Chapitre 20 ~ À ciel ouvert

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  Robbie contemplait le ciel d’encre qui s’étendait à l’infini au-dessus de sa petite existence. La nuit était particulièrement claire ce soir. Pas un seul nuage ne venait obscurcir la douce lueur de la lune et ses voisines seraient parfaitement visibles lorsqu’elles daigneraient se montrer. Pourtant, le cœur de Robbie était loin d’être aussi limpide.

  Il se sentait gris, comme si les murs de l’orphelinat avaient enfin réussi à percer sa peau pour imprégner son âme. Son âme ; en avait-il une seulement ? Depuis longtemps, la solitude emplit pleinement tout son être jusqu’au bout des ongles. Il se sentait sale, dépossédé de lui-même. Tout ce qu’il pensait savoir sur sa vie avait littéralement exploser au cours des derniers jours, ne laissant que des décombres brûlants sur son identité. Robbie Hunter. Non. Juste Robbie. Jonathan Hunter n’était pas son père, puisque ce dernier était mort – assassiné – bien avant sa naissance. Son vrai père était un membre du peuple des Âmes qui avait commis l’erreur d’aimer une Brûleuse. Une Brûleuse qui avait commis l’erreur d’aimer une âme. Et lui, où se situait-il dans tout ça ?

  Le souvenir de sa mère l’habitait plus qu’il ne se l’était autorisé en cinq ans. Il revoyait son sourire, ses yeux doux – sans aucune comparaison possible avec les prunelles monstrueuses de ce qu’était devenu sa sœur. Il sentait sa main sur son front, sa voix tandis qu’elle lui contait inlassablement la même histoire. Son histoire. Il ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi elle ne lui avait rien dit de son vivant.

  « Pour te protéger, lui souffla le criquet, presque timidement.

- Fiche le camp. »

  Et le criquet obéit, contre toute attente. Qu’était-il finalement ? La manifestation de sa conscience comme il le croyait depuis le début, de son âme, ou alors la preuve de son instabilité de Brûleur ? L’adolescent se sentit tout de suite coupable. Sa mère n’avait jamais rien eu d’un monstre. Il lui fallut admettre que Charlie avait raison ; les bons Brûleurs devaient exister, tout comme les mauvaises Âmes. Mais comment trouver la différence, comment reconnaître le Bien du Mal ? Robbie soupira, décrocha son regard du ciel pour enfuir son visage dans ses mains. Il respira profondément, tentant en vain de chasser les images de cette nuit de sa tête, de se concentrer sur la voix de sa mère, de refouler sa colère. Sans succès.

  Crumpek n’était plus, certes. Mais Jamie avait mentionné quelqu’un d’autre, de plus mauvais, qui était venu lui régler son compte. Crumpek elle-même a parlé d’un clan. Robbie laissa retomber ses mains, devenues brûlantes malgré la fraîcheur de la nuit. Un sombre désir de vengeance naissait dans sa poitrine malgré les derniers mots que Jamie lui avait adressés mentalement.

  Ne leur donne pas la satisfaction de devenir ce qu’ils s’imaginent de toi.

  Le sens de ces mots lui échappait totalement, ajoutant une énième question sans réponse à la longue liste qui constituait désormais son identité.

- Robbie ?

  Il se retourna vers la voix qui l’appelait doucement.

- Salut, Charlie.

  Elle vint s’assoir à côté de lui, frissonnant dans la couverture empruntée à Marianne en levant le nez vers le ciel.

- Il est encore tôt, constata Robbie. Comment tu te sens ?

- C’est plutôt à toi qu’il faut demander ça.

  L’adolescent haussa les sourcils sans répondre. Charlie soupira.

- Ça va, je crois. Je sais qu’il est en vie là-haut. On s’en est sorti.

- Tu prends les choses mieux que moi, comme toujours, sourit-il.

  Mais Charlie ne se laissa pas duper, même s’il s’était empressé de détourner les yeux pour qu’elle ne puisse lire en lui. Elle le poussa gentiment de l’épaule.

- Tu veux en parler ?

  Robbie haussa les épaules cette fois, le regard fixé sur un ciel qu’il ne voyait pas.

