4 - Les Esprits Rouges 1
Sephenn déboula dans une contrée vallonnée, où l'air semblait un peu plus dense et où les déchets laissaient place aux broussailles et à l'herbe haute. L'adolescent marqua une seconde d'hésitation, due au dépaysement, et regarda autour de lui avec perplexité. Le changement de nature, d'air et de bruit ambiant, si subit, lui permit de comprendre qu'il avait traversé un portail. C'était la première fois qu'il mettait les pieds dans le monde de Rasîl.
Le vampire se rappela à lui par un gloussement goguenard. Il émit un bruit de langue.
– Es-tu sûr d'avoir le droit de venir ici ? le nargua-t-il. Tes parents ont été ostracisés, cela implique que leurs rejetons n'ont aucune existence reconnue ici. Tu n'existes pas, cette terre ne veut pas de toi.
Il prit quelques secondes pour laisser l'insulte s'infiltrer dans l'esprit de l'adolescent, puis désigna le nord, vers une terre séparée d'eux d'un bras de mer étroit. Selon ce que l'adolescent savait, l'île volcanique de l'autre côté abritait deux civilisations : à sa surface, Vallynä, dans les énormes grottes et gouffres qui la creusait, les Territoires vampires.
– Si tu y tiens vraiment, le territoire vampire est par ici. Plus précisément, sous cette île. Je suis sûr que ton grand-père sera ravi de te souhaiter la bienvenue.
– Je n'ai pas l'intention de te laisser m'entrainer sur le territoire vampire, grogna Sephenn. Je t'aurais botté les fesses avant.
Le vampire s'enfuit dans un nouvel éclat de rire.
– Me botter les fesses ? Quelle cruauté… tu as bien du sang eflique ! Essaie déjà de m'atteindre, petit bâtard.
Sephenn bondit après lui, sa hargne aiguillonnée par ses propos.
Dans sa poursuite, Sephenn ne se préoccupait plus le moins du monde des risques et précautions. Il courait, obnubilé par l'urgence d'arrêter le vampire l'envie dévorante de le cogner et la vague conscience de le ramener à l'Inexistante. Il en oubliait le défilement implacable du paysage le conduisant vers le bras de mer et l'île aux deux peuples.
Sa proie ne raillait plus et se contentait de courir en louvoyant par moment pour éviter les rayons lunaires que Sephenn lui envoyaient. Cette condensation de lumière directe ou réfléchie du soleil venait des elfes et pouvait créer des petits rayons laser. Certains mevales maîtrisaient également la version lunaire, nommée sélénotropie. L'adolescent avait hérité de cette aptitude par le biais de sa mère, qui possédait la version solaire nommée héliotropie. À son niveau, il pouvait tirer quelques lasers argentés en présence de l'astre nocturne et accélérer à petite dose la guérison d'une plaie légère. Dans la situation présente, il cherchait à ralentir son adversaire plutôt qu’à le blesser.
Il crut entendre des bruits de pas vers sa gauche, mais ne vit rien d'autre qu'une épaisse forêt. Le vampire qu'il pourchassait se gardait bien de s'en approcher, suivant une route de terre battue entretenue. Celle-ci bifurquait pour se rendre vers un long pont plus à l'ouest qui reliait l'île au continent. La voie sur laquelle ils s'engagèrent l'un à la suite de l'autre menait vers une arcade prolongée par une avancée de roche au-dessus d'un trou.
La poitrine de Sephenn commençait à le brûler ; il courait trop vite pour maintenir une bonne endurance.
Il chercha à empêcher le vampire de s'engouffrer dans le passage et lui envoya un rayon lumineux dans les jambes. Le pourchassé se contenta de bondir.
Sephenn devait franchir l'interdit pour l'attraper.
Il n'hésita pas.
Une part de lui s'émerveillait de la transgression grâce à laquelle il découvrait la terre de naissance de son père.
Malgré sa forte envie de voir ce monde souterrain il devait attraper sa proie avant d'atteindre le bout du tunnel. Celui-ci défilait, défilait, défilait…
Des petits-miroirs accrochés sur les parois reflétaient la lumière de l'extérieur pour apporter le minimum de luminosité pour l'œil des nyctalopes. Petit à petit, la végétation reprit ses droits sur la roche à nue. Il fallait arrêter le fuyard.
Une de ses attaques atteignit le vampire et le força, pour la première fois, à répliquer pour garder son avance en lui envoyant une roche. Sephenn s'accroupit pour l'éviter et se propulsa en avant pour ne pas perdre de distance.
Il vit plusieurs couloirs partir du premier, que le vampire n'empruntait pas, il poursuivait droit vers le nord… où les attendait une forêt aux feuilles jaunes et blanches.
Sephenn ralentit l'espace d'une seconde, éberlué par les lieux. Les branches miroitaient sous l'effet des myriades de petits réflecteurs parsemant le plafond tels des petits fragments d'étoiles dorées. La voûte s'élevait rapidement pour se perdre au-dessus de la frondaison et une clarté transperçait les feuillages, trop blanche pour être celle du soleil couchant reflété par les miroirs.
L'adolescent se ressaisit et effectua un bond prodigieux en direction de son ennemi. Il allait l'atteindre, lorsque deux silhouettes encapuchonnées lui tombèrent dessus.
