26 : Looking for Katia (*)
Le Baiser Salé
Quartier de la Porte Dauphine
Paris 16ème (75)
Fin janvier 2011
Le premier jour
23:30
La devanture du Baiser Salé, ornée d’acajou et de cuivre vieilli, relevait d'un certain standing. L’atmosphère ouatée de cette alcôve du seizième arrondissement de Paris était très appréciée de sa clientèle huppée qui venait s’y adonner à la luxure en toute discrétion et impunité, bien à l’abri du « qu’en dira-t-on ». Sagamore, tenancier de ce lieu de débauche, était occupé à lustrer son comptoir, accompagné de la Divine idylle susurrée par Vanessa Paradis, tandis que ces messieurs butinaient de vénales demoiselles dans des box aménagés en boudoirs très cosys.
Le calme feutré de l’établissement fut troublé par l’arrivée impromptue d’un grand rouquin que Sagamore ne connaissait que trop.
— Oettinger ! Ben ça alors, si je m’attendais… Je te sers un petit Alaska Ice Tea (6), comme au bon vieux temps ?
— Salut Sag’. Katia est dans le coin ?
Le barman blêmit sous la requête de son interlocuteur.
— Ka… Katia ? Qu’est-ce que tu lui veux à Katia ? Tu sais bien qu’elle n’aime pas être dérangée en plein boulot…
— Arrête tout de suite ton cinoche, Sag’, c’est personnel ! Alors dis-moi vite où elle est, sinon je démonte ton avatar de maison close brique par brique et j’appelle mes potes de la Mondaine pour qu’ils viennent faire le ménage sous les décombres. Me suis-je bien fait comprendre, espèce de Thénardier de mes couilles ?
— Elle... Elle n’est pas ici, elle bosse en free-lance depuis plusieurs mois…
Le flic choppa le mac’ par le col de sa chemise et le secoua comme un prunier contre le bois usé du comptoir.
— C’est quoi ces conneries ? Toi, l’esclavagiste des jupons frivoles, tu l’aurais laissée s’émanciper sans croquer ta part ? Tu me prends vraiment pour un con !
— Non, je te jure, Marco, elle avait besoin de fric, de beaucoup de fric !
— Pour quoi faire, bordel ? Pourquoi ?
Sagamore tremblait comme une feuille.
— J’en sais rien moi, c’est pas ma meuf !
Devant le poing du rouquin, qui se faisait menaçant, le barman paniqua.
— Tout ce que je peux te dire, c’est qu’elle voit un régulier, un type plein aux as, genre financier suisse. Marx ou Merx, je me souviens plus… Maintenant lâche-moi Marco, ma clientèle aime la tranquillité…
Le policier s’empara d’un bock de bière qui traînait sur le comptoir et l’envoya valser contre le miroir qui lui faisait face, effrayant ainsi les personnes alentour.
— T’enverras la note à ma hiérarchie ! Et ne sois pas surpris si les Mœurs viennent te faire une petite visite dans les prochains jours…
Oettinger regagna son auto et consulta son portable. Un message de Katia l’y attendait.
« Marco, c’est Katia. J’ai bien eu ton message mais ne viens pas au Baiser Salé, je n’y serai pas. Je n’y travaille plus. Je ne voulais pas t’expliquer ça sur un répondeur, seulement j’avais besoin d’argent. Pour ma mère. Elle… Elle va de plus en plus mal et les soins sont hors de prix, vu qu'elle n'a pas la Sécu. C’est pour ça que j’ai repris mon ancienne activité. J’imagine combien ce que je te dis doit te mettre en rogne, te décevoir peut-être… Je n’avais pas le choix. C’est ma mère, tu comprends ? Ne t’en fais pas, je serai prudente en rentrant. On se retrouve à mon appartement, même horaire que d’habitude. Je t’aime… »
— Katia… J’en avais de la tune, moi ! Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé, mon amour ?
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
(*) : A la recherche de Katia
6 : cocktail composé de curaçao bleu, de triple sec, de rhum blanc, de vodka et de gin
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