"La gratture au loup" où tout s'efface...
Une cavalcade effrénée s’engagea dans la partie orientale de la forêt, ne ménageant pas les éclaireurs dont les chiens tiraient sur les longes comme diables suspendus au fléau de la balance de Saint-Michel. Bien qu’ils ne jappent pas, le sous-bois résonnait des foulées et des ahanements des poursuivants. Soudain la troupe s’arrêta au niveau d’un hallier. Les chiens, frénétiquement, grattaient le sol en poussant de petits glapissements. Il leur fallut peu de temps pour qu’aparaisse à la vue de l’assistance effarée, un nouveau squelette humain quasi complet mais dont il manquait un fémur…
- C’est fou ça ! s’écria Adrien. L’endroit ressemble étrangement à celui où j’ai trouvé le premier charnier et le squelette semble correspondre à celui dont Cloé a extirpé le fémur, mais ce n’était pas de ce côté de la route je puis vous l’assurer.
- En êtes-vous si sûr, dans l’affolement, on peut parfois oublier dans quel sens on se précipite. Ironisa le commissaire Lavigne.
- Nous étions bien stationnés de l’autre côté de la route, en direction de Dreux et la chienne n’a aucunement traversé la route, fonçant directement dans la forêt en bordure de laquelle nous étions garés, intervint Arlette.
- Tu as raison chérie, donne-moi l’os que tu tiens, je veux vérifier quelque chose… Adrien examinant le fémur le disposa dans cette amorce de fosse à la place de l’os manquant. Sidéré : C’est tout à fait la pièce manquante, le bon fémur, le gauche… regardez ! tout correspond jusqu’à la taille qui est identique à celle du fémur droit…
- Une simple coïncidence, il peut manquer un fémur à plusieurs squelettes, ici et ailleurs, dans cette forêt, puisqu’il apparait que nous ayons affaire à plusieurs charniers… rétorqua Manasse sur le ton supérieur de celui qui mieux avisé que quiconque ne se montre jamais dépassé par les événements fussent-ils dramatiques ou énigmatiques.
- A moins que ce soit une nécropole à ciel ouvert proposa Arlette. S’adressant à Lavigne. Parmi vos hommes, en est-il qui ont une carte d’état-major détaillée de cette forêt ?
- Je pense que l’adjudant-chef de la brigade canine doit certainement en avoir une sur lui. Mais dites-moi, madame Lequéméneur pour quelle raison vous demandez cela. Vous craignez que l’on se perde en forêt ?
- Non, monsieur le commissaire, mais j’aimerai retourner dans la clairière où notre chienne a trouvé le deuxième charnier, là où ont été effectués des coupes de bois débités en stères. Cette clairière est de l’autre côté de la route. En regardant sur la carte, je devrais pouvoir la localiser si elle y figure.
- Bergaud ! avez-vous, dans votre équipement, une carte d’état-major au 1/200 000e de cette forêt ?
- Affirmatif ! commissaire.
- On voudrait la consulter maintenant. L’adjudant-chef Bergaud s’approcha du commissaire, sortit la carte d’une des grandes poches de son treillis militaire, la déplia puis la posa à terre. Autour de lui s’accroupirent Lavigne, Manasse et Arlette qui examina attentivement le plan de forêt. Elle ne tarda pas à pointer de l’index, la clairière qu’elle voulait retrouver. Il s’agissait du quartier de « La Gratture au loup » emplacement au centre des parcelles 134 à 139.
- Je suis sûr que c’est là, à la croisée de ces sentiers… Il serait bien d’aller vérifier monsieur le commissaire, déjà pour vous montrer qu’on ne vous raconte pas des craques.
- Bien ! On retourne tous aux voitures, commanda Lavigne. De là, nous détacherons un petit groupe pour accompagner madame et monsieur Lequéméneur dans la partie ouest de la forêt.
