51 : France Soir
Banlieue résidentielle pavillonnaire
dans les environs de Cergy-Pontoise (95)
Fin janvier 2011
Le deuxième jour
21:45
Le coupé Lancia se gara dans l’allée gravillonnée, derrière une Twingo sombre. Marina coupa le moteur, les phares. Les projecteurs extérieurs illuminaient la sous-pente en pin blanchi. La villa au crépi rosé était noyée dans un tissu péri-urbain. Le lotissement paraissait récent, la maison spacieuse et cossue. La jeune femme descendit de son véhicule et s’approcha du porche. La porte d’entrée s’ouvrit avant même que Marina n’ait pu signaler sa présence. Un couple d’une cinquantaine d’années se tenait sur le seuil.
—Bonjour Madame, Monsieur. Je suis la maman d’Alex, un ami de votre fille…
— Oui, je me souviens de vous, répondit l’homme. Vous êtes commissaire de police, si je ne m’abuse…
— Tout à fait. Mon fils a fugué, semble-t-il. Aussi, je me demandais s’il n’était pas venu rendre visite à Melody.
— Mel n’a pas donné signe de vie depuis ce matin.
— Nos enfants sont peut-être ensemble.
— Elle avait rendez-vous pour des prises de vue avec un certain Izmaar quelque chose…
— Eagle ? Izmaar Eagle ?
— Oui, c’est cela, acquiesça l’épouse du quinquagénaire.
Marina blêmit. Elle repensa aux menaces à peine voilées que lui avait faites le Caïd de Sarcelles quelques heures plus tôt.
Non, ce n’est pas possible !
La commissaire choisit de ne pas s’étendre sur le sujet afin de ne pas affoler ses interlocuteurs.
— Je ramènerai nos deux fugueurs. L’amour leur a probablement donné des ailes…
— L’amour ? Melody fréquente depuis plusieurs mois un certain Samir. Elle ne sort pas avec votre fils !
— Samir Assouyef ?
— Oui, ce nom vous dit quelque chose ?
— Soyez sans crainte, je m’occupe de tout, esquiva la fliquette.
— Vous savez, nous ne sommes pas vraiment inquiets. Melo nous avait prévenu que sa séance de shooting pourrait s'éterniser.
Marina prit précipitamment congé du couple et quitta l’allée gravillonnée. Elle entreprit de passer sa soirée à parcourir la ville, les hôpitaux, les foyers ou centres d’accueil du secteur, à la recherche des deux jeunes gens en perdition. Elle ne pouvait pas rester à attendre tranquillement chez elle, sans rien faire. Ce n’était pas dans sa nature, quand bien même ses efforts s’avéreraient vains.
***
Les enceintes Bose diffusaient Roxanne, un tube de Police. Marina était au volant de son coupé gris cendré. Elle déchirait la nuit, diluée derrière un rideau de pluie. Les essuie-glaces chassaient l’eau du pare-brise, mais pas les larmes qui brouillaient sa vue. Elle fourragea dans son étui à cigarettes pour apaiser ses angoisses. Plus de clopes.
Merde.
L’élégante italienne fit une embardée que la jeune femme rattrapa in extremis. Elle stoppa son véhicule quelques mètres plus loin le long du trottoir et prit sa tête entre ses mains. Elle sanglotait. Le rétroviseur intérieur lui renvoyait l’ampleur de sa souffrance. Elle effaça rageusement les traces de rimmel qui noircissaient son visage et observa la rue autour d’elle. L’enseigne lumineuse d’un bistro nocturne attira son attention. Elle espérait qu’on y écoule du tabac…
Les cheveux dégoulinants d’humidité, Marina pénétra à l’intérieur du troquet désertique. Accoudé au comptoir en zinc, le barman, rougeaud et peu avenant, feuilletait une revue porno au son grésillant d’un transistor agonisant. Elle s’approcha du type qui ne levait pas les yeux de son torchon racoleur.
— Bonsoir, vous vendez des cigarettes ?
Pour toute réponse, le tenancier émit un grognement peu affable.
— Un paquet de Royale Menthol, s’il vous plaît.
Mécaniquement, le taulier, toujours hypnotisé par la catin couchée sur le papier glacé, tendit le bras derrière lui pour s’emparer dudit paquet et le posa sur le bar métallique. Marina ne faisait plus attention à lui, comme si le mec était transparent. Au-delà de la silhouette trapue, le titre qui faisait la une de France Soir lui cingla son orgueil avec l’impétuosité d’une gifle.
« Izmaar Eagle : la commissaire Marina Marquance a fait du Prince du hip-hop sa tête de turc pour des raisons personnelles ! »
— J’aurai ta peau, ordure ! Je te jure que tu ne m’auras pas à l’intimidation. J’arracherai mon fils de tes griffes et te ferai mordre la poussière…
L’homme qui se tenait devant la jeune femme leva vers elle un regard empli d’interrogation.
— Pardon ?
— Excusez-moi, je ne m’adressais pas à vous. Je parlais toute seule. Combien vous dois-je ?
Fin de la deuxième partie
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