21 : Prison de métal, prison de coton 2

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Il s'était réveillé le cerveau cotonneux, la bouche pâteuse et le corps perclus de douleurs, mais malgré tout, en bien meilleure forme. À vrai dire, il ne parvint à déterminer combien de temps il avait dormi ; au vu de la luminosité, plus proche de la nuit que du jour, il avait le choix entre un couple d'heures, ou plus de vingt-quatre. Selon son estomac, c'était la première option. En effet, l'adolescent ne pouvait imaginer passer une journée entière de jeûne, sans avoir l'estomac qui se torde de douleur. En l'occurrence, son organe, négligé par l'emprisonnement, se contentait de le tirailler.

Sephenn s'extirpa du lit par un effort de volonté admirable, selon ses critères, tandis que ses articulations protestaient de la sollicitation, après un trop court repos. Ce qui restait de ses habits collait à sa peau empoissée de sueur et de sang.

Le baquet d'eau limpide se para, alors, d'un attrait irrésistible, mais d'abord, l'adolescent engloutit la moitié de la cruche d'eau, posée au pied du lit. Jamais de l'eau banale ne lui avait semblé aussi délicieuse !

Un doute le saisit lorsqu'il retira ses vêtements, devait-il les laver ou les jeter ? Les pièces de tissus, soigneusement pliés à côté du baquet, répondirent à son interrogation et il acheva les siens, avant de les balancer dans un recoin. Il plongea ses bras dans l'eau et frissonna en la sentant froide, hélas il n'avait aucun moyen de la réchauffer.

Un courant d'air filtrait par la fenêtre naturelle, gorgé d'humidité de la pluie qui tombait en cataracte sur une surface d'eau, dont il n'avait eu aucune idée auparavant.

– En gros, j'ai le choix entre avoir froid le temps de sécher ou rester puant et collant.

Une seconde après, il nouait ses cheveux pour s'arroser copieusement la peau. Il se frictionna vigoureusement, avec une éponge naturelle et un pain de savon parfumée au chèvrefeuille. La crainte de tomber malade le retint de faire subir le même traitement à sa chevelure, longue à sécher. Une toile de chanvre lui servit à s'essuyer de manière satisfaisante.

Enfiler les habits propres lui offrit un plaisir d'autant plus savourable qu'ils revêtaient une apparence symbolique de libération. Ils étaient constitués d'un pantalon léger brun et d'une chemise seulement boutonnée au niveau du col.

Revigoré par la toilette, Sephenn entreprit le tour de la caverne. En plus du lit et du baquet, elle comprenait une table, une chaise, un meuble pour entreposer des aliments et un coffre contenant des tissus divers. Rien d'autre.

Guidé par la faim, il entreprit d'étudier les aliments entreposés, et se servit sans scrupule dans un pot remplit de viande séchée. Cela eut le mérite de lui combler l'estomac, bien que sa nature en partie vampire réclamait du sang frais et abondant. Il n'avait le choix qu'entre ça et des fruits secs ou des céréales.

Son besoin partiellement rassasié, Sephenn voulut explorer le tunnel par lequel il était arrivé, sans toutefois avoir l'intention de le remonter jusqu'à l'air libre.

Peu de sons de l'extérieur arrivaient jusqu'à ses oreilles, si ce n'était que le bruit assourdissant des gouttes de pluie. Quant aux odeurs, il ne sentait qu'un relent d'humidité et de roche. Sephenn mobilisa son énergie pour avancer aussi loin que possible, avant de se rendre à l'évidence sur la difficulté de la tâche. En effet, le corridor naturel se divisait régulièrement en plusieurs branches, dont certaines étaient trop étroites pour l'adolescent et d'autres s'achevaient rapidement.

En humant bien, il était possible de suivre la piste empruntée par l'inconnu. Mais, même celle-là se dispersait entre deux-trois couloirs.

Sa tête recommençait à lui tourner et ses membres flageolaient. Il se concentra particulièrement au retour, avant de s'affaisser dans le lit pour se laisser happer par le sommeil.


Il commença à frissonner, sous l'effet de la cascade qui le trempait en poursuivant son chemin, et rentra de nouveau dans la caverne.

Sephenn n'avait pas tenté de prendre le tunnel en sens inverse. À son second réveil, en pleine nuit, il avait médité sur l'idée de parcourir les tunnels seul et s'était retenu de tenter de nouveau le trajet. Il était en état de convalescence et craignait particulièrement de tomber sur des vampires aux ordres du Maître De La Lune. Ce qui était probable si le mont creusé était réellement habité par le palais du Maître.

En un peu meilleure forme, Sephenn avait de nouveau faim et manquait d'énergie. L'esprit un peu plus clair, il ne souhaitait pas vider entièrement les réserves de l'inconnu qui l'avait amené ici. Le silence l'enveloppait, suite à la fin de la pluie, et la solitude se montrait plus poignante. Désirant se repérer par-rapport à d'autres vivants, Sephenn effectua l'acte, si banal pour lui, de lancer son esprit, pour recevoir un choc très violent en ressentant son impossibilité.

