66 : Envol

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MJC du Village

Place de Verdun

Cergy (95)

Mi février 2011

22:15

La scène, le public. Un rai de lumière sur le chanteur. Une dédicace à sa dulcinée, présente dans la salle. Les briquets qui dansent dans l'obscurité, au son d'un extrait de Bliss, l’album le plus personnel de Vanessa Paradis : St Germain.

Tu donnes goût à la vie,

Je t'avoue, je t'envie,

T'es tout c'qui m'donne envie,

M'donne la vie,

Melody...

Une reprise épurée, une seule voix un peu cassée scande cet amour, cette envie : celle d'Alex Marquance. L'étoile filante de cette nuit. Les applaudissements.

— Merci beaucoup ! Merci de ce que vous nous avez donné ce soir ! Je... Je voulais terminer ce tour de chant en rendant un vibrant hommage à un être qui a beaucoup compté pour moi, et qui, hélas, n'est plus. Il était plus que mon parrain : un père de substitution parfois, un grand frère souvent. Si ma Melody chérie se trouve quelque part parmi vous, et si j’ai l’immense privilège de me produire devant vous, c'est à lui que nous le devons. Marco, cette chanson-là est pour toi, parce que j'aurais aimé un jour arpenter avec toi Les rues de Philadelphie.

J'étais blessé, abîmé,

Je ne ressentais plus rien,

Je ne me reconnaissais pas [...]

Alors, emporte-moi, mon frère,

Avec ce dernier baiser,

Emporte-moi loin […]

On ne va pas

Se quitter comme ça,

Seuls, rue de Philadelphie [...]

Standing ovation, salutations de l'artiste, des musiciens. Les coulisses, les congratulations des proches, la pression qui retombe...

La rue, le froid, la nuit. Un dernier verre peut-être, pour fêter un succès naissant.

Quelques mots à ma mère d'abord...

— Allez-y, les amis, je vous rejoins...

— Tu vois, mon fils, tu n'avais aucune raison de t'angoisser, ça s'est super bien passé !

— Ouais, je suis assez content...

— Tu vas rentrer tard cette nuit ?

— Ben, tu sais comment c'est, une soirée entre potes. On va traîner dans un piano-bar jusqu'à ce qu'il ferme, finir dans un after...

— Alex, même si je te fais confiance, sois prudent. On ne l’est jamais trop…

— M'man ! Je ne suis plus un bébé !

— Je suis une vieille emmerdeuse, je sais...

— Avant d’y aller, je voulais m'excuser. Pour ce que j'ai pu te dire ou t'écrire à propos de papa et de toi... Ça ne me regarde pas...

— Tu as le droit de savoir, Alex. C'est aussi ton histoire. Et j'aurais dû vider mon sac avant, mais je culpabilisais trop. Ton père et moi, on s'est beaucoup aimés. Seulement, il était d'une jalousie maladive. Ça a clashé entre nous parce qu'il avait découvert la liaison que Marco et moi avions eu bien avant notre rencontre. Je n'ai pas supporté son attitude, j'avais l'impression de revivre un épisode traumatisant de mon enfance. On s'est réconciliés par la suite, mais ça avait cassé quelque chose entre nous. Dès lors, j’ai tiré un trait sur cet idéal de bonheur conjugal. J’ai tout donné pour réaliser mon rêve de môme, je me suis totalement investie dans mon métier. Il me voulait mère au foyer, aux petits soins pour notre famille, celle qu'il souhaitait agrandir. Moi, j'étais à mille lieues de tout ça. Le matin de son accident, on s'est disputés parce que je lui avais annoncé ma mutation pour ici, une demande que j'avais faite sans l’avoir consulté au préalable. Et je ne peux m’empêcher de penser que j’ai une part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé ce jour-là. C'est sans doute pour cela que je ne l'ai jamais remplacé, pour ne pas le trahir une seconde fois...

Aussi bouleversé que rasséréné par ces révélations, le jeune homme embrassa sa mère pour la remercier d'avoir levé le voile sur ce passé qui lui était si méconnu. Un passé nécessaire pour se construire, se soulager de ce poids qui écrasait les tréfonds de son âme et qui entravait la moindre de ses velléités d’épanouissement.

Le temps défilait... Il avait cette soif de vivre qui le contraignit à abandonner Marina sur ce trottoir humide pour se disperser en futilités adolescentes. Submergée par sa soudaine solitude, le zippo à l'effigie de Sting entre ses doigts, la quadragénaire avait l'impression d'avoir accentué au scalpel la profondeur des sillons qui creusaient son visage. Elle portait ses rides comme des cicatrices indélébiles, héritage des multiples épreuves qu’elle avait traversées, des croisades que le brillant petit soldat qu’elle était avait âprement menées. Des volutes de fumée s’échappant de sa Royal Menthol incandescente l’enrubannaient d’un brouillard fantomatique. Lasse de tout, elle se perdit dans des songes qui ne lui appartenaient plus depuis longtemps, ceux d'un amour idyllique qui s'était éteint en emportant David et Marco avec lui.

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