Marché

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13 Mars 2121, Sofrenne, secteur Ouest, 18h42, Léon

La journée avait été assez fructueuse, la radio transmission, ça se vendait assez bien. Le travail terminé, j'étais libre pour le reste de la journée, je sortis après avoir dit au revoir à tout le monde et commençai à errer dans les rues, sans grande conviction, s'il y avait bien un truc que je n'aimais pas dans ce quartier, c'était la monotonie, c'était très simple, il ne se passait rien. Mais bon, devoir sentir la bonne odeur des bas quartiers pour avoir quelques sensations, ce n’était pas le top non plus. Je finis par m'asseoir sur un petit banc en bordure avec les bas quartiers, il était logé entre deux petits arbres, il y avait même un petit chemin devant celui-ci sur lequel des gens se promenaient en fin de journée, faisaient leurs joggings et qui longeait le vide entre les deux quartiers. Je pouvais d'ailleurs voir d'ici le clocher de la vieille église, la seule chose qui ressortait du nuage de vapeur... Je n'avais jamais été croyant, ça avait toujours été des conneries pour moi, une excuse pour se lever le dimanche héhé. Je sortis mon paquet de clopes, l'ouvrit et le refermai, plus que deux clopes, pas plus d'un paquet par semaine, deux c'est trop cher. J'étirai mes bras le long du banc et commençai à observer les quelques passants qui passaient devant moi, je vis une mère et sa fille passer, la petite demanda à sa mère :

  •   Maman, pourquoi les bas quartiers sont aussi moches ?
  •   Car il n'y a que des gens mauvais là-bas, Anna. Et si tu deviens une mauvaise graine, on t'y enverra !

Et ouais, les gens étaient mauvais là-bas, c'est ce que pensaient les gens de la haute société. C'est sûr que quand tu avais la chance de naître dans un hôpital, tu puais la charité et tu étais forcément quelqu'un de bien... Là-bas, les hôpitaux, c'était un luxe, il y avait bien quelques toubibs qui y vivaient mais ce n’était pas des profesionnels... la plupart ne savaient même pas où se trouvait le cœur d'une personne... Si tu tires pour tuer, vise le cœur... ces mots résonnaient en moi comme le peuple croyait aux bonnes paroles du duc... Une larme coula le long de ma joue, passant par la commissure de mes lèvres, je l'épongeais avec mon gant en cuir et pris une petite inspiration. Je préférais ne pas y penser, je ne voulais pas y penser. Après une petite demi-heure assis sur mon banc, je décidais finalement de me lever et de me diriger vers la navette descendant vers le secteur ouest. Il commençait à faire légèrement frisquet et venteux, je relevai donc un peu le col de mon trench pour faire coupe-vent et sortis de ma poche mon vieux béret gris, je l'enfilai tout en marchant. Une fois cela fait, je regardais devant moi et marchais silencieusement sur le petit chemin menant à la navette, je regardais toujours le sol, une vieille habitude, elles ne mouraient jamais celle-là. Une fois arrivé à la navette, je rentrais dans celle-ci, il n'y avait pas de gardes, tout le monde avait le droit de descendre, pour monter en revanche, c'était une toute autre histoire. Je pris une grande inspiration avant d'appuyer sur le bouton "descendre", je sentis la cabine descendre, une sensation détestable. La navette arriva finalement sur la terre ferme, j'en sortis et m'avançai dans les rues puantes et inondées, les rues étaient assez vides... je devais me trouver un bar.

  J'arpentais les rues, un sentiment de malaise m'envahissait. J'étais comme... observé... Je mis ma main dans une des poches de mon manteau, sortis un petit papier et fis exprès de le faire tomber au sol. En m'abaissant pour le ramasser, j'aperçus deux hommes, la vapeur ambiante m'empêchait de voir leurs visages, mais ils s'étaient arrêtés au moment même où je m'étais abaissé... Je me relevais et remis le papier là où je l'avais pris avant de reprendre ma route. Je passais à côté d'une ruelle et m'immisçai à l'intérieur de celle-ci, la traversai et arrivé au milieu, je vis la silhouette de trois hommes apparaître à l'autre bout de la ruelle. Je me retournai et vis les deux de tout à l'heure. Ils s'avancèrent vers moi et arrivèrent à deux mètres de moi à-peu-près. Il y avait donc cinq gaillards et trois dont l'identité m'était totalement inconnue... Les deux autres étaient Moris, que je supposais être la cause de cette mascarade, et un autre vieil ami à moi, Lewis , que l'on le surnommait affectueusement l'âne car il avait une dentition semblable à l'animal... D'ailleurs celui-ci avait pas mal changé depuis la dernière fois que je l'avais vu... lui qui était assez frêle à l'époque arborait maintenant une grosse bedaine. Il portait un vieux pantalon en jeans troué de partout et un vieux pull en laine. C'est avec effroi que je vis qu'il avait perdu sa mâchoire et qu'on lui en avait greffé une nouvelle, en cuivre, il devait avoir du mal à parler maintenant, je dis d'un air moqueur :

