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Dans la vieille Citron du professeur, Doc se lamentait, étant malade dans les voitures françaises. Non, ce n’était pas mauvais esprit, ni anti-patriotisme primaire, c’était une sombre constatation basée sur les faits. Comment ? De quoi je me mêle ? Mais… Bon reprenons.
— Où allons-nous ? demanda le professeur.
— Nous sommes des fugitifs recherchés, se plaignit la belle Cécile, honnête bourgeoise emportée dans cette aventure folle, malade rien qu’avec un PV pour stationnement.
— Pfff ! Il n’y a pas de police, c’est la France ! La gendarmerie a fermé il y a deux ans maintenant. Le père Pain ne perdra pas son temps aller porter plainte. Surtout qu’en réalité, vous n’avez rien volé en fait.
— Et ce coffre, finalement ? demanda Cécile rassérénée par l’effet Doc.
— Bah, il y avait un thesaurus dedans.
— Mais de quoi parlez-vous enfin ? s’agita le professeur.
— Il a raison en fait professeur. Le parchemin mentionnait bien un thesaurus et pas un trésor.
— C’est du vieux Français, voilà tout ! fit Syzygy agacé de n’avoir pas relevé ce « détail ».
— Heu, en réalité, ça n’a rien à voir, fit perfidement Doc.
La voiture pila sur la route déserte menant au lieu dit « La grenouillère ».
— Qu’est-ce que vous racontez ? fit le professeur.
— Un thesaurus c’est un recueil, un lexique de philologie ou d'archéologie et plus prosaïquement un dictionnaire exhaustif, fit Doc, visiblement satisfait d’étaler sa science.
Ce type avait trop lu de livres ! De tout temps on lui avait reproché d’avoir une trop grosse cervelle ! C’était une tronche qu’on avait envie de baffer… Comment ? Je m’égare ? Je ne fais que souligner un état d’esprit que tous les occupants de la voiture ressentaient… Reprenons.
— Je sais ce qu’est un thesaurus ! s’exclama le professeur, vexé comme un pou.
— Vous cherchiez de l’or et pas un document d’une extrême importance, dit Doc, qui prenait son pied à torturer le pauvre homme.
— D’une extrême importance ? s’étouffa Syzygy.
— Mazette… La liste des planques Templières avec leur contenu et leur emplacement exact. On peut tuer pour un truc pareil… En tout cas, moi… je pourrais.
— Qu’est-ce que vous dites ? agonisa le professeur.
— Professeur, vous vous sentez mal ? s’inquiéta Cécile.
— Mais ce type ! Ce type me tue ! glapit le pauvre homme, devenu écarlate, suffocant.
— Professeur ! Calmez-vous !
— Nous avons laissé le coffre et le thesaurus ! continua-t-il.
— Il n’en restait que des cendres… Quand on l’a consulté avec les potes, on n’avait pas de lampes. Alors Kevin a sorti le Zippo pour faire un peu de lumière… Et pfff! dit Doc.
Une bagarre terrible se déchaîna, le professeur perdant tout contrôle se retourna et tenta d’étrangler Doc avec un acharnement remarquable.
— Il est fou ! T’es fou dis ! beuglait Doc, qui tentait de contenir son fou rire.
Malgré les efforts de Syzygy, Doc respirait toujours et riait beaucoup, tandis que Cécile et Sylvie tentaient de séparer les deux hommes. Finalement le professeur lâcha prise et se retourna prostré sur son volant, pleurant à chaudes larmes.
— Ces vandales ont ruiné notre avenir, Cécile ! Ces jeunes sots incultes ! La jeunesse m’aura tout prit ! C’était notre chance de sortir de la médiocrité… Et voilà… Pfff !
— Allons professeur… La vie n’est pas finie… Nous…
— Quoi nous ? Vous et moi ? Vous m’avez bien regardé ? Vous perdez la tête ma chère !
— Mais…
Doc rajusta son col de chemise.
— J’ai dit que je l’avais consulté, le thesaurus… Et j’ai une mémoire photographique, insinua-t-il, diaboliquement.
Le groupe stupéfait se tourna vers lui, à sa grande satisfaction. Car rien ne fait plus plaisir au Doc que d’avoir l’attention sur lui. Ce type est un histrion, un clown ! Comment ? C’est un avis personnel ? Non, c’est une opinion répandue parmi les gens qui connaissent Doc ! Je ne fais que relater la vérité. Reprenons.
— Tu sais où se trouvent les trésors des templiers ? demanda Sylvie, follement agitée par cette révélation.
— I know, i know… Tout est là ! fit Doc, montrant son front, ménageant le suspens.
Le professeur se retourna, encore plus agité que Sylvie.
— Mais tu vas me le dire, hein ? Tu me le dois ! Racaille ! J’en ai besoin !
— Peut-être… Mais il faudra être sympa avec le Doc !
— Allons Doc, on vous a tiré du lynchage de la population Conchoise ! Je ne donnais pas cher de votre peau.
— C’est pas faux, minauda Doc.
— Qu’est-ce qu’il veut ? Il me tue ce mec ! Si j’avais un flingue, je l’aurais buté !
— Professeur, ça n’aurait pas été très malin, fit Sylvie.
— Certes, admit le professeur. Mais… Il est chiant quand même.
— À qui le dites-vous, approuva Sylvie.
— Qu’est-ce qui vous ferait plaisir Doc ? demanda la belle Cécile, papillonnant des cils.
— Un peu de repos, un bon repas… et…
— Et ? demanda le groupe agacé.
— Baiser la Suissesse !
— Il est malade ce mec ! s’indigna Sylvie. Il me prend pour une pute !
