Jour 1 - La décision
J’aimerai ne pas être seul dans cette épreuve, alors me voilà devant mon ordinateur pour donner un sens à ce saut immense dans le vide. Depuis plus de 10 ans, la consommation de cannabis fait parti intégrante de mon quotidien. Similaire au sol sous mes pieds, à l’eau, l’air, le cannabis est un pilier de mon équilibre. Du moins, c’est ce que je pensais.
Commençons par le tout début, deux ans avant une consommation soutenue. J’avais 13 ans, en quatrième dans un collègue de village. Nous n’avions aucun consommateur dans l’enseigne et les fumeurs de cigarettes n’étaient vraiment pas nombreux. J’avais fait la connaissance d’une amie, plus âgée que moi et venant de la ville. Elle n’avait pas l’habitude de respecter sagement les règles et baignait dans une atmosphère déjà bien avancée en termes d’addiction. La cigarette faisait partie intégrante de sa vie depuis ses 12 ans et pouvait consommer directement dans sa chambre. Très amoureux, je passais mes weekend avec sa famille et j’ai ainsi découvert mes premières cigarettes et ma première cuite. Je n'étais pas aussi curieux mais très admirateur de ses attitudes bonifiées par la cigarette ou le verre à la main. De mon point de vue d’adolescent, j’entends.
Lors d’une fête de village, nous avons retrouvé un ami à moi et j’ai rencontré pour la première fois son grand frère. C’était un militaire beaucoup plus âgé que nous mais je suis incapable de savoir de combien avec le recul. Il consommait pas mal de drogues différentes dont de la cocaïne. Il a tout de suite flashé sur mon amie et elle aussi. Pendant les quelques mois de relations qu’ils ont eu, nous avons fait ensemble pas mal de sorties. Il avait le permis et pouvait nous emmener n’importe où. J’ai goûté son joint une après-midi où nous étions allés au cinéma. J’ai eu un effet très fort avec seulement une latte.
Je l’ai très vite oublié. Aucune envie de faire des pieds et des mains pour pouvoir recommencer. J’ai donc fini le collège sans gouter à nouveau un joint. Puis, le lycée est arrivé, interne. Rattaché au ministère de l’agriculture, l’établissement offrait plus de prés que de goudron. Nous avions deux options sous-entendu, l’alcool ou la fumette. J’ai rapidement choisi mon camp. Ceux aimant boire devait marcher pendant quarante minute (aller-retour) pour aller acheter le nécessaire et avait plus de mal à le cacher. Nous concernant, il suffisait de s’adresser à un élève plus âgé, et hop, dix grammes dans la poche.
A l’époque, cela nous faisait la semaine, en étant au moins six ou sept à consommer… sur un joint ! Imaginez donc le peu de quantité nécessaire à nous faire décoller ! Certain consommateur avait des stratégie en roulant : mettre beaucoup au début puis à la fin. Entre, uniquement du tabac, avec un effet parfumé quand on fume. Seuls les proches avaient l’honneur de tirer les lattes du début et de la fin. Entre deux, il n’était question que d’ententes et de services rendus.
Rapidement, j’ai apprécié être complètement à l’ouest pendant les cours. Je dormais pendant et ne sortait plus aucune affaire de mon sac. Ma vie se résumait à monter dans les airs, manger pour redescendre un peu, dormir pour ne pas vivre, et recommencer. Peu à peu, la consommation s’est étendue au matin, je sautais même le petit déjeuner pour ne pas en rater un de plus. Le plus ravageur…
J’ai fait un bad trip, ma santé mentale n’était pas au beau fixe et la défonce m’a emmené dans des coins sombres de mon esprit. J’ai eu peur, mes amis aussi. L’un d’entre eux, un consommateur le weekend m’avait demandé de stopper en semaine. J’ai signé un contrat avec deux de mes amis m’engageant à ne plus fumer… puis j’ai fumé le lendemain.
Mon redoublement et le départ d’une grande majorité de mes amis consommateurs m’a fait complètement stopper. Je ne pouvais pas assurer l’école et une consommation en même temps. Seulement, je me suis promis une chose : une fois libre, adulte, autonome, je consommerai tout les jours.
Ce que j’ai fait.
