16 : Soirée entre keums
Appartement de Karim Assouyef
Quartier des Chennevières
Saint-Ouen l'Aumône (95)
Fin janvier 2011
Le premier jour
20:47
Bouba était affalé sur le clic-clac aux côtés de son pote Karim, un chichon au bout des lèvres, une canette de bière 1664 dans la pogne et le paquet de chips à portée de main. Tous deux se fréquentaient depuis l'enfance, et c'est tout naturellement qu'ils avaient mal tourné, ensemble. Sauf que Bouba était allé encore plus loin, désertant les bancs du lycée pour préférer ceux de la cité. Karim était l'exemple à suivre. Il avait beau être un connard de lycéen, avoir quitté une bombe pour sa prof, mariée, incarcérée et paraplégique, une meuf qu'il n'avait baisée qu'une seule fois et à laquelle il restait fidèle, le jeune homme avait de la tune, un studio sympa, deux belles caisses. Et il trouvait toujours les meilleurs plans avec un minimum de risque. A bien y réfléchir, passer la soirée avec lui était plutôt tentant, même si c'était pour persuader son inculte compagnon qu'il n'y avait pas que les films de cul et les gros nibards, Steven Seagal et le rap US dans la vie. De fait, le lycéen avait concocté un ambitieux programme qui les occuperait une bonne partie de la nuit : se faire l'intégrale de Besson en DVD. Nikita s'achevait et l'écran LCD déroulait le générique final avec sa bande son d'anthologie.
This is your time,
Tell me now,
Tell me how you feel inside;
Is it cold or is it sad ?
The dark side of time...*
— Putain, t'avais raison, man ! Ça déchire comme film ! s’exclama le gros black bedonnant avant de taper à nouveau dans sa « 16 ».
— Ce n’est pas pour rien qu'il a fait l'objet de trois remakes et d'une série américaine dérivée…
— Ça m'a donné une de ces dalles ! Tiens, fais péter les Knackis-Balls...
— Attends, je vais en réchauffer au micro-ondes...
— Oh c't'enculé de sa race ! T'as déjà tout béqueté ? Sale rapace va !
Dépité, le gros black écrasa son pétard dans le cendrier.
— Allez Bouba, fais pas chier, j'en ai d'autres, t'inquiète...
— Et on se mate quoi maintenant ?
— Le cinquième élément...
— C'est quoi ça ?
— Un space-opéra futuriste.
— Un quoi ?
— Un film de SF si tu préfères...
Hung up, le single électro-pop de Madonna, magnifié par un sample emprunté au groupe ABBA, interrompit la conversation des deux acolytes. La sonnerie polyphonique émanait du portable du jeune maghrébin. Appel entrant : Samir. Karim décrocha.
— Allô ?
— Allô, Karim ? C'est Samir, il faut que tu viennes me chercher.
— Putain, mais t'es où ?
— Dans le parking souterrain de l'immeuble où on jouait... Bip bip bip !
Bouba fixa son pote, interloqué.
— C'était qui, man ?
— Mon frère... Ça fait deux ans qu'on se parle plus, et c'est moi qu'il appelle à l'aide !
— Il est où ?
— J’en sais rien du tout, ça a coupé. Mais je crois bien que j'ai une petite idée...
— Tu veux que je t’accompagne ?
— Non, merci. C'est une affaire de famille...
— Bon, ben je vais aller zoner alors... Tu me files les clés de la Jag' ?
— C'est ça, rêve ! Estime-toi déjà heureux que je te prête ma Béhème...
— T'es vraiment qu'un rat !
Bouba descendit d'une traite sa canette et finit les quelques miettes qui restaient dans le paquet de Vico. Puis il s'arracha du studio.
— A plus, vieux, et prends bien soin de ta carcasse de chacal… conclut Karim.
* : Traduction des paroles de The dark side of time :
C’est ton heure,
Dis-moi maintenant,
Dis-moi comment tu te sens ;
As-tu froid ou es-tu triste ?
La face obscure du temps...
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