Essoufflé, seul et moins expérimenté, Sephenn se fit maîtriser rapidement. Tandis qu'il haletait, il réfléchit à toute allure à un moyen de se libérer pour s'enfuir. Face aux nouveaux arrivants il n'avait plus le moindre espoir d'attraper le vampire.
Ce dernier éclata d'un rire qui souffrait de son souffle court.
– Le petit bâtard court vite, le nargua le vampire en reprenant son souffle, mais tu as oublié que tu es un intrus ici : ton sang impur a activé les sentinelles postées dans le tunnel !
– En parlant de courir vite, tu as détalé comme un lapin, rétorqua Sephenn en sifflant.
Les deux nouveaux arrivants coupèrent net leur échange. À l'effet de leur attitude sur le vampire, ils avaient un ascendant hiérarchique sur lui. Ils étaient vêtus d'habits près du corps, de teintes brunes et grises, ornés d'une broche rouge sang, complétés par une capuche à laquelle était attachée un masque souple de cuir qui masquait la pâleur de leurs visages. Ainsi, ils se fondaient dans l'obscurité du gouffre. Était-ce les Esprits Rouges, gardiens du clan De La Lune ?
– Déclinez votre identité, fit le plus petit des deux.
– J'appartiens à la famille Lundore, répondit obséquieusement et encore haletant le vampire que traquait Sephenn. Mafarion de mon nom personnel.
– Et toi, elfe, nos sentinelles ont du mal à identifier ce que tu es vraiment. Qu'es-tu et que que fais-tu ici.
Tentant de contrôler son souffle pour faire meilleure figure, Sephenn choisit de répondre honnêtement.
– Je suis métis vampire-elfe, je voulais attraper celui-là pour qu'il répare le tort qu'il a fait à mon père.
– Un mélange elfe vampire, répéta incrédule le plus grand. Je ne le croyais pas possible.
– Mieux encore, apprécia Lunedore. C'est le bâtard d'Elliot anciennement De La Lune.
La tension des Esprits Rouge changea, ils échangèrent un regard.
– Que doit-on faire ?
– Quelle que soit sa nature, il n'a rien à faire là, répliqua l'autre.
– Certes, certes… je pensais plutôt à la peine qui s'applique ? Torture avant relaxe, peine de l'eau, écartèlement, jeux ?
Un trouble pesa sur les gardiens.
– Pourquoi ne pas l'offrir en jouet au Maître De La Lune, suggéra sournoisement Mafarion Lunedore. Il saura comment mettre à profit cette engeance…
– Ce cas exceptionnel ne nous permet pas de juger, trancha le plus petit. Amenons-le à Coldauteuil, nous y ferons appeler Sire Dylan De La Lune ; c'est le fruit de sa progéniture, à lui de décider de sa condamnation.
Dylan De La Lune, le père d'Elliot.
Bien qu'horrifié par sa situation s'il ne parvenait à s'enfuir, Sephenn se sentait intrigué par ce vampire. Beaucoup de non-dits entouraient les émotions de l'exilé envers son père, coupable de l'avoir renié et pourtant un modèle encore vivement présent.
Il était toujours dans ses pensées lorsque les deux gardiens le ligotèrent avec un filin cuivré qui lui aspira toute son énergie. Ils le bâillonnèrent également et ce fut seulement réduit au silence que Sephenn se rendu compte qu’il aurait pu accuser Mafarion d’avoir traversé un portail non surveillé entre les deux mondes. On – à savoir l'Inexistante – s'était bien chargé de lui rappeler que c'était interdit et qu'il devait immédiatement signaler un portail isolé, ceux-ci ayant la fâcheuse tendance à apparaître de manière aléatoire.
– Accompagne-nous jeune Lunedore, fit l'un des gardiens en hissant l'adolescent captif sur ses épaules.
– Je ne manquerais ça pour rien au monde, assura Mafarion.
Balloté, Sephenn testa la prise de son porteur : peine perdue. Ces deux vampires maîtrisaient la somarythmie de sorte à renforcer leur force et le filin bloquait celle de l'adolescent.
Il eut tout le trajet pour maudire son inconscience.
La forêt laissa place à une immense grotte au haut plafond couverte de champ et de prairies. Sephenn se tordit le cou pour voir la voûte terrestre et vit une végétation qui s'agrippait dans les anfractuosités de la roche. Des plantes tombantes projetaient une lumière blanche, proche de celle des lucioles, par leurs baies. Voilà ce qui éclairait la grotte en complément des réflecteurs.
Le lieu s'imprégnait de multiples couleurs, les teintes claires des plantes et des fleurs contrastaient avec la roche et le sol sombre. Quelques habitations de bois et de torchis ponctuaient le paysage, à côté de petits bois.
Quelle vision magnifique ! Si seulement il n'y assistait pas à moitié tordu sur le dos d'un géant baraqué…
Il eut une pensée pour ces histoires d'indiens qui disaient « c'est un beau jour pour mourir ». Lui espérait bien survivre et s'enfuir… mais comme dernière vue, il y avait pire.
Les deux gardiens ne lui permirent pas d'admirer la vue plus longtemps, l'un saisit Mafarion et tous deux se mirent à faire des bonds en avant d'une puissance telle qu'ils semblaient voler au-dessus du sol. Cette maîtrise pointue de la somarythmie se montrait rudement efficace pour se déplacer.
(à suivre dans la partie 2)
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