53 : Mauvaise presse
Bureau de Police
DDPU 95
26, rue Général Leclerc
Saint-Ouen l'Aumône (95)
Fin janvier 2011
Le troisième jour
8:11
Devant le distributeur de café, Marina peinait à garder les yeux ouverts. Elle avait veillé toute la nuit dans l’attente d’un appel. Celui d’Alex. Ou celui de son frère d'armes. Aucun des deux ne s’était manifesté. Elle brassait nonchalamment le breuvage fumant avec sa touillette alors qu’il était sans sucre. Le jovial brigadier-chef s’approcha de la machine pour prendre son habituel cappuccino et salua la commissaire somnolente. Elle réagit à contretemps.
— Oui, bonjour Le Floch…
Absente, elle était figée dans ses pensées lointaines. En son for intérieur, elle ressentait le danger que courait son fils. Son collègue remarqua ses traits tirés, débusqua les cernes qui creusaient son visage.
— Vous avez des soucis, Marina ?
— C’est gentil de vous inquiéter, j’ai simplement très mal dormi…
— Et c'est votre premier café de la matinée ?
— Vous voulez dire avant ou après 8 heures ?
Sourires de connivence. La commissaire ne voulait pas parler de ses problèmes personnels et le brigadier respectait son choix. La jeune femme préféra embrayer directement sur la thématique professionnelle.
— A quelle heure sont convoqués Ozon et Eagle ?
Le Floch recracha dans son gobelet une partie de la gorgée qu'il venait d'ingurgiter, comme s'il s'était brûlé.
— Le taulier ne vous a rien dit ?
— Non, pourquoi ? Qu'aurait-il dû me dire ?
— Qu'on ne convoquait pas un personnage comme Izmaar Eagle comme n'importe qui, que c'était quelqu'un d'important, qu'il fallait y mettre les formes...
Marina reposa violemment son récipient en plastique recyclé sur la table haute du coin détente, parsemant quelques gouttes du liquide brunâtre sur le revêtement stratifié, et fonça en direction du bureau de Revon.
Furieuse, la jeune commissaire fit irruption dans l’antre de son supérieur et le coupa en pleine conversation téléphonique. Ce dernier raccrocha promptement.
— Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? hurla la jeune femme, vindicative.
— Marquance, vous auriez pu frapper…
— Ne me tentez pas, Monsieur le Divisionnaire ! Je réitère ma question : qu’est-ce que c’est que cette connerie ?
— Quelle connerie ?
— VOUS m’avez court-circuitée sans même m’en aviser au préalable ! Depuis quand les personnalités publiques comme Izmaar Eagle ont-elles droit à un traitement V.I.P de la part de la Police Nationale ?
— Depuis que votre nom et votre zèle font la une de la presse européenne !
Revon jeta à la figure de sa subordonnée les journaux qui jonchaient sa table de travail pour appuyer son propos.
— Votre célébrité s’étend jusqu’aux confins de la Wallonie, faisant d’Eagle un martyre des cités, la star que les forces de l’ordre persécutent par jalousie, par ambition narcissique. Ces forces de l’ordre que VOUS incarnez ! Il ne manquerait plus que vous vous mettiez à pousser la chansonnette pour décrocher un contrat chez Universal. Votre notoriété vous dispenserait même de courir les castings…
— Monsieur le Divisionnaire, j’ai plusieurs affaires de meurtre à résoudre, une enquête à mener. Et j’ai une piste.
— Une piste ? Voyons, Marquance, soyez réaliste une minute : vous n’avez pas l’ombre d’un soupçon de début de piste. Vous n’avez rien. Sur personne. On s’impatiente en haut-lieu. Et l'on jauge votre acharnement à vouloir faire tomber Eagle d’un très mauvais œil.
— J’emmerde tous ces ronds-de-cuir ! Je ne vais pas laisser s’en tirer une racaille qui liquide des individus sans compter sous prétexte qu’il tape le carton avec le Ministre de la Culture dans un tripot de la Seine Saint-Denis le samedi soir !
— Nous sommes dans le même bateau, vous et moi, sur un siège éjectable. On va se retrouver à faire la circulation sur la place de l’Étoile !
— Moi vivante…
— Marquance, ça suffit votre numéro de super flic, maintenant ! Je vous interdis d’auditionner Eagle et sa maîtresse tant qu’on n’a rien de solide contre eux.
— Vous savez quoi, Revon ? Vos ordres débiles, je m’en tamponne le coquillard ! Je m’assois dessus ! J’ai mes convictions, et personne, j’ai bien dit personne, ne m’empêchera de résoudre cette putain d’enquête…
Marina tourna les talons pour prendre congé de son supérieur avant que celui-ci ne puisse répliquer, et claqua la porte vitrée du bureau avec une telle énergie qu’elle en trembla sur ses gonds.
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