Chapitre IV.1

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Qu’allait-il faire maintenant ? Peut-être commencer ses préparatifs, il ne pourrait pas rester chez lui très longtemps. Il avait une folle envie de se vautrer dans son canapé, sans même regarder la télé, simplement s’allonger et fermer les yeux... Mais peut-être lui serait-il plus judicieux d’accorder un peu d’attention à ses visiteuses, deux abeilles qui l’attendaient dans le séjour, silencieuses, battant des ailes en surplace à l’exact centre de la pièce.

Elles ne devaient pas s’échapper ! Quelles que soient les informations qu’elles avaient pu recueillir dans l’appartement, il ne fallait pas les laisser transmettre le moindre indice aux forces de l’ordre, qui quant à elles finiraient bien par rétablir un semblant d’organisation en leur sein.

Par où diable étaient-elles entrées ? Io se rua à l’intérieur, ferma précipitamment la porte derrière lui, se jeta sur sa droite, fit une roulade sur le sol et plongea vers l’autre porte donnant sur sa chambre, qu’il bloqua aussitôt.

Les systèmes d’aération intégrés au synthétiseur de nourriture ! Elles étaient certainement entrées par-là. Il sauta par-dessus la table tout en arrachant son manteau, fit un tour dans les airs et boucha promptement les ouvertures avec sa veste.

D’un bond il se remit sur pieds. Enfin, les abeilles étaient coincées ! Pourtant, elles ne montraient aucune envie de quitter la pièce. Elles n’avaient d’ailleurs pas bougé d’un pouce depuis qu’il était entré. Seulement maintenant, elles commençaient à se déplacer vers lui, lentement, sûrement. « Et si elles étaient dangereuses ? » Elles semblaient en effet lui vouloir du mal. « Après tout, c’était quand même une bonne idée que de les enfermer, se dit-il. Mais il n’aurait peut-être pas fallu rester leur tenir compagnie ».

Décidément, elles voulaient le piquer. « Les vilaines ! » Il en chassa une de la main et courut se réfugier derrière le canapé. Que faire ? Se saisir de l’imposant mais confortable meuble et le jeter sur ces maudits insectes ? « C’est peut-être une mesure disproportionnée » pensa Io, prudent. Alors quoi ? Il replongea de l’autre côté du canapé alors que les deux abeilles avaient de concert entamé un piqué droit sur sa position, le dard en avant.

La table le séparait désormais des insectes, mais elle était un peu basse pour le protéger efficacement. Il ouvrit le tiroir et se saisit des assiettes. « On en apprend tous les jours », se dit-il alors qu’elles se fracassaient maladroitement contre le mur opposé : « le Frisbee, c’est pas mon truc ! »

Un couteau dans chaque main, il sauta sur la table. Il se contorsionna pour éviter les bestioles électroniques, fit demi-tour et, d’un geste précis, frappa une des assaillantes du tranchant de la lame. « Ah ! Zut ! C’était une cuiller ». Tant pis… l’abeille n’était qu’assommée, elle tomba sur la table. Io sauta vivement de cette dernière, fit une culbute au cours de laquelle il enleva sa chaussure droite qu’il saisit fermement des deux mains.

Il était meilleur au tennis qu’au lancé de Frisbee, et l’ennemie fut projetée en plein dans le tiroir. Il y ajouta l’inconsciente frappée par la cuiller, et enferma les deux tueuses avec la vaisselle.

La table rechigna quelque peu, car il n’avait pas mis le nouveau produit dont elle l’avait pourtant assuré de la parfaite efficacité, mais, bon gré mal gré, elle commença à frotter et à laver le contenu du tiroir. Il avait gagné.

Cependant… des policiers ne tarderaient pas à arriver, et ils ne rentreraient peut-être pas dans le tiroir à vaisselle, eux. Io allait devoir s’installer ailleurs. De quoi avait-il besoin ? « Plus question de se vautrer dans le canapé maintenant. » Il alla chercher un solide sac à dos, et se mit à le remplir de tout ce qu’il pensait pouvoir servir.

Il avait tout un tas de gadgets qu’il avait acheté suite à des publicités enchanteresses, mais qu’il n’avait pratiquement jamais utilisés : une corde, des lampes de toutes sortes, des lunettes infrarouges, des pilules nourrissantes avec lesquelles il pourrait tenir des semaines s’il parvenait à s’habituer à leur goût infect, des chaussures à ventouses pour marcher au plafond…

Il possédait un tel bric-à-brac d’objets hétéroclites qu’il ne pouvait décider ce qui lui serait utile ou non. Il commença à entasser le plus nécessaire au fond du sac : une couverture de survie, la nourriture… On sonnait à la porte.

« Je suis pris ! » pensa Io, alarmé. Il fourra rapidement une brassée de gadgets dans le sac, mit celui-ci sur son dos…

« Zéro-cinq, sur la gauche ; zéro-huit, sur la droite ! hurla le chef de la patrouille. Je fais sauter la porte ! »

Mais celle-ci s’ouvrit d’elle-même…

« Vous cherchez 21 ? » lui demanda l’homme qui se tenait sur le seuil et qui se pencha pour lui chuchoter à l’oreille : « Il se cache dans la douche ! Attention, il est tout nu… »

Le policier, un énorme colosse en armure de combat, fit un effort pour ne pas rougir. « Merci, Citoyen ! » clama-t-il, et il se rua à l’intérieur avec ses deux collègues.