A la suite d’Arlette, d’Adrien avec Cloé en laisse, le commissaire, l’inspecteur et les deux brigadiers canins avec leurs limiers, s’engagèrent une fois de plus dans ce côté de forêt, où furent découverts les deux premiers charniers. Ils firent plusieurs courtes haltes pour, s’aidant de la carte d’état-major, vérifier qu’ils suivaient le bon chemin.
Après un quart d’heure de progression hésitante, la petite troupe déboucha dans la clairière de « la Gratture au loup ».
- C’est bien ici ! s’exclama Arlette, je reconnais parfaitement l’endroit avec toutes ces rangées de stères.
- Oui je reconnais aussi les lieux, renchérit Adrien qui se mit à parler de plus en plus fort, mais regardez, là où notre chienne a gratté la terre, découvrant le deuxième squelette, à la base de ce tas de bois, tout est rebouché, et le stère que j’avais démantelé a été reconstitué. C’est fou cela !... De surcroît, notre chienne qui était excitée grattant avec frénésie le sol, à cet endroit précis, ne l’est nullement maintenant. Elle, et les deux autres chiens limiers ne flairent rien, ni ne manifestent une quelconque agitation, demeurant totalement indifférents à ces lieux… En fait, il n’y a maintenant ici, plus aucune trace d’un quelconque charnier et ça, je puis jurer qu’il y a 3 heures, à cette même place, notre chienne avait mis à jour un cadavre réduit à son squelette, celui-là disposant bien de ses deux fémurs. C’est de là que, laissant tout dans l’état, nous avons pris la décision de repartir aussitôt et d’aller faire part de notre découverte au service de police le plus proche. Maintenant, ceci devient une véritable histoire de fou car, si ici, il n’y a plus aucune trace de charnier, ce n’est nullement le cas de l’autre côté de la départementale. Je maintiens que c’est bien de ce côté où nous nous tenons présentement, que nous avons découverts ces fosses à ossements.
Le commissaire Lavigne et l’inspecteur Manasse regardaient Adrien presque rouge d’indignation et de colère, avec à la fois de l’étonnement, de la circonspection et de l’agacement.
- Vous savez Monsieur Lequéméneur, ça arrive à tout le monde de se tromper, et dans la confusion du moment votre chienne s’étant échappée, c’est sans doute de l’autre côté de la route qu’elle a donc nécessairement traversée et qu’elle a couru jusqu’à s’arrêter à l’endroit du premier charnier. C’est donc à l’opposé, dans la partie de forêt en face que, comme nous l’avons tous constatés il y a quelques instants, se trouvent les charniers…
- Mais tonnerre des indes, explosa Adrien, puisque je vous dis que c’est ici même que notre chienne a fouillé la terre et découvert le deuxième squelette, sous ce stère où tout semble intact comme si on n’avait jamais déplacé le bois ni gratté la terre.
- C’est difficile de vous croire cher monsieur Lequéméneur, comme vous le dites, il n’y a aucune trace et donc aucune preuve de la présence d’un charnier à cet endroit, ironisa Manasse.
- J’affirme également que c’est bien à cet endroit que notre chienne a découvert un squelette s’indigna Arlette, blême à cause de cette invraisemblable disparition d’un charnier que, comme son mari, elle avait bien vu, de ses yeux, vu quelques heures plus tôt. C’est un véritable mystère et ça ne nous amuse aucunement. J’en pleurerai de rage ajouta-t-elle, les yeux rougis par la colère et l’indignation.
- Alors comment expliquez cette soudaine disparition ? s’esclaffa le commissaire qui ne savait que et qui croire, on nage en plein mystère ! …
- Ce sont sans doute des os migrateurs conclut Manasse, sur le ton de l’indifférence, la face réjouie par sa truculente sortie… tous les regards effarés se posèrent sur lui.
Ça doit être ça inspecteur : des os migrateurs qui changent de place au gré de leurs humeurs, certainement agités par le spectre en errance éternelle des humains dont ils constituaient l’auguste charpente, ironisa Adrien.
Tous éclatèrent d’un rire aussi sonore que nerveux…
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