- Il y a tellement à dire. Ou plutôt, il n’y a rien à dire. Personne ne pourra répondre à mes questions.

- On pourrait chercher les réponses.

  Robbie se tourna vers elle, surpris.

- En cherchant les Autres mentionnés dans le code, on pourrait trouver les réponses à tes questions. Tiph et Ed ont décidés de rester avec Thomas et Marianne, pour les aider et garder un œil sur Greywall. Nick a envie de voir du pays, c’est l’occasion rêvée, et Fred l’accompagne. Rien ne nous retient ici.

  Robbie ne répondit pas tout de suite. Ce n’était pas une mauvaise idée, il devait le reconnaître ; et pourtant, quelque chose le retenait. Charlie dut le sentir, car elle saisit sa main dans la sienne et la pressa doucement. Si elle sentit leur chaleur anormale dans l’air froid de la nuit, elle n’en dit rien. La connaissant, il était possible qu’elle s’en ficha. Il l’espérait de tout son cœur ; il n’aurait pas supporté qu’elle le voie comme un monstre.

- Et si on se trompe ? Si trouver les Autres voulait dire en fait poursuivre l’œuvre des Brûleurs ? De… Crumpek ?

  Elle serra sa main un plus fort.

- Je sais que tu ne crois pas ta mère capable de choses pareilles. Elle voulait te protéger. Elle t’aimait, et je suis sûre qu’elle t’aime toujours, peu importe où elle se trouve maintenant.

  Robbie laissa couler la larme qui déborda de son œil ; elle roula sur sa joue, suivie par d’autres. Le criquet lui ayant soufflé la même idée, il se dit qu’au final il ne devait pas être si malfaisant.

  « Evidemment, on n’écoute les autres et pas moi… Non mais, malfaisant, tu t’es regardé ? »

- Tu n’es pas mauvais Robbie. J’ai eu de la chance de tomber sur toi à la cuisine ce soir-là.

- Merci pour la pomme, farfadet.

  Ils rirent, leurs souffles dessinant des volutes dans l’air, la vue de Robbie brouillée par ses larmes. Charlie avait réussi à l’apaiser, comme elle arrivait à le faire depuis qu’il la connaissait. Les dernières semaines se rejouaient derrière ses yeux, s’imprimant fugacement sur le ciel d’encre, mais cette fois, seuls les moments passés avec la rouquine se ravivèrent. Ses craintes et sa colère fondirent comme neige au soleil, pour l’heure. Il savoura l’instant, décida que tout le reste pouvait attendre une nuit de plus.

  Robbie offrit son visage à la brise et leva les yeux. Les étoiles étaient de plus en plus nombreuses dans le ciel d’encre. Charlie posa la tête sur son épaule, et Robbie appuya sa joue sur le haut de la tête de la rouquine, leurs mains toujours enlacées.

- Deuxième étoile à droite, murmura Charlie au bout de quelques instants en écho aux paroles que son frère avait prononcées plusieurs heures plus tôt.

  Et en effet, deux petites étoiles, presque isolées des autres, scintillaient davantage que leurs consœurs à leurs yeux. La seconde scintillait frénétiquement, comme pour saluer les deux orphelins restés au sol.

- On aurait dû apprendre le morse à Jamie, ça aurait été plus pratique.

  Sa blague n’était pas si drôle – et n’avait pas tellement de sens puisque même Robbie pouvait deviner ce que l’Âme là-haut tentait de leur dire – mais Charlie pouffa.

- Ça aurait été mieux que le morpion, c’est sûr !

  Les deux adolescents restèrent un long moment assis là, à contempler ensemble la voûte constellée de qui sait combien d’Âmes, blottis l’un contre l’autre dans la nuit claire. Quand l’encre du ciel commença à se diluer dans la lumière du jour, ils saluèrent leurs deux amis du Monde D’En Haut le cœur et l’âme légère, sachant que chaque nuit ils les retrouveraient sans peur aucune, et prêts à affronter ce que la vie leur réservait encore. Car les étoiles ne craignent pas l’obscurité.



FIN.

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