12 - Enlèvement 1

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Enfoncée dans un fauteuil, Alicia regardait ses enfants dormir. La nuit touchait à sa fin. La fatigue nerveuse qui l'habitait en permanence l'empêchait de dormir. Elle passait son temps à chasser les mauvaises pensées de son esprit.

Une mère devait être forte, car ses enfants calquaient leurs émotions sur celles qu'elle irradiait. Si Alicia paraissait inquiète, l'angoisse des enfants prendrait le dessus, alors elle devait donner l'impression d'être tranquille et sûre d'elle pour les apaiser. Au moins, quand ils dormaient, Alicia pouvait se laisser à sa déprime.

Elle comptait les heures depuis l'évasion d'Elliot et s'angoissait à l'idée que le pire puisse arriver. Sans même être capable de déterminer ce qui pourrait être le pire.

L'Inexistante avait fouillé la maison de fond en comble dans la journée en quête du fugitif. Alicia avait bien été en peine d'expliquer la provenance des sachets de sang entreposés. Si la plupart avaient été réalisés par Elliot, lors de ses chasses, certaines provenaient d'un marché noir et contenaient du sang humain. A l'apogée de la journée, le commandant Schillig était parvenu à une chose rare : faire sortir Alicia de ses gongs. Au bord de l'hystérie elfique, elle lui avait rétorqué que la présomption d'innocence existait toujours, qu'Elliot était parti dans les territoires vampiriques sauver son fils et qu'il ne servait à rien de s'acharner sur eux.

– Depuis notre arrivée en Junsîl, votre présence ne nous attire que des ennuis ! Sortez de ma maison, oiseau de malheur !

Elliot n'étant pas dans la maison, tous partirent, laissant l'elfe plus affaiblie que jamais.

Vingt ans de combat, de sacrifices terribles et d'abnégation, pour vivre la vie qu'elle entendait et voilà le résultat. Un combat de plus. C'était tellement injuste ! Tout ce qu'elle demandait était de pouvoir vivre tranquillement avec Elliot. Elle avait accepté l'ostracisme pour ça. Or, cela déplaisait et on venait s'acharner sur eux, quand ils voulaient être oubliés.

L'insistance de Schillig lui avait fait changer d'état et Alicia était passée de la déprime à la rage. Hélas, elle n'en trouvait pas d'exutoire. Si elle n'avait pas eu les deux petits, elle se serait précipitée en Ragguî pour plaider sa cause, malgré l'exil. Mais elle avait Rodyle et Tatian, et personne à qui les confier. Trop dangereux, maintenant que les vampires s'infiltraient en Junsîl impunément.

L'Inexistante avait placé des hommes devant la maison, pour guetter Elliot. Au moins feraient-ils office de protection si quelqu'un d'autre arrivait. Maigre consolation.

Alicia avait poussé les meubles de son salon pour y installer ses enfants. Depuis la disparition de Sephenn, elle voulait les garder sous les yeux. Elle les avait même retirés de l'école, sous prétexte de les protéger des remarques méchantes des autres élèves sur les derniers événements – et c'était justifié. Les humains étaient de tels persifleurs ! Et hypocrites de surcroit. Des amies d'Alicia l'avaient appelée pour prendre de ses nouvelles, après l'acte affreux qu'avait commis son mari. Toutes avaient fait mine de la croire, quand elle affirmait que c'était une erreur judiciaire, mais l'elfe n'était pas dupe. On la prenait pour l'innocente aveuglée par l'amour sur son monstre de mari.

Quelles garces. Il était difficile de mentir à une elfe et Alicia appelait « amie » ce qui s'y rapprochait le plus, à savoir des anciennes collègues et des voisines. Elle n'avait pas cherché à rencontrer les autres elfes diurnes installés dans les environs. Les voisins n'étaient pas les derniers à jaser.

C'était un cauchemar, un mauvais rêve dont elle ne pourrait pas se réveiller avant son dénouement, quel qu'il soit. Alicia se triturait les méninges pour savoir ce qu'elle pouvait faire, afin avoir un fin heureuse… ou au moins éviter la pire option.

Elle quitta brusquement ses sombres pensées en entendant les aboiements affolés des chiens des voisins. C'étaient de grands chiens de garde, bien éduqués, qui ne donnaient pas de la voix à toute heure au moindre rongeur qui passait. Les entendre en pleine nuit la réveillait toujours, justement du fait de la rareté. La fureur de leurs aboiements l'alerta. Elle se leva lorsque Luna et Rodyle bondirent sur leurs pieds. L'aînée alla se saisir de l'épée à deux mains, qui trônait sur un mur, avant d'enfiler en vitesse ses tennis. Un chien se mit à hurler à mort, puis le silence se fit encore plus menaçant.

– Rodyle, reste près de moi, intima Alicia.