  •   Moris... l'âne.. je vois que t'as enfin trouvé un moyen de le faire taire... Je peux savoir pourquoi tu me suis ?
  •   Tu m'as humilié tout à l'heure, je viens te faire la peau.
  •   Manque de pot, je ne me laisserai pas faire, tu le sais bien.

  Je le vis rouler des yeux, il me dit ensuite en haussant le ton :

  •   Je peux savoir ce que tu foutais dans le secteur sud ? Joli fusil, d'ailleurs, je peux le voir ?

Il s'avança vers moi et tenta de toucher Elizabeth, je lui attrapai la main mais la relâchai aussi vite quand je vis les quatre autres gars sortir des revolvers et les pointer vers moi. Il l'a prise dans ses mains et me dit ensuite avec un gros sourire :

  •   Canon ! Où t'as choppé un truc comme ça ? T'es chasseur de primes ?
  •   Un cadeau... Plus depuis longtemps... Je suis dans la récup' maintenant.

  Il leva les yeux vers moi et me lança un sourire intéressé :

  •   Dans la récup' tu dis (il me jeta Elizabeth dans les mains tout en me disant ça), dis-moi, t'as pas un peu de matos à me refiler ?
  •   Ça dépend de quel genre de matos, et le prix que tu veux y mettre.
  •   Je ne compte pas payer... Des trucs qui ont un prix, des fils de cuivres, de la poudre... du matos de radio transmission...
  •   Tu crois vraiment que je vais te refiler ça gratuitement ?
  •   Tu crois que je vais te laisser partir vivant sans m'assurer que tu m'apportes ce que je veux ?

J'étais pris au piège, ils étaient cinq, armés et prêts à tirer... Je n'avais pas le choix.

  •   D'accord, je vais le faire, je vais le faire. Tu auras ton matos dans trois heures, juste le temps que je remonte là-haut et que je le pique.

  Il sourit à nouveau et s'exclama :

  •   Ça fait onze années qu'on ne s'était pas vus et tu es en train de me dire que tu as réussi à te payer un laisser passer... à moins que tu sois passé par l'arène, ce qui m'étonnerait de toi. Bon, je ne vais pas te demander comment tu en es arrivé là, car je m'en branle de ta putain de vie, je veux juste mon matos, casses-toi ! Si tu nous fais un faux bond, saches que tu pourras rester perché au second étage de la cage pour le restant de ta vie car on t'attendra aux navettes.

Je passais entre lui et l'âne, ce dernier grogna un truc incompréhensible. Je continuai mon chemin et retournai à la navette. Arrivé en haut, je filai en marchant à une allure rapide en direction de l’entrepôt, espérant que personne ne s'y trouve. J'entrai et entendis un léger bruit au loin... Je me faufilai entre les caisses, ce n'était pas Armand, mais Starl qui faisait ce bruit. Il était en train de retaper le pick-up quand je suis entré dans la pièce. Je vins près de lui et lui demandai :

  •   Dis-moi, on a encore la poudre que l'on a récupéré la semaine dernière ?

Il retira ses lunettes de protection et me dit :

  •   Ah, Léon ! Ce n’est pas dans tes habitudes de revenir aussi tôt à l’entrepôt ! D'ailleurs, tu pourrais dormir chez toi de temps en temps, tu sais.
  •   Ouais, je sais, j'y retournerai tout à l'heure... là... je suis dans une merde noire, tu n'imagines pas ! Alors, dis-moi... on l'a encore la poudre ?
  •   Ouais, Il y a un tonneau entier trois mètres derrière toi. Je peux savoir ce que tu comptes faire avec ça ?
  •   J'ai attiré les foudres des mauvaises personnes dans le secteur ouest, je dois en ramener pour sauver ma peau, en quelque sorte...
  •   Je ne vais rien dire aux autres, je pense que t'as assez d'emmerdes comme ça. Je n'ai pas envie de rajouter de la merde sur ce tas de merde.
  •   Merci mec ! Je t'en dois une ! Retire moi ça de ma paie si tu veux !
  •   Quoi ? Un radin comme toi abandonnerait une partie de sa paie ? ça doit vraiment être important !

