NIGHTINGALE
Je me souviens.
1853. La guerre faisait rage dans cette petite région perdue de Russie.
La Crimée.
Une guerre entre la Russie et une alliance composée de l'Empire Ottoman, du Royaume-Uni, de la France et du Royaume de Sardaigne.
Une guerre dans une petite région, oubliée des hommes et oubliée aujourd'hui.
Et cependant, une guerre moderne et effroyable.
Des blessés inombrables, le choléra, la dysenterie, des morts par centaines.
On manquait de médecins, on manquait de matériel, on manquait de transport.
Il y avait un hôpital militaire à Scutari, aujourd'hui Üsküdar à Istanbul mais c'était l'antichambre de l'horreur.
Les correspondants de presse en parlèrent au monde entier et le monde entier en fut choqué.
Et vous êtes apparue.
Jeune femme, issue d'une famille riche de la haute société britannique, cultivée et déterminée.
Florence Nightingale.
Et les choses prirent une autre tournure.
Je me souviens.
La guerre et ses atrocités.
Chaque jour, les journaux évoquaient les terribles conditions de vie des soldats perdus dans ce conflit.
La guerre de Crimée, une région si petite sur la carte, un conflit aux allures de guerre européenne
Pour combattre la Russie, les alliés débarquèrent à Eupatoria en Crimée le 14 septembre 1854.
Il y eut ensuite la victoire de l'Alma contre la Russie.
Et soudain, le front se stabilisa et se couvrit de tranchées.
Le froid, la faim, les maladies, les problèmes d'approvisionnement rendirent la vie des soldats horribles et firent plus de morts que les combats.
Des milliers de victimes, russes, françaises, anglaises, turques, italiennes.
Une guerre faite de tranchées et d'encerclement, d'offensives et de contre-attaques.
Vaines et meurtrières.
Et vous êtes venue.
Jeune infirmière, malgré la volonté de vos parents, formée à l'hôpital de Salisbury.
Florence Nightingale.
Ne regardant ni la religion, ni l'origine, mais cherchant à soigner et à apaiser tous blessés victimes de cette guerre monstrueuse.
Et les journaux furent sceptiques quant à l'intérêt d'exposer des "dames" aux dures réalités des hôpitaux militaires.
La guerre n'était pas une affaire de femmes, disait-on.
La suite leur prouva qu'elle l'était et que les femmes valaient bien les hommes en courage et en abnégation.
Je me souviens.
Sébastopol, Malakoff...
Des noms qui retentissaient comme des victoires pour les Alliés et des défaites pour les Russes.
Mais qui coutèrent tant de vies...
Florence Nightingale obtint le droit des autorités anglaises pour partir en mission en Crimée, accompagnée de seulement trente-huit infirmières. Catholiques et protestantes confondues.
Une quarantaine de femmes arrivèrent à Scutari, en Crimée.
Prêtes à soigner les blessés et à endurer les privations de la guerre.
Mais ce furent tout un service médical d'urgence qu'il fallait créer.
Les réserves de médicaments étaient limitées, l'hygiène inexistante, les infections de masse courantes et fatales.
Le personnel médical était débordé et les officiers avaient autre chose à faire qu'à se charger des blessés.
La guerre se poursuivait et on soignait durant les combats comme on pouvait.
On méprisait ces quelques femmes venues visiter les blessés.
Même la nourriture des soldats blessées était négligée et aucun équipement n'était prévu pour cela.
Et vous avez été héroïque.
Vous et vos infirmères nettoyèrent, organisèrent.
Florence Nightingale.
Ne perdant pas espoir, malgré les morts, malgré le mépris, malgré l'éloignement, malgré le manque de matériel.
Et vous ne cessiez d'appeler à l'aide l'état-major et les gouvernements.
Un jour, on vous écouta ! Une commission sanitaire vint à Scutari et on nettoya les égouts, on installa un véritable système de ventilation.
Comme vous le demandiez.
Le nombre de morts commença à diminuer dans votre hôpital de Scutari.
Et on commença à vous regarder autrement.
Je me souviens.
Le manque d'alimentation, l'épuisement, les maladies dues aux infections...
Florence Nightingale informait les gouvernements de la réalité du terrain, elle vint même témoigner à Londres auprès de la Commission royale pour la santé dans l'armée.
Ce fut le début des soins infirmiers modernes et de l'utilisation des statistiques dans le domaine de la santé.
On ne mourait pas par hasard dans la guerre.
Mais du manque de soin et d'hygiène, des mauvaises conditions de vie et des hôpitaux mal conçus.
Ce fut grâçe à ce qu'elle vit en Crimée et à ce qu'elle témoigna de la guerre que l'établissement du Nightingale Fund (Fonds Nightingale) fut créé pour la formation des infirmières grâce à des donations privées et publiques.
Il fallait former les infirmières, il fallait améliorer les conditions sanitaires des hôpitaux, il fallait changer toute la conception de la médecine de terrain pour pouvoir mieux soigner les blessés de guerre et ainsi pouvoir sauver des vies.
Ce fut le combat que mena Florence Nightingale toute sa vie, malgré une santé chancelante.
En effet, une fatigue chronique, liée à une fièvre contractée en Crimée força l'infirmière à rester souvent alitée jusqu'à sa mort en 1910.
Mais grâce à l'action de Florence Nightingale, des infirmières, mieux formées et mieux organisées, partirent au front durant la Guerre de Sécession (1861-1865) aux Etats-Unis, puis au Japon...
Florence Nightingale devint un modèle et elle l'est toujours aujourd'hui.
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