Chapitre V.5

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L'ange guérit sa blessure au bras (une créature virtuelle ne restant jamais blessée très longtemps), puis il s’élança par-dessus la plaine électronique, droit vers son frère. A mesure qu’il s’en approchait, il put mieux le distinguer : il avait l’apparence d’un énorme chien. La bête avait un pelage magnifique, qui semblait doux comme du velours, paré des couleurs mêmes du feu. Le chien était si beau qu’il en était étrangement attirant, comme si sa beauté le rendait automatiquement sympathique et joueur. Mais sa taille de géant, ses yeux de glace et sa gueule béante pareille à la forge ayant produit les longs crocs acérés qu’il laissait entrevoir, tout cela interdisait tout contact prolongé avec un pareil monstre.

« Mais pourquoi a-t-il donc choisi un chien pour représentation ? » se demandait l’ange. Il pensait deviner la réponse, mais elle lui semblait si perverse qu’il savait que seul le Réseau pouvait en être à l’origine. Car le chien symbolisait la force, le danger, c’était un gardien qui ne laisserait personne échapper à la moindre des règles qu’il faisait respecter. C’était là l’aspect bestial du chien, montré par sa gueule ouverte. Mais le chien symbolisait aussi l’obéissance à son maître, une soumission, une admiration et un respect entiers. C’était là l’aspect « serviteur » du chien, montré par la douceur de son pelage. Jamais l’ange n’aurait accepté une représentation qui montrait ses faiblesses avec autant de justesse : son petit frère paraissait certes dangereux et puissant, mais il était l’esclave du Réseau.

En outre, si cette représentation avait indéniablement forme de chien, elle semblait adopter des postures presque humaines : par exemple, elle ressemblait étrangement à un sorcier en train de concentrer une boule d’énergie au-dessus de sa tête, les pattes levées, pour la projeter sur sa victime et la réduire au néant. Et cette victime étant Io, l’ange ne pouvait le laisser faire : il se rua vers son adversaire si vite que l’air à son passage fit un vacarme tellement effroyable qu’il couvrait presque le cri de guerre que ses poumons firent jaillir de sa gorge à pleine puissance. Le bruit eut l’effet voulu : le chien détourna le regard. Un moment déconcerté, il devint ensuite fou de rage de voir une telle créature s’immiscer dans ses affaires personnelles : ce n’était pas tous les jours qu’il avait un ennemi à abattre, et l’arrivé de cet ange faiblard qui croyait lui faire peur rien qu’en criant un petit peu le fit bouillir de colère. Il fit face à l’intrus, debout de toute sa taille effrayante, et abattit de toutes ses forces la boule d’énergie qu’il destinait à l’humain, visant la créature céleste avec une précision décuplée par la rage. Mais il manqua complètement sa cible, non d’un mètre ou deux mais de toute une réalité. Car il avait essayé de déverser de l’énergie physique, avec laquelle il voulait tuer Io, sur une créature tout à fait virtuelle qui passa au travers de la boule destructrice sans le moindre dommage. L’énergie ainsi envoyée dans un but de destruction totale épargna donc l’ange et son ami humain ; mais elle provoqua de sérieux dégâts dans les ordinateurs du « petit frère », entraînant un court-circuit qui enferma ce dernier dans son monde virtuel, l’empêchant ainsi de faire quelque mal que ce soit à l’humain qui lui avait rendu visite. En revanche, avec toute son attention focalisée sur l’univers virtuel, il n’avait plus qu’une seule personne sur laquelle passer ses nerfs particulièrement éprouvés : un petit ange.


Le chien et l’ange se faisaient face, se dévisageant attentivement, chacun tentant d’évaluer les ressources de l’autre. L’ange savait qu’il avait un avantage sérieux, dans le sens ou son frangin ne le considérait que comme un vulgaire parasite, à peine suffisant, croyait-il, pour lui permettre de se défouler un peu. Mais il savait aussi que la partie allait se jouer très serrée : il avait devant le puissant chien pleinement conscience que seule une partie de lui-même était passée par Médusa : il était toujours aussi fort, mais avec bien peu de ressources, bien peu de tours dans son sac. Le combat allait s’assimiler à un duel de sorciers dans lequel il serait en pleine mesure de frapper de toute la puissance de ses poings, mais avec un nombre de sortilèges très restreint à sa disposition. Et d’après ce qu’il en savait, les sorciers se lançaient plus souvent des éclairs que des uppercuts.

Il devait donc prendre l’initiative, attaquer sans laisser de répit à son adversaire tout-puissant dans le faible espoir de découvrir une faille qu’il pourrait exploiter. Il prit donc rapidement un peu d’altitude et fonça de toute la vitesse de ses ailes droit vers la gueule du chien, son bras-épée en avant, près à le lui rentrer dans la bouche pour lui déchirer la gorge. Il se rendit à peine compte d’avoir passé, au cours de son rapide piqué, l’espèce de portail translucide que le chien avait fait apparaître dans les airs juste au dernier moment ; et il ne se rendit compte de l’effet de celui-ci qu’alors qu’il était presque trop tard, alors qu’il s’apprêtait à transpercer la gueule de son ennemi avec un bras qui n’avait absolument plus rien d’une épée. Il retira son poing fermé au dernier instant, juste à temps pour sentir le déplacement d’air provoqué par la fermeture instantanée des terrifiantes mâchoires qui avaient failli lui déchiqueter la main. Il en resta figé sur place alors que le chien rouvrait la gueule pour vociférer un aboiement d’une force telle qu’il envoya promener l’ange comme une plume dans le vent.

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