BOADICEE
Je me souviens.
Lorsque mourut la reine des Iceni, le peuple pleura la mort de leur reine.
Lorsque mourut la reine des Iceni, le peuple pleura la mort de sa liberté.
Lorsque mourut la reine des Iceni, je pleurai la mort d'une amie.
On enterra son corps et on en oublia l'emplacement de sa tombe.
Tant de siècles ont passé et je la pleure encore.
Je me souviens.
Boadicée était la reine des Iceni, un fier peuple de la région du Norfolk.
La Bretagne libre !
Rome vint en conquérant prendre cette terre et en soumettre sa reine.
Il le fit par de simples envoyés, comme s'il suffisait de montrer l'Aigle de Rome pour que chacun s'agenouille devant elle.
Boadicée refusa de se soumettre !
Humiliée, fouettée en place publique, ses deux filles violées devant elle, Boadicée releva la tête et promit la mort pour chaque Romain sur les terres anglaises.
Ses yeux brûlèrent de haine et de rage.
Je me souviens.
Lorsque se dressa la reine des Iceni, le peuple se dressa derrière sa reine.
Lorsque se révolta la reine des Iceni, le pays tout entier se révolta avec elle.
Lorsque partit au combat la reine des Iceni, je partis avec mon amie.
L'île de Bretagne, si petite et si insignifiante face au puissant empire romain, se souleva contre l'occupation romaine.
On lutta longtemps et on lutta avec rage.
Tant de siècles ont passé et la rage m'habite encore.
Je me souviens.
Boadicée était une merveilleuse femme, si belle et si puissante.
Si terrifiante à contempler.
La force de la déesse vivait en elle.
A la tête des tribus bretonnes, unies derrière la reine des Iceni, Boadicée détruisait, pillait, brûlait les villes. Camulodunum, Londinium.
Si cruelle.
Elle fit mourir les Romains et les Romaines, dans d'atroces souffrances.
Chaque cadavre était une vengeance pour les siens.
Mais l'était-il ?
Je me souviens.
Lorsque partait au combat la reine des Iceni, le peuple avait la même rage que sa reine.
Lorsque combattait la reine des Iceni, le peuple se montrait aussi impitoyable que sa reine.
Lorsque la reine des Iceni ordonnait de tuer les ennemis, je tuais pour mon amie.
Les Romains commençèrent à parler avec horreur de la femme rousse qui hurlait des ordres en chargeant sur un char, à la tête de son armée.
Armée de Celtes, vociférant et courageux, affichant leur corps couvert de peintures. Bleues !
Démoniaques aux yeux des Romains, indécis.
Tant de siècles ont passé et je ne me sens pas apaisée.
Je me souviens.
Boadicée partait au combat avec une tunique multicolore, son épais manteau était retenu par une broche scintillante et ses cheveux roux flamboyaient dans le soleil.
Autour de son cou, brillait son torque d'or décoré.
Sa lance frappait les ennemis alors qu'elle se penchait pour tuer ceux qui avaient le malheur de frôler son char lancé à pleine vitesse.
Boadicée ! L'âme immortelle de la Bretagne !
Mais après la victoire de Camulodunum, ce fut la défaite de Mancetter, dans une plaine du Warwickshire.
Suétonius Paulinus, le gouverneur de Bretagne, était un fin stratège.
Il engagea la bataille avec ses deux légions au complet sur le terrain de son choix.
Une plaine, vaste, sans arbre ni bosquet. Il pouvait y faire manoeuvrer ses légionnaires et briser l'attaque des Celtes, inconscients.
Suétonius gagna, malgré l'armée immense de Boadicée.
80 000 Celtes moururent sur la plaine de Mancetter tandis que les Romains n'en perdirent que quatre cents.
Terrible défaite !
Je me souviens.
Lorsque mourut la reine des Iceni, son peuple mourut avec sa reine.
Lorsque s'empoisonna la reine des Iceni, son peuple sut que son âme était morte avec sa reine.
Lorsque la reine des Iceni ne fut plus, j'aurais voulu mourir avec mon amie.
L'âme de la Bretagne venait de mourir.
Les Romains pouvaient prendre ses terres et ses femmes.
Et on oublia Boadicée.
Tant de siècles ont passé et je ne l'ai pas oubliée.
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