigts se tordent sous l’effet de la douleur et un petit gémissement m’échappe. Je m’empresse de la détacher, ma peau continuant de me lancer sous mon chemisier.
– C’est quoi ton problème ? ! Pourquoi tu joues la comédie comme ça ? ! s’énerve-t-elle. Pourquoi tu ne t’exprimes vraiment que quand tu te mets en colère ? !
Parce que c’est le seul moment où mes sentiments et la personne que je suis réellement balance ma raison aux oubliettes.
– Je ne devrais même pas m’énerver. Je devrais juste rester impassible. Montrer ses sentiments est une forme de faiblesse. Les Hector ne sont pas des faibles.
– Alors tu prends l’apparence d’un robot. Super ta vie, pouffe-t-elle.
Je ne pourrais pas être plus d’accord avec toi.
Ses yeux effleurent les miens un instant et s’empresse de les fuir à nouveau. Je vais pour lui demander la raison de ce comportement quand elle se justifie d’elle-même :
– Ô ma sauveuse, pourrais-tu me faire une faveur et éviter d’utiliser ce put… ce vilain regard hautain avec moi ?
– Je le ferais, lui promis-je. Maintenant allons-y.
En silence nous finissons la traversée de la cour, rentrons dans le bâtiment et parcourons le hall en direction d’une porte blanche ornée d’une croix rouge, de divers posters et documents. J’y frappe.
– Cinq minutes s’il vous plaît ! nous prit une voix féminine à l’intérieur.
Nous restons immobiles devant l’infirmerie. Je jette de temps en temps un coup d’œil à la pendule accrochée au-dessus du panneau d’informations. Après deux minutes d’attente, je vois le fameux jeune homme passé accompagné d’un surveillant. Son aspect de pauvre victime tombe le temps de nous adresser un sourire narquois qui s’apparente à un « vous allez le payer ».
Je déglutis avec difficulté quand je comprends ce qu’il s’apprête à faire : il va se plaindre aux CPE.
Ma raison se libère d’un coup de pied de sa cage et commence à hurler dans ma boite crânienne. Je te l’avais bien dit ! Tu vas le regretter ! Enfin, si ton père te laisse en vie après un affront pareil ! Bonne chance Iris !
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