Incompréhension.
Rosita marchait dans la nuit noire. Un silence mortel résonnait au creux de ses oreilles, et son sang dansait tranquillement à travers le réseau veineux de son corps. La vue parfaitement habituée à l'environnement obscur.
Qu'est-ce qu'elle aimait cette ambiance, cet état d'excitation et de calme qui se mélangeait à l'adrénaline et formaient cette sensation de bien-être et de plénitude.
La nuit était synonyme de liberté pour Rosita. C'était à ce moment-là que son esprit vagabondait le plus, triant ses pensées et gérant ses histoires en tous genres. Les bruits de la vie nocturne agrémentaient petit à petit les récits imaginaires de la jeune femme.
Elle avait bien conscience qu'elle paraissait louche, voire même effrayante, toute vêtue de noire et la capuche enfilée sur le haut de crâne, mais ça l'importait guère. Elle était dans sa bulle et ne faisait aucun mal. Si un vandalisme était commis dans la nuit, les caméras qui truffaient la ville monteraient bien son innocence dans toute implication criminelle.
Les potentiels dangers qui rôdaient à travers les rues ne semblaient pas inquiéter Rosita. Peut-être avait-elle de quoi se défendre ? Peut-être s'en fichait-elle ou que rien n'était réelle source de danger pour elle ?
Comme chaque nuitée, Rosita arpentait sa commune en effectuant le trajet habituel. Passant devant son ancienne école primaire, puis son ancien collège, elle souriait nostalgiquement en se remémorant à quel point les problèmes de l'époque étaient bien moins conséquents. Un long soupir sortit de sa bouche tandis qu'elle secouait la tête pour ne pas se perdre dans ses souvenirs. Elle devait rester dans le présent.
La jeune femme enchaîna son trajet en se mouvant gracieusement et silencieusement entre chaque tombe du petit cimetière. Chaque pierre tombale avait le droit à une pensée positive, chaque endroit dépourvu de fleur ou de présence sentimentale se voyait tendrement caressé par les fins doigts de Rosita. Son passage dans le lieu de paix semblait apaiser le silence souvent lourd qui entourait le cimetière. Comme si les personnes reposant ici, étaient toujours plus paisibles grâce à elle.
Sortant par l'arrière du cimetière afin de longer la forêt de feuillus, Rosita fut surprise de détecter une ambiance et une odeur différentes. Elle fronça les sourcils et freina le rythme de marche. Quelque chose clochait, et elle n'aimait pas ça.
Un coup de vent se leva brutalement, la faisant presque reculer dûe à l'intensité. La bourrasque était remplie de morceaux visqueux d'une matière qu'elle reconnut comme les feuilles d'arbres, mais elle ne comprit pas pour la viscosité.
Le vent se calma aussi rapidement que son arrivée et Rosita reprit sa marche, tout en étant méfiante par ce qui pourrait de nouveau la surprendre.
Sa respiration fut coupée lorsqu'elle vit l'entrée de la forêt. Les arbres semblaient tous recouverts d'une bave gluante qui mangeait les feuilles comme de l'acide. Rosita leva la tête et vit que le ciel avait pris des nuances bleues, violettes qu'elle n'avait jamais vues auparavant. Son pouls s'accélera alors qu'elle commençait à paniquer.
Elle pouvait faire demi tour et rejoindre sa maison mais quelque chose en elle lui brûlait la poitrine d'excitation. Au bout de la forêt, elle pouvait apercevoir un énorme cercle blanc brillant. Sa curiosité était bien plus importante que sa peur, elle s'engagea donc dans la forêt, qu'elle parcourut rapidement car des bruits inconnus et plutôt effrayants se firent entendre à son passage tout au long du chemin.
Un hoquet de surprise et d'admiration se fit entendre de la bouche de Rosita.
— Bordel, c'est de toute beauté !
Devant ses yeux éberlués se trouvait une pleine lune immense et semblant être à portée de main. Elle était colorée par un dégradé parfait de blanc, de violet foncé puis d'un bleu nuit extrêmement sombre. Des paillettes parsemaient la sphère et le tout hypnotisait Rosita.