C'était comme s'il était amputé, amputé de sa télépathie.

– Qu'est-ce que c'est que ce délire  ! s'exclama-t-il à voix haute, comme pour exorciser ce qu'il ne pouvait exprimer par esprit.

Maintenant qu'il en avait pris conscience, il pouvait sentir la gangue cotonneuse, impalpable, lui encercler l'esprit. Sa première réaction fut de se frotter la tête à presque s'en arracher les cheveux.

– Allez, allez, allez libère-toi !

Rien n'y faisait, sa boîte crânienne se retrouvait étriquée et close.

Finalement il n'était pas libre, et cette cage-ci était cent fois pire que la précédente.

Pris d'une nouvelle crise d'angoisse, Sephenn cria son désespoir, indifférent au risque d'être entendu.

Parvenu à bout de souffle, recroquevillé sur le sol, l'adolescent inspira plusieurs fois de sorte à s'apaiser. Il se releva par un effort de volonté et tituba vers la fenêtre naturelle pour s'affaler devant, le corps et l'esprit vidé.


Des gouttes d'eau lui ruisselaient dans le dos, glissant le long de ses mèches, trempées par la cascade. Le vent frais le faisait frissonner par moment, mais il n'en avait cure. Il ne savait que penser de son mystérieux « sauveur » qui n'avait manqué de le priver de sa plus grande liberté. L'écho d'un hurlement de douleur se fit entendre au loin, aussitôt recouvert par un rire sardonique. Malgré son apathie Sephenn ne manqua pas de relever la consonance entre ces deux sons et l'humeur qui l'étreignait.

Un crissement chuinté atteignit son oreille, l'inconnu était de retour.

L'émotion plutôt neutre que lui inspirait cette nouvelle fut rapidement balayée par une soudaine gratitude lorsqu'une chaude odeur ragoûtante lui caressa les narines, réveillant d'un coup les prétentions de son estomac.

Un homme se glissa dans la caverne à pas silencieux. Si les vampires avaient la démarche aussi souple que celle des chats, celle des elfes était légère comme les oiseaux ; lui arborait un mélange des deux, belle souplesse aérienne.

Sephenn se détourna de la cascade pour déporter son attention sur son sauveur. Il tenait entre ses mains un ragondin encore vivant, qui respirait doucement, délicieusement rembourré.

– Faim ? fit-il avec un sourire amusé.

Un gargouillement sonore lui répondit, déclenchant un rire maladroit, un fond de rudesse qui s'essayait à plus de légèreté. Sephenn n'hésita pas un seconde  ; il bondit sur la pauvre bête, pour l'enlacer contre son visage. Il ressentit une jubilation en perçant la peau souple de son ventre chaud, et s'excita même, quand le ragondin s'éveilla et se débattit en couinant.

Le liquide chaud et savoureux lui jaillit sur le palais et la langue, il le lapa avec délice avant de l'aspirer goulûment. Enfin, il déchira le cuir pour mordre dans les entrailles chaudes, qu'il mâchonna soigneusement.

Ce fut une fois enfin rassasié qu'il déposa la dépouille, à moitié dévorée, sur le sol, pour porter une plus grande attention à ce fameux inconnu. Son apparence pleine de fausseté s'était dissipée pour laisser place à un adulte d'assez grande taille, aux muscles secs et au visage large à pommettes basses. Une partie de son anatomie captiva particulièrement Sephenn, à savoir la pointe de ses oreilles allongées d'elfes, que recouvraient en partie ses épais cheveux bouclés, à la teinte bleue-grise.

– Un elfe ! Comment ?

Il lui offrit un regard doux, en s'accroupissant pour se mettre à sa hauteur.

– Tu t'es barbouillé le visage. Es-tu rassasié maintenant ?

Sephenn s'essuya la bouche avec le bras, avant d'en lécher les dernières traces de sang, sous le regard bienveillant de l'elfe.

– Que fait un elfe en plein territoire vampire ?

Un sourire découvrit ses dents. Il fallut quelques secondes à l'adolescent pour réaliser ce que signifiait la taille de ses canines. Il frissonna, cette fois sous le coup de l'ébahissement.

– Nous sommes semblables tous les deux, fit le métis. J'avoue ne jamais m'être préoccupé de cette histoire de couple hors norme ou de leurs potentiels enfants. Maintenant te voilà et je m'aperçois que j'en suis ravi.

– Je pensais que nous étions les seuls métis vampires-elfes, se réjouit Sephenn, quelle surprise !

– Nous sommes rares. Dans un monde qui nous rejette, nous devons nous entraider.

– Je veux, oui !

Il recommença à frissonner, mais cette fois pour une autre raison. Le courant d'air sur ses cheveux et son dos mouillés commençait à vraiment le refroidir, tant, qu'il lâcha un éternuement.

– Tu es en train d'attraper froid, retourne à l'intérieur.

Enthousiasmé par cette rencontre imprévue, la déprime de Sephenn s'était envolée et, avec le ventre plein, il sautilla presque pour rejoindre l'intérieur de la caverne.

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