Il éclata de rire. Quant à moi, je pris le tonneau de poudre, une belle bobine de fil de cuivre ainsi qu'un peu du matos que l'on avait récupéré tout à l'heure. Je mis tout ça dans une grosse caisse en bois que j'embarquai avec moi dans les rues du secteur Sud. Putain... c'était vraiment lourd... Victor devait porter des trucs comme ça tous les jours dans sa salle de sport, il essayait désespérément de m'y emmener mais c'était pour moi un luxe que je ne voulais pas me payer. J'arrivais finalement à la navette avec ce poids considérable que je posai par terre avant d'appuyer sur le bouton. Les rues des bas quartiers avaient l'air d'être animées ce soir, mais je n'allais pas y rester très longtemps... j'allais juste donner cette boite et rentrer chez moi, j'avais besoin d'une bonne douche, déjà deux jours depuis la dernière, chose inacceptable pour un habitant des quartiers "riches" ! Moris m'attendait avec deux de ses sbires... je posai la boîte entre lui et moi qu'il ouvrit avant de s’exclamer :

  •   Bordel ! C'est de la balle tout ça ! Bon, je ne suis pas un rustre... tiens ! Prends ce paquet de clopes !

Il me tendit un vieux paquet de clopes, celles que l'on fumait déjà à 10 ans, des vieux souvenirs... et des bons... J'ouvris le paquet et en sortis deux, en tendis une au mafieux et il la mit au bec avant de l'allumer avec son briquet et de faire de même avec la mienne. Il tira une latte et me dit :

  •   Ça faisait longtemps, ouais, longtemps. Tu sais quoi, je te recontacterai, tu seras payé, crois-moi.
  •   Ouais, je te crois. Bon, si ça ne te dérange pas, je vais m’éclipser.
  •   Tu as changé, il s'est passé quelque chose, j'en suis sûr. C'est à cause de la dérouillée que l'on t’a mis ? Je m'en souviens comme si c'était hier, tu chialais pour qu'on arrête.

  Je serrai mon poing, prêt à lui ne mettre une mais je me ravisai. Je marmonnais :

  •   T'es peut-être pas si con que ça en fait... Tu es presque dans le vrai, on va dire que ça m'a aidé.

  Je suis rentré chez moi après avoir repris la navette. Je vivais dans un petit appartement, niché pas loin de la porte principale de la ville. Ce n'était pas un appartement de luxe, je n'avais pas de lit, juste un vieux canapé en cuir vert foncé troué par endroits, une table basse sur laquelle trainaient quelques bières, des paquets de pizzas et un cendrier rempli de clopes. La cuisine était dans la même pièce, je ne l'avais jamais utilisé, enfin, si, mais j'ai dû jeter ma côtelette par la fenêtre car elle était en train de brûler ! Dans la seconde, et dernière pièce, une vieille douche et un évier. J'ouvris la porte de l'immeuble et montai au troisième étage où se trouvait mon "chez moi", j'ouvris ma porte et me dirigeai vers mon canapé et y déposai Elizabeth, je retirai ensuite mon trench et l'accrochai sur le clou que j'avais planté juste à côté du canapé et qui me servait de porte manteau. Je me dirigeai ensuite vers la salle de bain, retirai mon pull en laine bleu. J'observais mon corps, je n'étais pas quelqu'un de très musclé, assez maigre même, mais sec. Quelques cicatrices datant de mon ancien travail ornaient mon corps et encore plus causées par l'actuel. Je retirai mon treillis, mes chaussettes et mon caleçon et les jetai par terre avant d'aller sous la douche. L'eau froide coulait le long de ma peau, je ne restai pas longtemps, juste le temps qu'il me fallait pour être propre. Je sortis et rejoins Elizabeth dans le canapé et de plonger dans un sommeil profond à ses côtés...

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