Dernière rencontre en quatre temps
Février. C’est l’hiver qui nous réunit. Près de dix ans que nous nous voyons tous les étés pour que tu apprennes le français. Nous sommes passées de l’enfance à l’âge de jeunes adultes ensemble avec toutes nos différences et nos similitudes, à s’écrire chaque semaine dans un français correct même si au fil des années on déviait sur l’argot. Cet été-là, je t’ai fait la surprise de te rejoindre en vacances. Celles où tu avais voulu faire découvrir à ton fiancé la région de tes belles années passées ici avec ma famille. La France est championne du monde quand vous êtes déjà sur les Champs et moi en bas.
Février. On trouve enfin un week-end pour que cette fois, je découvre ton chez toi. Quelques centaines de kilomètres nous séparent. Nous passons un week-end de dingueries même si je ne comprends fichtre rien à la langue de ton pays. Tu m’emmènes dans un restaurant fabuleux où je goûte de l’autruche et du kangourou. On sort, on shoppe, on rit, on pleure. On parle de ton mariage. Non, de tes mariages car ils auront lieu, sur deux continents, dans trois pays différents : le tien, le sien, le vôtre. Tu veux fuir la vie que tes parents ont rêvée à ta place et tu as fait les choses en grandiose, plus loin c’est presque impossible. Nous savons que ce week-end là, c’est le nôtre comme au bon vieux temps même s’il nous manque mer, soleil, palmiers, et j’en passe.
Dans sept mois, on se revoit pour festoyer dans chacun de vos pays, je vais enfin rencontrer celles et ceux qui vous sont proches et chers.
Juin. L’appel de la police de ton pays chez mes parents. Tu as disparu. Peut-être enlevée car le côté grandiose était aussi dans le choix de ton mari. Je n’y crois pas. Je pars une journée pour aider à te chercher, pour soutenir tes parents … quand bien même ta maman a fait ce rêve étrange. Il se passe cinq jours avant de recevoir cet appel. Ça y est. Tu es retrouvée. La joie. Mais la suite de la phrase, je n’étais pas prête à l’entendre celle-là… pas déjà, pas maintenant, pas comme ça. Tu es décédée. Je suis dévastée. Noooooon. Je suis incapable de rentrer chez moi. On vient me chercher. Le cauchemar de ta maman était prémonitoire. Je rassemble toutes nos photos. Je démonte mon cadre préféré pour nous réunir pêle-mêle sous ce verre. J’ai besoin de te voir. Je ne verrai que ton cercueil et ensuite tes cendres. Ton corps a été abîmé, nul n’est autorisé à te voir.
Quelques semaines avant ton mariage, nous nous retrouvons donc de tous vos pays réunis dans la petite église que tu avais choisie, juste derrière chez toi car tu la préférais à l'immense cathédrale. N’y entrent que les personnes ayant un carton d’invitation car les places sont peu nombreuses, la messe est retransmise par micro à l'extérieur. Tu as fait déplacer la moitié du pays. Tu es la star et je suis une VIP pour te dire adieu. Je devais être demoiselle d’honneur. Ton fiancé officie dans sa langue, sa culture, sa religion comme il était convenu que votre mariage soit célébré ici se melant à ta propre religion. La cérémonie est magnifique. Elle dure peut-être même plus longtemps que si vous vous étiez mariés. Tous les VIP partent avec le dernier CD que tu avais acheté, sur lequel on y entend la fameuse chanson qui me remue toujours autant plus de vingt ans après. Celle qui a accompagné ta sortie de l’église catholique. Je garde précieusement le livret de messe. Je n’ai rien compris mais il y a ton écriture, tes mots … qu’on me traduira plus tard. L’ultime choc : nous avions la même histoire de début de vie sans que nous ayons partagé une seule fois cela : être élevée par un père non biologique. J'aurais tant aimé en échanger avec toi. Nos mamans se sont rapprochées, elles, pendant que tu me laissais là en mer...
Notre dernière rencontre s’est finalement faite en quatre temps : l’été précédent, février, juin et maintenant. Hasard de la vie. Aujourd’hui un magnifique nuage représentait un ange au-dessus de ma tête. Tu es mon ange depuis tout ce temps. Et tu me manques toujours autant.
jFA
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