La jeune femme resta de longues minutes captivée par la pleine lune avant d'être sortie de sa transe par un terrible bruit. Elle en sursauta avant de tourner sa tête vers la gauche, où ses oreilles avaient capté le son.
Elle vit deux billes jaunes fluorescentes en hauteur, puis le bruit résonna de nouveau. Fronçant de nouveau les sourcils, Rosita se rendit compte qu'une vieille bâtisse se présentait sous ses yeux. Trop absorbée par la lune, elle ne l'avait même pas aperçu et pourtant une aura inquiétante flottait autour d'elle.
Après quelques secondes à remettre ses idées au clair, elle se rendit compte qu'elle n'avait jamais vu cet endroit. Et pourtant elle passait chaque nuit ici, mais elle avait dépassé une limite. La nuit dernière encore, cet endroit était envahi d'arbres, avec aucune possibilité d'accès. Maintenant que cette maison existait aux yeux de tous, Rosita pensait que tout l'équilibre avait été chamboulé et que l'ambiance à présent glauque et lourde venait uniquement de la bâtisse.
Les billes jaunes bougèrent et la jeune femme capta rapidement que ce n'était qu'un chat. Il lui avait fait une sacrée frayeur. Mais à peine rassérénée, qu'une nouvelle bourrasque de vent bruyante lui fit de nouveau perdre son courage. Des cris se mêlaient au vent dans une mélodie glaçante. Rosita fut comme paralysée au sol.
Le chat noir avançait et reculait sur la toiture penchée de la maison et Rosita jura en comprenant que le chat lévitait. Et comme s'il avait lu dans ses pensées, il vola jusqu'à elle avec un regard brillant de ruse.
— Nous t'attendions, Rosi.
Rosita hurla à s'en briser les cordes vocales.
— Un chat qui parle ! Je suis folle, ça y est ! J'ai toujours dit que mon imagination me tuerait !
La bête pouffa. Puis la porte de la vieille bâtisse s'ouvre brutalement, claquant contre le mur intérieur, à cause du vent toujours présent ou par magie.
La jeune femme tentait de calmer son coeur qui battait à tout rompre. Elle mourrait d'envie de découvrir ses limites dans cette situation plus qu'incongrue et incroyable. C'était comme si la maison l'appelait tout au fond d'elle. Quelque chose la tirait à entrer mais elle luttait en même temps.
Comme pour la pousser à entrer dans la maison, le vent se calma et laissa place à une pluie torrentielle sous orage. Le chat miaula rageusement avant de courir à l'intérieur de la demeure.
— Alors là ! Ce n'est pas un hasard ! Tout est trop bizarre ce soir, c'est dangereux.
Ses oreilles captèrent des chuchotements qui prononçaient son prénom.
— Ah bah oui, forcément, la maison m'appelle maintenant.
Le ton sarcastique qu'elle utilisait était pour se rassurer et peut-être même se convaincre qu'elle rêvait. Après une dizaine de secondes passées sous la pluie, Rosita était persuadée de rêver. Elle ne lutta donc pas plus longtemps et se dirigea jusqu'à l'entrée de la maison, dans laquelle elle s'introduisit.
Sa curiosité et son imprudence l'avaient menée à découvrir un désir tiraillant et sournois de se diriger vers un danger plus que criant. Rosita n'était plus jamais ressortie de cette maison. Tourmentée par les affres les plus abyssales existantes, elle perdit peu à peu la raison et sombra dans une folie qui la tua.
La forêt avait repoussée immédiatement après sa condamnation dans la vieille bâtisse et personne n'avait découvert les raisons de la disparition soudaine de la jeune femme.
Le cimetière de la ville s'était petit à petit transformé en un lieu où une ambiance étouffante régnait. Les fleurs pourrissaient en quelques heures, les pierres tombales se craquelaient et de moins en moins d'individus ne venaient, trop effrayés à l'idée d'avoir une malédiction mortelle sur le dos.
Rosita vivait innocemment et sa présence dans la ville formait un équilibre. Mais toujours attirée inconsciemment par le danger, elle s'était une fois de trop enlisée dans la noirceur enivrante et destructrice des désirs de l'adrénaline.
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