Manu était un jeune homme, il marchait sous un épais rideau de pluie. Il était seul à fixer le sol, tous avaient déserté les rues pour s'abriter le temps de cette longue averse. Cela faisait déjà une bonne demi-heure qu'il marchait sous cette pluie qui s'intensifiait. Ses cheveux naturellement bouclés étaient trempés mais il se fichait de les protéger, il se fichait de tout. La sensation des gouttes s’entrechoquant sur son épiderme et qui lui coulaient jusqu'au menton, lui plaisait énormément. Ses mains recouvertes de bandages étaient profondément cachées dans les poches de sa longue veste blanche. Ses pieds enfouis dans d'épaisses bottes noires avançaient d'un rythme régulier qui s'accordait parfaitement avec celui de la pluie s'écrasant dans les petites flaques apparaissant dans la rigole et dans les légers creux du trottoir.

Soudain, il s'arrêta. Une flaque plus grande que les autres reflétait, déformé par les goutes, son corps frêle. Cette veste ne lui allait pas du tout, elle était beaucoup trop grande pour lui. Ses traits, d'abord neutres, se froncèrent et un cri de rage sortit du fond de sa gorge. Ses joues pâles avaient légèrement rosi sous cet accès de colère et son regard devint immédiatement plus triste. Des souvenirs s'insinuèrent dans son esprit et ses prunelles noisette s'assombrirent. Au lieu de contourner cette mini mare comme l'aurait fait n'importe qui, il enfonça d'un pas lourd ses deux pieds dans l'eau détruisant l'image qu'il percevait. Ses bottes se remplirent un peu mais il avança. Désormais, un son spongieux les accompagnait, lui et la pluie.

Une petite truffe sortit de sous sa capuche afin de respirer l'air frais. Sentant ce mouvement, il sourit légèrement, sa petite bestiole aux poils gris se réveillait enfin, son petit rat. C'était tout ce qui lui restait, ce petit animal sans défense qu'il avait adopté deux ans auparavant. Un ami avait eu une portée et lui en avait fait cadeau, connaissant son amour pour les animaux. Il savait que cet être dédaigné de beaucoup serait entre de bonnes mains.

C'était un autre temps, elle était encore à ses côtés et ce depuis fort longtemps.

Elle avait toujours été une bonne compagne, l'écoutant parfaitement, le réconfortant quand ça n'allait pas et ce sans que des mots aient besoin d'être dits. Son regard parlait pour elle, ses yeux contenait une infinie tendresse. Leurs nombreuses balades au parc, ces moments rien qu'à eux, n'auraient plus jamais lieu. Il pensait qu'elle resterait encore quelques années au moins avec lui, mais un connard l'avait fait disparaître à jamais. Il pleurait et frappait les murs de sa chambre chaque soir depuis sa mort qui datait de la semaine précédente. Bloqué dans un silence, son cœur hurlait à sa place.

Une voiture roulant trop vite à la sortie du parc l'avait fauchée alors qu'elle courait pour aller chercher la balle qu'il avait malheureusement lancée trop loin... Son poil blanc neige recouvert de sang serait gravé dans sa mémoire. Ses pupilles fixant le vide à jamais, cette compagne qui l'avait suivi partout, était partie trop tôt à cause de lui. Sa magnifique chienne, son ange gardien.