– Tu es toujours là petit ? s'inquiéta Aldor.

– Oui, le rassura Sephenn, j'ai vos souvenirs en moi, je peux vous promettre que je ne vous oublierais jamais.

– Merci… souffla le vampire.

Sephenn sentit toute sa gratitude.

– Les elfes ont des pouvoir bien utiles… dit Aldor.

– J'ignorais que c'était possible, avoua Sephenn.

–Parle-moi de toi petit, de tes parents, de ta vie.

La respiration d'Aldor s'était apaisé, et si son souffle était faible, il semblait assez robuste pour vivre encore quelques temps. Sephenn pria intérieurement pour qu'il tienne le plus longtemps possible, un peu égoïstement, certes, car discuter avec le vampire le rassurait, au moins autant, qu'il faisait du bien à Aldor.

– Comme je te l'ai dit, mes parents sont tombés amoureux l'un de l'autre, malgré leur différence de nature et la haine qui oppose leur peuple. Mon père s'appelle Eliott et ma mère Alicia. J'ai deux frères et une sœur, je vais te montrer leur visage.

Sephenn lui transmit les images de sa famille.

– Chez les humains, nous vivons le jour, mais dans notre maison, nos parents nous ont appris leurs cultures. Papa nous a appris à chasser.

– Ton père me dit quelque chose… remarque Aldor.

– Il est le fils aîné de Dylan De La Lune, expliqua Sephenn.

– C'est cela.

– Mon père était l'héritier du clan De La Lune, mais il a été démis de son titre et renié après avoir décidé de se marier avec maman.

C'était assez étrange de raconter sa vie à un inconnu… sauf qu'Aldor n'était plus un inconnu pour le jeune métis.

– À quoi ressemble-tu ? J'aimerais te voir aussi…

Avec un petit sourire, Sephenn lui visualisa son visage, tel qu'il apparaissait sur les photographies.

– Tu ressembles… commença Aldor.

– À mon père ?

– Non, oui, je pensais à lui… Sagremore, oui, tu lui ressemble un peu.

Sagremore Des Lunes. Sephenn visualisa son visage provenant des souvenirs d'Aldor. Un mevale âgé, dont l'épaisse chevelure argentée tendait à blanchir, encadrant un visage large arrogant teinté de malice. Un homme aussi élégant et raffiné que Dylan De La Lune, mais dans une mode plus chargée en pièces de vêtements, bijoux et brillance. Est-ce que Sephenn lui ressemblait vraiment ? Ce n'était pas impossible, mais il ne pouvait pas l'affirmer.

– Papa m'a dit que sa mère était une Des Lunes, se rappela Sephenn, Sagremore doit être un de ses frères ou cousins.

– Elliot De La Lune… Sagremore m'avait parlé de lui, il me semble.

– Vraiment ?

– Cela me revient. Il déplorait son exil. Ton père était un chasseur particulièrement doué, selon lui, et un grand meneur d'hommes.

Sephenn sourit, ravi d'entendre vanter les mérites de son père. Il souhaita qu'Elliot l'entende aussi, certains vampires persistaient à le respecter, malgré son mariage.

– J'aurais aimé rencontrer ton père, regretta Aldor.

– Courage Aldor, je sais que cela peut paraître naïf, mais je suis sûr qu'il parviendra à venir me sortir de là, et nous te libèrerons aussi. D’ailleurs, je compte même tenter de m'échapper avant, et je ne te laisserais pas là.

– Si tu devais avoir la chance de t'enfuir, ne t'encombre pas de moi, répondit le vampire, bien qu'il doutât un peu de ses chances de réussite. Parler m'épuise, j'accepte ma mort prochaine. Ma seule crainte est de mourir oublié. Si tu devais fuir, promets moi encore d'annoncer ma mort aux miens. Apprends-leur que mon honneur n'a pas eu à souffrir dans mes derniers jours, et que je les attendrais paisiblement à l'Erryka.

Sephenn n'eut même pas le courage de le contredire.

– Je te le promets, se contenta-t-il de dire incapable de mentir ou de trouver une phrase pleine d'espoir possible.

