Le mage se tape l'incruste

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Je ne pouvais pas y croire. Non, décidément, c'était trop fort !

- Moi, roi ? répétai-je.

Le vieux fou acquiesça.

C'était désormais véridique: il débloquait complètement, le papy ! Et que fait-on lorsque l'on croise une personne sénile dans une rue étroite et sombre ? Je vous le donne dans le mille: on prend ses jambes à son cou et on décampe !

Je fis volte-face et détalai. J'étais gêné par l'objet de mon larcin, mais refusait l'abandonner: je l'avais mérité, nom de nom ! Et ce n'était pas un ancêtre cinglé qui allait me décourager !

Je bifurquai à de nombreuses reprises, courant à perdre haleine. Non pas que le vieux gâteux à barbe blanche me terrifiait, loin s'en faut. Disons juste que des années de vols et de survie dans les rues et ruelles des bas-fonds m'avaient appris la prudence. Mieux vaut courir que finir aux fers, si vous voyez ce que je veux dire !

La nuit tombait, les ombres se répandaient dans les artères de la cité comme un sang noir. Je plongeai en elles, contournant les flaques lumineuses que déversaient les lanternes et lampadaires disséminés un peu partout. Je ne ralentis qu'une fois mon "territoire" atteint. Là, je bondis sur un muret et, plus lest qu'un lézard, je grimpai sur le toit d'une haute maison. Je m'arrêtai un instant, le souffle court et épiait les rues en contrebas. Aucun vieillard à barbe blanche. Bien, une affaire de réglée. J'embrassai ensuite du regard la mer de tuiles et de cheminées branlantes qui s'étendaient alentours, silhouettes étranges sur fond étoilé. Le voilà, mon royaume: de la Tour Close effondrée au nord, aux bordels CoeurCrevé au sud, du Vieux cimetière à l'est à la Place Mauvaispuits à l'ouest. Je régnais sur toutes les âmes vivant dans ce secteur, plus sûrement que la milice, le seigneur de la ville ou le régent lui-même. C'est à moi que les putains rendaient des comptes, moi qui protégeait mon "peuple" des bandes racailles sévissant dans les quartiers adjacents. Voilà tout ce à quoi pouvait aspirer un enfant des rues, et ce "tout" me suffisait.

Je repartis d'un pas moins vif. Les maisons s'entassant les unes contre les autres, je n'avais aucun effort particulier à fournir pour passer de toit en toit. Et si, quelques fois, mon pont de tuiles s'interrompait pour une venelle, je la sautai.

Je parvins enfin à ma demeure: un antique grenier, dans une maison aussi miteuse et anonyme que ses soeurs.

Je me faufilai par ce qui fût autrefois un oeil-de-boeuf et déposai l'épée dérobée contre un mur. Demain, j'essayerai de la revendre.

- C'est donc là que tu habites ? Charmant.

Mon coeur s'emballa d'un coup et je sursautai. Instinctivement, je reculai vers l'oeil-de-boeuf, prêt à m'enfuir.

Cependant mon corps devint soudain lourd comme du plomb. Impossible de bouger. Pétrifié, je cherchai des yeux mon agresseur. Et ne le trouvai nulle part. Le grenier était sombre, certes, mais mes yeux accoutumés à l'obscurité discernaient sans peine la forme de mon lit, au fond, les étagères grossières, à gauche, et les contours de ma cuisine, à droite. Aucune ombre plus sombre ou anormale. La peur se changea en terreur brute au fond de mes entrailles.

Une lumière explosa d'un coup au centre de la pièce. Ébloui, je grimaçai.

- Vraiment charmant, se moqua la voix.

Jeune, arrogante. Elle me rappelait la voix des nobles. Je la haïs d'office.

- Va... te faire, parvins-je à articuler.

- Hum, puisque tu dois régner, il va falloir corriger ta façon de t'exprimer.

La lumière diminua, révélant un jeune homme d'une vingtaine d'années. Ses cheveux d'un blond translucide se déversaient librement sur ses épaules et ses yeux or me dévisageaient avec une intensité presque douloureuse. Sa beauté paraissait sans âge, éternelle. Si j'avais eu une paire de seins au lieu d'une paire de couilles, je serai sans doute tombé amoureux de lui sur-le-champ.

Je remarquai qu'il était vêtu du même accoutrement bleu ridicule que le vieux fou. C'était une secte ou quoi? Et d'où venait cette lumière, bon sang ?

Ah, autant pour moi: c'est cet hurluberlu qui rayonne. Il se prenait pour quoi ? Le soleil ?

Mon corps retrouva un semblant de liberté. J'esquissai un geste vers le fourreau de mes dagues. Mes bras se raidirent contre ma volonté avant que je puisse les atteindre.

Sacrebleu ! Encore ?

- Bon, t'es qui trouffion et tu me veux quoi ?

Un sourire illumina son visage. Au sens propre : toute sa face s'éclaircit. Une sensation de chaleur se diffusa en moi. C'était un sourire doux, chaud. Personne ne m'avait jamais sourit comme il le faisait. Je réprimai illico cette vague de sentiments stupides. Les sourires sont trompeurs. Toujours. Et surtout quand vous les croyez sincères.

- Nous nous sommes déjà rencontrés. Quoique à ce moment-là, j'adoptai une apparence moins juvénile.

Durant un fugace instant, son visage parfait céda la place à la lippe flétrie du vieillard. "Moins juvénile" ? Il se foutait de moi, là ?

- Je suis un mage, susurra-t-il en m'offrant un clin d'oeil capable de faire pâmer à lui seul toutes les filles du royaume.

Merci de l'info, comme si le fait que tu brilles ne m'avait pas déjà mis sur la piste.

J'étais dans une merde monstre.

- Si tu veux l'épée, prend-la et dégage.

Oui, j'étais dans une merde monstre. Mais ici, c'était chez moi et, pour rien au monde, je ne ravalerai mon orgueil.

- L'épée t'a choisi, elle est à toi maintenant.

Plus jeune, oui, moins cinglé, non.

Il ouvrit les bras et s'avança vers moi, lentement. Je ruai en moi-même, tentant de bouger, en vain. L’étau glacial de la terreur m'enlaça. Il allait me tuer, me consumer entre ses bras. Nombre de rumeurs circulaient sur les mages. Je les connaissais toutes. Je serrai les dents, le défiai du regard.

"Tout ça pour une épée" songeai-je.

J'allais mourir pour une épée. Quand ses bras se refermèrent sur moi, je tressailli. Pourtant, je ne ressenti ni brûlure ni douleur. Au contraire, son contact était tiède, agréable. Il sentait l'herbe fraîche, la mer, la terre après la pluie, le soleil sur les pierres. Malgré moi, je me laissai aller à son étreinte.

Mes membres se détendirent, devinrent gourds, la fatigue m'envahit. Je m'endormi contre la poitrine du mage, emporté par un vent lumineux au sourire tendre.


Ceci n'est qu'un premier chapitre, je posterai la suite lorsque j'aurai un peu plus de temps ! ^^ En espérant que vous aimerez ! ;)


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