Malgré son potentiel de chasseur vampirique, le garçon n'était qu'un enfant de dix ans et Alicia savait quel point il avait tendance à l'oublier.

Des bruits de pas apparurent entendre dans l'allée. Aussi doux qu'ils étaient, les intrus ne parvenaient pas à tromper les oreilles de l'elfe. Alicia se baissa pour prendre Tatian dans ses bras et se dirigea résolument vers une étagère, qui masquait l'entrée de la cave. Cette petite astuce, qui résistait à des visites et fouilles superficielles, permettait de disposer d'une cachette pour les entrainements à la magie et les objets non humains. Les fioles de sangs les plus suspectes y étaient, d'ailleurs. Elliot avait sécurisé le passage d'une porte blindée, l'elfe espérait s'y calfeutrer avec ses enfants. Elle était en train de pousser l'étagère, lorsqu'un bruit de verre la fit se retourner.

Une forme noire traversa la porte vitrée, en la brisant en mille éclats. Aussitôt, Luna bondit à sa rencontre, la pointe de l'épée en avant. La lame s'enfonça dans le corps de l'intrus, qui mourut sur le coup. La jeune fille se dégagea du cadavre et le laissa s'affaler sur le sol. C'était un vampire, sans surprise.

Alicia tenta d'ouvrir fébrilement la porte avant qu'un autre arrive.

Peine perdue.

Une autre créature débarqua de la fenêtre, sur l'autre mur du salon, tandis que deux silhouettes noires apparurent devant la porte-fenêtre. Des bruits de portières et des voix signalèrent que les membres de l'Inexistante avaient été alertés par le bruit. Pour une fois, l'elfe apprécia leur présence.

Luna ne se laissa pas impressionner et elle leva un bouclier lunaire, avant de cingler de sa lame d'acier vers le vampire le plus proche. Plus averti que son prédécesseur, il recula prestement et évita l'entaille mortelle. Des coups de feu retentirent et le vampire ressortit pour affronter les nouveaux opposants.

Luna, elle enlève Rodyle !

En effet la femelle rentrée par la fenêtre avait attrapé le garçon à sa portée et l'avait entrainé à l'extérieur. L'adolescente la poursuivit, en rugissant de rage, tandis que son frère se débattait autant que possible face à sa ravisseuse.

Ulcérée par l'enlèvement de son fils, Alicia oublia l'idée obsolète de se réfugier dans la cave. Elle sortit à son tour dans le jardin, pour voir les attaquants affronter des membres de l'Inexistante. D'ailleurs, elle vit le jeune inspecteur junsîlien voler contre un arbre ; le vampire responsable de l'acte se détourna de l'humain pour aller attaquer un lycanthrope plus loin. Sa fille repoussait le vampire qu'elle avait manqué plus tôt. Restaient deux vampires, qui combattaient des elfes nocturnes et une sorcière.

Tatian s'était réveillé, sous l'agitation, et Alicia lui envoyait des ondes télépathiques pleines de réconfort, pour apaiser son angoisse. Le bambin ne comprenait rien à ce qu'il se passait et projetait sa télépathie, sans parvenir à se contrôler, dans un besoin vital de compréhension. L'elfe éleva un bouclier mental autour de l'esprit de son benjamin, pour l'isoler de la rage qui occupait l’esprit des combattants, et se précipita vers l'inspecteur.

Il respirait encore, mais sa tête avait été salement amochée. Alicia n'était pas une guerrière, ni vraiment une grande magicienne, heureusement, elle maîtrisait assez la magie pour soigner un peu. Le soin se déversa dans le crâne de l'humain pour en ressouder la fêlure.

Manaa se réveilla péniblement, avec un grand mal de crâne, et vit une belle femme penchée sur lui avec une lueur inquiète dans ses grands yeux gris. Il comprit qu'il avait été sérieusement blessé et qu'Alicia Bore venait de le sauver. Il ouvrit la bouche pour la remercier et balbutia une mise en garde lente, quand une forme sombre se profila derrière l'elfe.

Le vampire qui s'en était pris à l'inspecteur l'avait remarquée. Il l'enserra dans ses bras, pour lui planter ses crocs dans le muscle à la base du cou. Sous la violence de l'acte, elle lâcha Tatian qui retomba sur l'humain. Manaa repoussa en panique le garçonnet derrière lui, brandit son pistolet et tira à bout portant. À cette distance, la créature rasîlienne n'eut pas le temps de comprendre le danger, ni de l'éviter et fut projetée en arrière. L'inspecteur rattrapa en justesse l'elfe. Le vampire lui avait arraché une partie de chair et son sang s'écoulait à flot.

– Merde, merde ! Madame Bore, vous m'entendez ?

Elle leva ses grands yeux qui s'embrumaient vers lui et souffla.

– Mes enfants, protégez-les. Tatian, Rodyle…

(suite du chapitre à la partie 2)

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