3 : Elite Model Look
Agence Elite Model Look
21, avenue Montaigne
Paris 8ème (75)
Fin janvier 2011
Le premier jour
14:30
Beyoncé, Rihanna ou encore Katy Perry en bruit de fond. Des gravures de mode suspendues aux murs, un mobilier très design, un décor en noir et blanc presque épuré. L'antichambre de l'agence de mannequins d'envergure internationale Elite Model Look était à l'image de son enseigne, aussi sobre que classe. A seize ans, Melody Leprince, sculpturale vietnamienne aux longs cheveux noirs de jais, était de ces jeunes filles sophistiquées qui rêvent de couvertures de magazines. L’illustre concours national de cover-girl était taillé pour elle. Elle le savait à sa portée. Alors, quand elle reçut le message vocal de Gilberte Ozon sur son smartphone, Melody ne put contenir son euphorie. L’éminente directrice de casting ne lui proposait rien de moins qu’un rendez-vous à son office parisien. Toutefois, l'onde de plaisir laissa promptement place à un immense stress. Aussi sollicita-t-elle Alex Marquance, son meilleur ami, afin qu'il l'accompagne pour la soutenir.
Ils étaient seuls dans cette salle d'attente, assis l’un à côté de l’autre. Le timide adolescent osait à peine regarder sa trop séduisante camarade. Ce fut donc elle qui brisa la glace.
— Alex, je ne sais pas comment te remercier d'être ici avec moi aujourd’hui. Tu ne peux pas savoir combien je flippe à l'idée de me retrouver face à cette bonne-femme. Parce qu'elle a mon destin entre les mains...
Complexé par son physique filiforme, le jeune homme cachait son visage anguleux sous une longue mèche brune qui lui retombait devant les yeux. Amoureux transi et introverti de nature, il ne s'était jamais résolu à déclarer sa flamme à l’éblouissante compagne de ses fantasmes. Il lui adressa un modeste sourire et lui prit la main pour la rassurer.
— Mel, tu sais très bien que tu peux tout me demander !
Séductrice en diable, l'aspirante-mannequin fixa Alex pour tenter de deviner ce qu'il dissimulait sous le masque de sa chevelure.
— T'es curieux comme garçon ! Tu n'es pas comme les autres. Tu n'as jamais essayé de m'impressionner en jouant les durs ou en roulant des mécaniques. Et puis, tu ne parles pas beaucoup non plus...
— Je suis comme ça tu sais…
— Mais tu fonctionnes à quoi, au juste ?
— Depuis que nous sommes installés en banlieue parisienne, je ne vis que pour la musique. Je ne me sépare que très rarement de ma guitare…
— C’est ton jardin secret ?
— Secret, pas vraiment. Avec mon groupe, on se produit régulièrement en public. Notre prochain concert aura lieu dans une quinzaine de jours à la MJC de Cergy. Si ça te dit de venir nous applaudir, tu seras la bienvenue…
— J’ignorais que tu étais à ce point fondu de zik !
— C’est un palliatif comme un autre...
— Un palliatif à quoi ?
— A tout ce qui me manque ici…
L'intro musicale du tube électro-pop de Mylène Farmer, Oui... Mais non, que Melody avait téléchargée et configurée pour en faire sa sonnerie de téléphone portable, interrompit les deux ados. La jeune fille décrocha.
— Samir... Non je ne suis pas encore passée... Je ne sais pas à quelle heure j'aurai terminé... Écoute, faut que je te laisse, j'ai mon rendez-vous d'une minute à l'autre... Oui, moi aussi je t’embrasse.
L’asiatique bimbo raccrocha.
— C'était Samir...
— Ton keum ?
— Ouais, il me saoule grave en ce moment…
L'irruption de Gilberte Ozon dans l'antichambre coupa court à la conversation. Une beauté froide, pincée, enveloppée dans un tailleur-pantalon très austère. Peinture de la féminité esthétiquement retouchée, trahie par ses mains et son cou, la quinquagénaire tendit la main à son interlocutrice avec suffisance.
— Melody Leprince je présume ? Gilberte Ozon. Veuillez excuser mon léger retard, un contretemps s'est malencontreusement invité dans mon planning.
Alex n'existait plus. Son look insignifiant l'avait relégué au rôle de plante verte. Dans un mouvement d'une rare élégance, l'adolescente se leva et répondit poliment à cette main tendue.
— Enchantée Madame.
— Passons dans mon bureau, si vous le voulez bien.
Melody suivit la directrice de casting.
Installée dans son fauteuil en cuir chocolat, Gilberte Ozon considéra un instant la personne qu'elle recevait de façon tout à fait exceptionnelle.
— Melody - vous permettez que je vous appelle Melody ? -, vous avez franchi avec brio toutes les étapes du concours Elite Model Look 2010-2011. Vous êtes donc une des douze qualifiées pour la finale qui aura lieu dans un mois. Et je vous en félicite !
— Merci beaucoup Madame...
— Cela étant, ce n'est pas pour cette raison que je vous ai convoquée personnellement à l'agence.
— Ah non ?
— Voyez-vous, je compte parmi mes amis un certain Izmaar Eagle. Vous situez le personnage, n'est-ce pas ?
— Oui, le célèbre chanteur de hip-hop !
— Exactement. Eh bien figurez-vous qu'Izmaar est actuellement en recherche d'un modèle de type asiatique hyper glamour pour le tournage de son dernier clip. Il m'a contactée la semaine dernière, désespéré, et c'est là que j'ai eu un flash, j'ai pensé à vous.
— Vraiment ?
— Absolument ! Je lui ai présenté votre book et il a été emballé par votre plastique, le charme que vous dégagez, le rendu des clichés... Bref, si vous en êtes d'accord, et en marge du concours, il vous donne rendez-vous demain matin à 9 heures, quartier de Lochères à Sarcelles, pour une séance de shooting. Il choisira parmi les rushes la photo qui illustrera la pochette du single. Il y conte une romance très urbaine, très actuelle... Cela vous conviendrait ?
— Oh oui, tout à fait...
— Aucun problème de disponibilité pour cet horaire matinal ?
— Non, je m'arrangerai pour le lycée. Et mes parents ne sont pas du genre à s’interposer…
— Parfait ! Je passe un coup de fil à Izmaar et je vous confirme tout ceci par SMS d'ici ce soir. Et je vous laisserai entre les mains du nouveau prince de la scène rap-R&B. Je ne vous raccompagne pas, vous connaissez le chemin...
— Oui Madame, je vous souhaite une bonne fin de journée.
— Pareillement...
Melody prit congé. La quinquagénaire s'empara du combiné téléphonique et composa le numéro de son correspondant.
— Izmaar Eagle, j’écoute…
— Izzy, Gil à l’appareil. La poupée manga te rejoindra dès demain. Les jeux sont faits.
— Et rien ne va plus pour ce pauvre Samir…
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