Aldor, ne dit plus rien, mais Sephenn sentit sa gratitude. Le vampire s'endormit, éreinté par l'effort qu'il avait dû fournir pour la discussion mentale. Le jeune homme écouta son souffle régulier ralentir, il craignit un instant qu'il ne cesse, heureusement la respiration d'Aldor se stabilisa. Rassuré par le contact mental avec le vampire, il le maintint et s'adossa contre les barreaux de sa cage.

Sephenn visualisa le visage d'Aldor, tel que ce dernier se voyait. C'était un homme grand, la peau pâle, des yeux bleu translucides, il portait des favoris blonds.

Entre deux gémissements, Sephenn entendit un bruit feutré d'eau qui coulait, gouttant ensuite de la cage jusqu'au sol, quelques mètres plus bas. L'odeur âcre de l'urine parvint au nez du jeune homme, qui ne s'en formalisa pas, en quelques heures il s'était habitué aux odeurs de sueurs et de déjections.

La fatigue finit enfin par vaincre l'inconfort de sa situation et il accueillit avec reconnaissance l'inconscience du sommeil.

Ses rêves furent agités. Il revivait la vie d'Aldor à travers ses souvenirs. Il le suivit dans ses amours, dans sa vie, au sein de cette immense cité aux allures de ville russe fantastique, qui n'avait rien à envier à Paris, où les vampires vivaient en guildes dans l'arrière-plan. Il vécut avec intensité ses semaines de résistance dans l'arène De La Lune.

Puis il retourna dans la cité. Au fond d'une rue sombre, il passa une porte solide, en traçant un signe sur le linteau. Dans la pièce, plusieurs enfants jouaient ensembles, sous le regard attentif d'adultes de tous âges qui se détendaient. Des vampires. Une femme rousse s'approcha de lui, un sourire ravi découvrait ses canines aiguisées. Elle l'enlaça et il lui rendit son baiser passionné. Comme il l'aimait ! Un bambin s'agrippa à leurs jambes et protestait de son babillage. Il le prit dans ses bras et le bambin émit un gazouillis satisfait.

Ketchenka, Heriis.

« Ne m'oublie jamais, tu me l'as promis. »

Le jeune homme s'éveilla en sursaut, couvert de sueur et le cœur battant à tout rompre. Une migraine atroce lui enserrait le crâne, et son ventre criait famine. D'abord désorienté, Sephenn se rappela où et qui il était. Il se demanda ce qui l'avait réveillé. Le cachot semblait aussi « calme » qu'auparavant, rien ne semblait avoir remué. Il supposa d'abord que c'était sa faim qui l'avait tiré du sommeil ou bien son rêve. La femme et le bambin… la compagne et le fils d'Aldor.

Soudain, Sephenn réalisa ce qui l'avait réveillé. Le contact était rompu. Il tendit l'oreille, refusant d'abord d'envisager cette possibilité, mais, parmi les gémissements, il était impossible d'être sûr. Il tendit ensuite l'esprit pour renouer le contact. Et dû se rendre à l'évidence.

Sephenn ne retint pas son sanglot. Dans ce cachot noir, empuanti, où les prisonniers étaient des morts en sursit, le jeune homme pleura le décès d'Aldor Ivankov, le vampire qui avait donné sa vie par peur du néant.

« Ne m'oublie jamais. »

Elias Bore regardait fixement le dossier sur son bureau. La tête reposant sur sa main, il s'efforçait vainement de comprendre ce qui y était écrit. Les quelques heures de sommeil dans la salle de repos avaient été insuffisantes. Bloqué au palais par ses obligations, il avait dû envoyer un messager prévenir Alicia des dernières nouvelles.

Janus Enslow avait contacté un sorma de ses amis, appartenant au clan De La Lune. Puisqu'il ne fallait pas attendre grand-chose de la part de vampires le jour, espérer que le sorma revienne en début de soirée était très optimiste. Voire même irréaliste. En attendant, Elias avait cru bon de ne pas informer Elliot de la disparition de son fils, à l'heure actuelle, il ne pouvait même pas certifier que Sephenn était aux mains des vampires. Qui sait, peut-être s'était-il échappé ?

Le magistrat s'appliqua à ne pas penser à une autre possibilité plus déprimante et s'encouragea à reporter son attention sur le dossier. Il pria ensuite que son beau-frère parvienne à garder son sang-froid.