Ombre

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 L'astre si beau et lumineux déclinait à l'horizon. Il projetait depuis un long moment ses reflets orangés sur le feuillage vert tendre de la forêt. Plus les secondes s'écoulaient, plus l'ombre des arbres envelloppait les sous-bois. Tandis que la jeune femme avançait entre les branches cassées et le tapis d'humus qui recouvraient le sol, le silence prenait place. Il s'insinuait entre les rameaux décharnés et engloutissait l'atmosphère paisible de fin d'après-midi. Un vent glacial s'engouffra sous sa robe autrefois blanche. Elle frissonna sans savoir si cela provenait du froid ou de la terreur. Ses doigts tremblants se plantaient dans la terre, seule l'énergie du désespoir l'aider à ramper à travers la végétation. Elle haletait. Une traînée bordeaux tâchait les feuilles mortes du début d'automne. Elle tressaillit en sentant la piqûre des ronciers lui écorcher le pourtour de la plaie béante qui barrait sa cuisse. Une larme perla au coin de ses yeux tuméfiés. Son corps tout entier se figea quand elle entendit un craquement de bois sec, quelques mètres derrière elle. Etait-il possible qu'il l'ait déjà retrouvé ? Les battements de son coeur s'emballèrent, son cerveau décortiqua le moindre bruit aux alentours. Elle patienta, tant bien que mal, priant pour que le silence oppressant reprenne ses droits.

 La jeune femme n'entendit plus rien, si ce n'est le souffle lancinant du vent entre les troncs d'arbres. Rassemblant son courage, elle s'autorisa à tenter un mouvement. Sa main se tendit loin devant elle, prenant appui sur une racine. Elle tira de toutes ses forces sur son bras endolori et reprit sa route. Les dents de la jeune femme commencèrent à claquer, son pied droit s'engourdissait à mesure que le temps passait. Elle perdait trop de sang, elle le savait.

  Une clairière se dessina devant ses yeux. Les herbes folles ondulaient mollement sous la brise. La jeune femme hésita un long moment, les graminées seraient-elles assez hautes pour la masquer de la vue de son bourreau ? Alors qu'elle arrivait enfin à l'orée de la forêt, elle laissa son regard se perdre sur l'état pitoyable de son corps. Il n'aurait pas la force de faire le tour, elle devait avancer, coûte que coûte. Du bout des doigts, elle écarta les brins d'herbe et s'engouffra dans les méandres de ce labyrinthe de végétation. Un mètre, puis deux, puis trois. L'emplacement de la lune l'aidait à maintenir le cap. Le silence n'était brisé que par le bruissement de ses mouvements à travers la dense prairie.

 Soudain, le sol trembla. La jeune femme eut la terrible impression que son ventre était aspiré par la terre. Dans un nuage de poussière, elle se sentit tomber. Un craquement résonna dans ses oreilles. La jeune femme crut s'être brisée sa seule jambe valide. Après que l'oxygène eut retrouvé le chemin de ses poumons, elle se palpa frénétiquement. Tout allait bien, dans la mesure du possible. Elle essaya d'observer le guêpier dans lequel elle s'était encore embourbé jusqu'au cou. La poussière lui obstruait la vue et la faisait tousser. La jeune femme se reprit mentalement, elle devait rester discrète. Levant la tête, elle remarqua la lumière de la nuit passer à travers l'endroit où le sol s'était ouvert en deux. Les battements de son coeur encrés au creux de sa gorge, elle entreprit de se lever. Ses doigts entrèrent en contact avec une surface froide et molle, telle de la gelée trop prise. Réprimant la nausée qui lui plombait l'estomac, la jeune femme prit tout de même appui dessus. Son pied patina dans une flaque de boue, elle s'étala de tout son long, face contre terre.

  Alors qu'elle reprenait son souffle, la poussière avait finit par se déposer sur le sol. Aussi, quand ses yeux se relevèrent vers le ciel, elle s'immobilisa de stupeur. Ils venaient de croiser un regard, vide et sans vie. Sa mâchoire s'ouvrit quand elle se rendit compte que ce dernier appartenait à un cadavre. Une seconde puis un cri d'effroi ricocha contre les parrois. Elle réalisa qu'il s'agissait d'une jeune femme qui portait la même robe blanche et déchirée qu'elle. Lentement, elle tourna la tête tout autour d'elle. Une demi- douzaine de corps identiques au sien lui faisaient face. La boue dans laquelle elle pataugeait depuis quelques minutes n'était autre que les fluides des corps en décomposition. Ce ne fut qu'à cet instant qu'elle réalisa la puanteur atroce qui imprégnait l'atmosphère. Le coeur au bord des lèvres, elle se redressa sur ses coudes. Son sang se glaça dans ses veines. Il était là. La lumière argentée de la lune projetait son ombre au dessus de ses victimes. Il était immobile, contemplant son oeuvre avec un calme terrifiant. L'inévitable issue de son existence la frappa, plus fort qu'il ne l'avait jamais fait. Elle hurla, aussi fort qu'elle le put. Jusqu'à s'en rompre les cordes vocales.

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