Après l'échec "Matthéau", Amélie avait définitivement rangé ses livres de princesses et ses cahiers de coloriage remplis de fées et de créatures fabuleuses. Elle ne voulait plus de ces récits emplis rêves. La bibliothèque municipale lui avait ouvert la porte vers un autre univers plus obscur, plus attirant mais tout aussi extraordinaire. Elle se surprit à aimer les histoires d'enchanteresses, de magiciennes maltraitant des chevaliers, des femmes qui avaient refusé l'étiquette "jolie princesse attend prince", des femmes qui lui semblaient fortes. Elle devint boulimique de ces lectures, tout le rayon de la bibliothèque y passa. En grandissant, elle eut le droit d'emprunter des ouvrages plus adaptés à son âge et à sa mentalité de jeune adolescente. Elle dévorait désormais des romans sur des sorcières contemporaines (des ado comme elle, insignifiantes tout autant qu'elle qui se révélaient être des badass de la magie, qu'elle appelait désormais Wicca).

Lors de son entrée au collège, elle en savait plus que quiconque sur le sujet. Léa subissait les récits exaltés de son amie. Amélie n'était pas rancunière, elle savait très bien que Léa avait voulu l'aider et cette mésaventure n'avait fait que sceller un peu plus leur amitié (Léa ayant néanmoins promis sur la tête de Tama, son chat, qu'elle n'interférerait plus dans les rêves d'un amour passionné d'Amélie). Tous les soirs en rentrant des cours, Amélie racontait les derniers épisodes de Sabrina à son amie, le cycle des sorcières d'American Horror Story et autres choses tout aussi palpitantes pour elle mais ennuyeuses au plus haut point pour Léa.

- Tu te rends compte, en fait, tout ce qui leur arrive est tiré de la Wicca, le livre des ombres, le principe d'égalité, tout !

- Hmm hmm, tu manges ton pain au chocolat ?

- Non, tiens, prends-le. Il faut savoir aussi que tout n'est pas que magie et potions. Regarde, Mademoiselle Lenormand par exemple. Pas de magie, juste des cartes et petit côté médium.

- C'est qui celle-là encore? demanda Léa s'attendant à ce que son amie lui parle d'un énième livre ou série télé.

- Tu n'as jamais entendu parler du "Tu seras plus qu'une reine " de Mademoiselle Lenormand ?

- Du tout. J'peux te prendre aussi une fraise togodo ?

- La légende veut que mademoiselle Lenormand ai fait une prédiction à Joséphine, elle lui aurait dit "Tu seras plus qu'une reine" avant qu'elle ne se marie.

- Joséphine ? L'ange gardien ? Redescends un peu Mélie, c'est n'importe quoi.

- Non, Joséphine de Beauharnais : L'impératrice, épouse de Napoléon.

- T'es sérieuse, là ? Une personne qui a vraiment existé a eu une prédiction aussi improbable ?

Le bus stoppant à l'approche de leur arrêt coupa les filles dans leur discussion, le moment était venu de se dire au revoir et de faire les devoirs.

Tandis qu'Amélie calinait son petit Fluffy en apprenant les verbes irréguliers, Léa tournait sans sa tête ce que son amie lui avait dit. Cette histoire de médium, de diseuse de bonne aventure l'intriguait. Et si ça marchait vraiment ce truc ? Elle avait toujours vu sa grand-mère tirer les cartes à ses voisines à grands renforts de "Je voiiiis, je voiiiiis, ah...un homme, un militaire qui pense à toi" et la voisine s'extasiait "c'est mon fils ! Il vient de partir en mission", trop forte la mamie ! Elle se rappelait juste que son amie lui avait raconté le départ du fiston 3 jours plus tôt. Mais le fait que ça marchait pour certains lui ouvrir de nouvelles perspectives. Elle passa une bonne partie de la soirée à faire des recherches sur Internet, découvrit le monde des cartes, oracles, tarots. Cet univers qu'elle ne connaissait pas quelques heures plutôt lui semblait clair et limpide, comme si un verrou avait sauté et que son âme s'ouvrait sur un empire que son esprit cartésien refusait. Pourtant, à bien y penser, sa grand-mère la faisait assister à ses séances contrairement à sa cousine, elle l'avait plus d'une fois emmenée dans cette boutique étrange et sombre qui empestait l'encens. La gérante, toujours affublée d'un châle hors d'âge, l'avait toujours regardée bizarrement à travers ses grosses lunettes comme si Léa avait quelque chose collé au visage. Elle se rappela d'un coup du petit boitier en carton jaune avec une bougie dessinée dessus que sa grand-mère lui avait acheté dans cette boutique sur les conseils de Cul-de-Bouteille, celui qu'elle avait relégué au fond de l'armoire avec ses poupées.Elle retrouva le petit jeu entre Borbie-hawienne et Borbie-danseuse-unijambiste. Dès qu'elle le prit dans ses mains, elle sentit comme un courant chaud les parcourir. Elle l'ouvrit. La carte avec un bateau tomba de ses mains. A l'aide du livret, elle lut que le bateau signifiait un voyage prochainement.

Du salon, sa mère l'interpela : "Ca te dirais de partir en Bretagne cet été ?"

Amélie la magicienne et Léa la médium. Les deux filles étaient destinées à se rencontrer, elles se complétaient.