« Personne ! Cet individu dit n’importe quoi… C’est sûrement le criminel ! Il a menti à un représentant de la Société… Mais cet homme est un vrai monstre ! » s’exclama-t-il avant de se précipiter à nouveau dans le couloir pour se saisir du coupable.

« Mais c’est qu’il fuit, en plus ! Il n’a donc aucun respect pour l’ordre établi ?! »

Io dévalait les escaliers, quatre à quatre. « Pourvu qu’ils n’aient pas bloqué la porte ! » songea-t-il. Non… Il était dehors, où tout était calme ; personne en vue. Il courait le long de la route dans le silence le plus total ; mais les policiers n’avaient pas l’habitude de jurer lorsqu’ils partaient à l’assaut, et le silence ne le rassurait nullement.

D’ailleurs, le rayon étourdisseur qui frôla son dos alors qu’il s’engageait dans une ruelle fit le point sur son état : il était poursuivi.

Io courrait de plus belle. Mais il ne pourrait tenir ce rythme très longtemps. « Il me faut un véhicule », se dit-il. Une chance : un bus s’apprêtait à démarrer. Il eut juste le temps de s’agripper à la portière, qui refusait obstinément de s’ouvrir, que déjà il était parti. Io aperçut, du marchepied sur lequel il se tenait, les trois policiers, qui après avoir renoncé à le désintégrer de peur d’érafler un véhicule de la Société, attendaient le prochain bus, pointant déjà à l’horizon.

« Ils pourront bientôt me rejoindre, réalisa-t-il. Ils vont réquisitionner le bus suivant et le faire accélérer ; il va me falloir descendre rapidement. »

Plus le temps, donc, de s’amuser à imaginer la rue en train de fuir au loin, il devait faire le point sur la situation.

« Il n’y a personne dans le bus, constata-t-il. Etrange… Même pas de chauffeur, il est automatique. Personne non plus dans les rues, mis à part quelques petits groupes s’empressant de s’engouffrer dans un bâtiment. Bien sûr ! Tout le monde est chez soi, installé devant sa télé, occupé à regarder des programmes leur montrant qu’il ne faut pas faire n’importe quoi avec des feux d’artifice ! La police a été remise en état plus rapidement que les civils, malheureusement… Quoique : il est quand même bizarre qu’il n’y ait qu’une seule patrouille à mes trousses ! Sans doute qu’avec le Centre d’Analyse détruit, ils ne peuvent plus coordonner leurs efforts, ni se transmettre efficacement les informations. Du moins, je l'espère ! »

Le bus ralentit pour s’arrêter à un nouvel arrêt, celui-ci un peu moins désert que le précédent, trois personnes étant en vue. Io sauta du marchepied sur lequel il avait fait le trajet et aperçut, un peu plus loin le long de la rue, un Citoyen se dirigeant vers une voiture privée.

« Eh vous, attendez ! » Il courut vers l’homme qui le regardait arriver, interloqué. Ce dernier fut encore plus surpris quand il se retrouva assis par terre, sans ses clefs qu’il tenait à la main l’instant précédent.

« C’est une chance que les voitures ne fonctionnent pas par reconnaissance des empreintes ! » pensait Io. « Sans doute aimions-nous trop les clés de voiture pour que la Société nous en prive, nous laissant ainsi l’illusion de posséder quelque chose… »

Alors qu’il mettait le contact et débranchait la conduite automatique, il vit le chef de la patrouille qui l’avait poursuivi debout sur le trottoir, à quelques mètres à peine, le fusil à l’épaule, le visant avec soin.

« Non ! C’est ma voiture ! » s’écria le propriétaire de cette dernière en s’interposant entre le tireur et le véhicule.

Io démarrant en trombe, il n’eut pas le temps de voir si le policier possédait assez de réflexe pour dévier son arme, mais, au flash qui fit étinceler son pare-brise, il sut qu’il avait tiré…

Parmi le faible trafic routier, il n’était pas poursuivi. Il essayait de rouler le plus normalement possible, tout en appuyant sur l’accélérateur. Il était de toute façon très fréquent de voir passer de véritables bolides, la vitesse n’étant limitée que par son utilité restreinte ; il était en outre impossible d’avoir le moindre accident, car on ne pouvait s’approcher d’un autre véhicule ou du bord de la route en deçà d’une certaine distance, calculée à partir de la vitesse atteinte.

Une fois, Io doubla un véhicule de police, la peur au ventre. Mais non, il ne lui accorda aucune espèce d’attention, preuve d’un réel problème dans la circulation des informations entre les services.

Io savait ce qu’il voulait trouver, là où il pourrait trouver refuge, mais il ne parvint à destination qu’après avoir longtemps cherché, et après être passé dans tous les recoins du centre-ville. Il se gara assez loin de l’immeuble qu’il avait déniché, au cas où la voiture qu’il avait « empruntée » serait identifiée. Le bâtiment était semblable à ceux que l’on trouvait un peu partout, mis à part un détail : il n’était pas peint.

C’était un immeuble en phase finale de construction, qui ne serait pas occupé avant un certain temps, les peintres du coin étant entre les mains des services psychiatriques de la Société. Et, pour faciliter l’accès des ouvriers au bâtiment jusqu’à ce qu’ils aient fini, le système de verrouillage des portes était toujours installé en dernier ; il put ainsi entrer sans problèmes.

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