La Bouée
Étrange et déprimante ère confinée
Que l'on voudrait voir éphémère.
Qui s'étire, qui s'étire, qui s'étire....
Nous tanguons. Tout à coup devenus border-line.
En équilibre au bord du bord de la chute.
Et toujours dans nos têtes, une moustiquaire.
Seules les pensées passent au travers.
Seul le passé pense "de" travers.
Prendre une chambre à air de camion.
La gonfler.
En faire une bouée. Énorme, noire, rassurante.
La jeter à la mer avec soi dedans.
Flotter jusqu'à la déraison.
Peut-être atteindre l'horizon, qui sait...
Devenir alluvion.
Oublier le temps présent, si blême.
Si pesant.
Au diable le "Carpe Diem" !
Il était mieux le temps d'avant....
On l'avait semé, il nous sème
Ce temps, où l'on pouvait buller
Sans qu'on nous oblige à le faire.
Où "s’embrasser, s'aimer, danser"
Ignoraient les gestes barrière.
Ces temps passés à décoller
A coups de Ti-punch entre frères.
Où à tire-d'ailes, à toute allure,
On pouvait prendre la voie des airs
Sans devoir prouver l'impérieux
Et le pourquoi de nos affaires.
Un temps où l'air, à défaut d'être pur,
N'était pas si vicieux.
Un temps où l'air, quoique déjà vicié,
N'était pas si toxique.
Un temps où l'air, bien que rempli de stress,
Était moins angoissant.
Un temps qui nous rappelle
Tout ce qui existait sans qu'on y prenne garde.
Sans qu'on porte attention....
On trouvait tout normal.
Pour ne pas dire banal.
Mais voilà plus d'un an est advenu l'abrupt
Qui a tout chamboulé.
Qui fait qu'on se souvient.
Et la banalité s'est muée en rareté.
Vaporeux souvenirs tant ils sont exilés
Dans des brumes de mémoire qu'on tend à protéger.
Le monde lutte encore et pourtant s'habitue
A cette désolation.
Sens de l'adaptation...
Résilience.
L'être humain se débrouille pour survivre à l'absurde.
Prendre une chambre à air. La plus grosse et épaisse possible.
La gonfler.
En faire une bouée.
Antre pneumatique à défaut d'utérine.
La jeter à la mer avec soi au milieu.
Se laisser flotter,
Tout étonné d'être encore en vie,
Sans ressentir rien d'autre que notre présence
Dans le sas du sac et ressac aquatique.
Être absent à l'ici et maintenant...
Ancré aux temps d'avant.
On voudrait voyager à nouveau !
Humer des fragrances lointaines,
Sentir sur nos peaux tous les vents :
L’Autan, Le Mistral, Le Sirocco,
La Bise glaçante, le Foehn qui réchauffe et bouscule
Et la Brise qui fait que les rideaux ondulent
Lorsque des Alizés est revenu le temps.
Parcourir encore des routes, des côtes, des plaines
Et laisser nos yeux s'émouvoir
Des étendues de mottes de foin,
Des abords des fleuves, d'un parc éolien
Comme une réunion de géants graciles ...
C'est beau la vie quand on est libre !
Un champs de canne, de blé, de tournesols.
L'écume et la force des océans ivres.
Des enfants qui rigolent,
Cheminant vers l'école dans un doux babil ...
Entre les mains de mamie, une pelote de laine.
Plus de quoi sourire.
Tous ces petits riens qui sont TOUT
Et qu'un virus a mis sur OFF.
Faut pas qu'on devienne fous.
Plutôt, dans nos cerveaux et nos corps flottants,
Insuffler de l'espoir. Et se garder vivants
Afin que chacun d'entre nous veille un peu sur les autres.
Pas question qu'on se vautre.
Parce-qu'on sait regarder avec les yeux du cœur
Et que derrière nos masques on n'a pas oublié
De respirer un air primordial et sacré : l'Humanit'AIR.
Se mouiller aux embruns d'un avenir meilleur
Où la culture est partout, où l'on va au bistrot,
Où les élans sont salvateurs: au pas, au trot, au galop !
Se débarbouiller de nos peurs
Irrationnelles et destructrices.
Redonner à l'instinct sa ligne conductrice.
Équiper son âme de pales de ventilateur.
Tout laisser s'aérer, tout laisser s'envoler,
Re-oxygéner ses ardeurs.
Tout réinventer.
... Partir se baigner.
Prendre une chambre à air.
De camion , pour son diamètre.
La gonfler.
Bien fermement.
Mais pas à fond pour ne pas qu'elle éclate.
En faire une bouée sur la mer.
Une bouée qui ne manque pas d'air.
Et se jeter dedans. Comme un sauvetage.
Respirer à pleines bronches et à pleines branchies.
Chanter au ciel, danser au vent, crier ce bonheur en sursis.
Se laisser aller à un peu de gaieté...
Ça n'va pas nous noyer:
La bouée sait nager.
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