— Allons, un bon mouvement, fit le professeur… Pour la science ! Nous sommes à la veille de découvertes fantastiques peut-être…
— Non mais ça va pas ! Tout ce que vous voulez c’est devenir riche. Elle a bon dos la science ! Au moins Doc est pas hypocrite. On sait ce qu’il veut ! Salaud !
— C’est non négociable ! fit Doc, croisant les bras sur sa poitrine.
— Enfin Doc, soyez raisonnable, fit Cécile. On ne peut pas la forcer...
— Vous aurez cinquante pour cent, dit le professeur. La fortune et la gloire...
— J’ai besoin de baiser ! beugla Doc, contrarié. J’ai mal à mon gonzo !
La stupéfaction fut générale. Comment un Docteur pouvait parler comme ça ? Cela dépassait l’entendement. C’était de la plus extrême extravagance.
Un silence pesant se fit.
— Bon, on ne va pas passer la nuit sur cette route pourrie quand même ! Amenez-moi à la gare, j’ai un train à prendre, moi. Vos histoires de templiers ne m’intéresse pas ! fit Sylvie.
La voiture fit demi-tour et reprit la direction du centre-ville. La morosité ambiante était à son comble. Pas de fortune pour le professeur. Pas d’aventure sentimentale pour Cécile. Pas d’aventure mystérieuse et de tourisme archéologique pour Sylvie. Pas de baise pour Doc.
Soudain, Sylvie s’agita :
— Arrêtez la voiture !
— Quoi ? fit le professeur, surprit.
— Stop ! cria Sylvie.
Se tournant vers Doc :
— Tu connais les emplacements des trésors des templiers ?
— Ouais ! C’est là ! Tout est là !
— Alors pourquoi tu ne les as pas cherchés ? Tu serais riche au lieu de faire des arrêts maladie !
— C’est compliqué !
Le professeur et Cécile se tournèrent vers Doc.
— Elle a raison ! gronda le professeur. Tu as menti ! Tu ne sais rien !
— Docteur ? Vous pouvez nous expliquer ? fit Cécile, pincée et très déçue du Doc.
— C’est compliqué…
— Nous avons les moyens de vous faire parler ! clama le professeur avec une intonation germanique très impressionnante, se ruant de nouveau sur Doc.
— Il est fou ce mec ! T’es fous dis ! beugla de nouveau Doc, hilare.
La voiture dansait sur ses suspensions molles au gré de la bagarre ambiante. Doc en profita pour se réfugier dans le décolleté de Sylvie qui ne put s’empêcher de le taper aussi.
Finalement, après de longues minutes d’un pugilat intense, le calme reprit et de nouveau un silence pesant.
— C’est un jeu de piste tordu, commença Doc, rajustant sa chemise.
Le groupe de nouveau buvait ses paroles.
— J’aime bien ton parfum, dit-il à l’attention de Sylvie.
— Ça ne va pas recommencer ? menaça la Suissesse, brandissant une main menaçante.
— T’inquiète… Les Suissesses vous êtes toutes frigides.
— Retire ça de suite ! s’indigna Sylvie.
— J’ai bien senti… Glaciale !
— Espèce de… commença Sylvie.
— Vous avez donc poursuivi les recherches ? demanda le professeur.
— Bah oui. Les potes étaient comme fous. Alors, on est allés au château de la Bissette, fermé et inoccupé depuis longtemps, à quelques kilomètres d’ici. On a bien trouvé une crypte cachée comme indiquée dans le thesaurus, sous un tapis dans la salle de bal. C’était lugubre… Restait des pianos, des fauteuils d’apparat… Comme si le temps s’était arrêté là… désespéré d’avoir à passer sur tout. Ça m’a filé le bourdon, vous pouvez pas savoir. Je suis super sensible aux ambiances, c’est dingue.
— Et après ? demanda le groupe qui se fichait éperdument des états d’âmes du Doc.
— On a forcé l’entrée, c’était la merde. Une porte en fer… Ça ne venait pas. Alors Fabrice a cherché les mortiers de feu d’artifice… On en avait toujours une cargaison pour foutre le bordel… BAM !
— Et ? fit le groupe éberlué et totalement consterné de l’inconscience des potes.
— Et ? La merde ! Mais la totale, alors… Parce qu’on en a fait des conneries, faut bien l’avouer, mais là… Alors là… On a battu des records…
— Mais quoi ? demanda le professeur, à bout de patience.
— La baraque nous est tombé sur la gueule, voilà. C’était pourri de chez pourri, les toitures étaient envolées depuis des lustres, l’eau s’était infiltrée partout… Toute pourrie la baraque. Ces châteaux c’est la ruine à entretenir, c’est pas possible en France avec les impôts confiscatoires… C’est la mort du malheureux propriétaire…
— Ta gueule Doc, s’indignèrent Cécile et Sylvie, scandalisées par le snobisme de Doc.
Le groupe médita un instant, puis Sylvie reprit :
— C’est pas possible… C’est un gag, fit-elle, morte de rire.
— Vous avez ruiné encore un trésor historique après avoir mis le feu au thésaurus, se lamenta Syzygy.
— Ruiné… C’est beaucoup dire. Parce que la porte n’a pas bougé d’un pouce. Recouverte de gravats mais toujours fermée.
— Vous dites que la crypte est intacte ?
— Oui, enfin, ça doit être pourri de moisi… Enseveli sous les gravats.
— On y va ! Par où ? fit le professeur.
— Sans moi, fit Doc. J’ai besoin de dormir. J’ai une grosse fatigue là. J’ai eu une journée de merde.
— Il n’a pas tort, dit Cécile. Allons à l’hôtel.
— Oui, il faut dormir ! approuva Sylvie.
— Nous ne trouverons jamais un hôtel à cette heure, dit le professeur.
— Je sais où… fit Doc.
La voiture fit à nouveau demi-tour et fonça vers de nouvelles aventures.
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