Prendre le plateau pour le rapprocher devant moi, vérifier le paquet de feuille, attraper le grinder, le pot d’herbe et mon paquet de cigarette. Une fois tout autour du plateau, je commence par prendre une cigarette et la frappe contre le plateau pour la tasser. Je la fais glisser sous mes doigts et coupe le maroc pour le mettre de côté avec la souris. Je lèche la cigarette pour pouvoir l’ouvrir, en extraire le tabac. Je fais un petit tas, prends le grinder et une petite tête dans le pot pour le broyer. J’ouvre le grinder et en fais sortir l’herbe finement hachée sur le tabac déjà prêt. Je mélange avec mes doigts pour répartir le goût et prends une feuilles pour faire glisser le mélange avec une carte légèrement rigide. Je tasse avec mes doigts le mélange, le long de la feuille pour donner une belle forme au joint. Je fais glisser la feuille dans un mouvement léger puis l’accompagne en mouillant le collant. Je colle, tasse de nouveau en glissant la souris au bout. Je la retire, fais un petit chapeau en pinçant la feuille en trop et le coupe net entre mes doigts pour l’allumer.
Une chorégraphie bien rodée, plus longue à décrire qu’à pratiquer. Seulement entre une à deux minutes pour faire tout cela.
Quatre années sont passés avec un rythme effréné dès le réveil jusqu’au couché, complètement embué. La différence avec le lycée, c’était mon passing auprès des autres. Certains de mes connaissances, ne savaient pas voir la différence entre mes moments de défonce et ceux où je ne l’été pas, bien que peu nombreux. J’avais l’impression d’être parti pour une vie entière et d’autres consommateurs bien plus âgé me confortaient dans l’idée que ce n’était pas incompatible. Alors, pourquoi arrêter ?
Financièrement, je devais réduire et puis moralement, je n’allais pas bien du tout. Ma journée s’est divisée entre le matin lucide et l’après-midi, fixé, collé à mon canapé, défoncé. Mon moral ne s’améliorait pas, combiné à tout un tas de raisons non liées à ma consommation. Je n’avais pas l’esprit clair, j’étais en pleine fuite du monde réel, de mon quotidien. Être à moitié présent m’a permis de supporter des soirées, des moments que je n’aurai jamais accepté sobre.
Et puis, après une séparation, mon quotidien s’est adouci, tout en gardant une consommation moins soutenue. Maintenant, les après-midi sont lucides également et seule ma soirée reste embuée.
La personne partageant ma vie souhaite stopper net sa consommation. Ma réaction est disproportionnée et clame haut et fort qu’il est impensable de faire de même. Je suis colère, je ne veux pas en entendre parler. Elle n’arrête pas, je suis soulagé et continu bon train mon chemin. Seulement, financièrement, je dépasse les limites. Les sommes par mois augmentent et me voilà rendu à consommer la grande majorité des cinq cents euros dépensés. Ma partenaire s’inquiète de me voir les enchaîner mais se contente de suggestions, de conseils et me pose des questions pour comprendre pourquoi. Puis, peu à peu, ce sont mes amis, consommateurs eux aussi qui tirent la sonnette d’alarme. C’est trop, tout le temps, avec très peu de temps entre deux.
J’ouvre les yeux.
Je ne peux plus nier mes attitudes, je ne peux plus détourner le regard sur les sommes qui augmentent. Je ne peux plus me mentir à moi-même en prétendant me faire du bien. Je ne veux plus être guidé par la substance. Je ne la domine plus, je ne contrôle plus. La situation devient dangereuse pour moi et les relations qui m’entourent. La décision est prise, j’attends la commande de CBD et je n’en prendrais qu’un seul par jour, juste avant le coucher.
Je dois dire que je n’ai pas de difficultés à dormir, avec ou sans, et je ne suis plus angoissé comme avant. Alors à quoi ça me sert ?
Pendant le temps où j’ai dû attendre la commande, j’avais beaucoup d’appréhension à l’idée de me confronter à moi-même. J’avais le présentiment que quelque chose allait resurgir… mais quoi ?
La personne partageant ma vie m’a rappelé de prendre les aléas de la vie au fur et à mesure et de ne pas me rajouter de pression ou d’angoisse. Je l'ai fait, non sans difficultés.
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