Chapitre IX.1
Imalbo s’était bien affairé pendant la nuit : la nouvelle chambre de Io était prête, et meublée dans un style rappelant à merveille une caverne au fond de la forêt. Tout semblait de beau bois et de belle pierre, avec des décors mobiles évoquant des ruisseaux gambadant sur le plancher. C’était de plus très confortable, le lit de mousse était moelleux à souhait, et en écartant un buisson on avait accès directement à la salle de bain. Là, changement total de style, on entrait à plein pied dans le futur : tout l’équipement était ultra-moderne, et les murs donnaient l’impression de se trouver dans la salle de pilotage d’un vaisseau spatial ; au plafond, des étoiles défilaient, et sur le plancher les usuels carreaux blancs avaient laissé place aux anneaux de Saturne.
Imalbo attendait Io dans la chambre. Celui-ci ne tarda pas à pousser la porte de la caverne, et il n’était vraiment pas bien réveillé.
« Alors ? s’enquit Imalbo. As-tu rêvé d’un plan nouvellement grandiose pour occuper nos existences ? »
A voir la tête de l’humain, il regretta vite sa question. S’il avait rêvé, c’était d’autre chose…
« Non, fit Io. Je ne me souviens jamais de mes rêves. Mais dès que j’avais cessé de dormir, son visage m’apparaissait déjà. Et dire que je ne sais même pas son nom…
— Tu dois l’oublier. Je ne rêve pas, et donc je ne sais pas ce que c’est de façon précise, mais même si cela peut être triste c’est sans doute une bonne chose que tu aies oublié tes rêves de cette nuit.
— Il n’y avait pas d’abeilles, précisa Io.
— Quoi ?
— Tu me dis de l’oublier, alors moi je change de sujet. Je disais que dans tout l’immeuble du Projet Contrôle je n’ai pas vu la moindre abeille de surveillance, tu peux vérifier sur les enregistrements.
— Laisse-moi voir… Tu as raison, aucune abeille. C’est étrange, car il y en a forcément eu à un moment ou un autre. Le Réseau a très certainement une excellente raison pour les avoir retirées ; sans doute va-t-il renforcer sa surveillance en certains endroits clés de la ville. On ne tardera pas à s’en apercevoir je pense, mais il faudra se montrer extrêmement prudent, et tu pourrais essayer de montrer un peu plus d’enthousiasme au lieu de dormir debout.
— Excuse-moi. Peut-être le Réseau veut-il simplement changer son système de surveillance.
— Peut-être. Ce qui était étrange dans ta mission, c’était d’ailleurs aussi la fragilité du bâtiment. Je m’attendais bien à ce que les portes cassent comme prévu, mais pour le reste tu as fait des trous partout sans le moindre problème. Et je peux te jurer que jamais tu ne parviendras à faire des trous dans mon plancher avec une arme aussi petite que la tienne, aussi puissante soit-elle.
— A mon avis, le Réseau souhaite pouvoir déplacer fréquemment ces bâtiments, dit Io. Sans doute prévoit-il une nouvelle extension de la ville.
— Ce qu’il faudrait à tout prix éviter : si la cité doublait de taille, nous ne pourrions alors vraiment avoir qu’une influence très limitée. Pour le reste, ta mission a été parfaitement accomplie : le Réseau n’a même plus connaissance de mon existence !
— Ce qui nous laisse le champ libre pour ?
— Te changer les idées, en premier lieu ! Tu proposes quelque chose ?
— Si le Réseau veut renforcer la surveillance des abeilles, il va falloir faire vite. Alors autant frapper fort : il faut s’attaquer cette fois à la tête de la Société.
— Dont nous n’avons absolument pas connaissance, remarqua Imalbo.
— Justement. Il faut qu’on trouve ce qui gouverne vraiment ce fichu monde, et quelle est notamment la place du Réseau dans tout ça.
— Enfin tu te réveilles ! J’aime ça ! D’autant que ce sera loin d’être facile, tout à fait ce qu’il fallait te prescrire. Continue donc sur ta lancée…
— Voyons voir. Comment localiser un chef ? Cette fois-ci, nous ne voulons rien détruire, juste faire un peu de repérage. Nous ne faisons rien d’interdit, donc si ces données sont protégées elles le sont sans doute seulement par les limitations des actions humaines. J’entends par là que personne n’a normalement possession d’une machine aussi puissante que les ordinateurs qui te servent à penser. Donc, nous devrions pouvoir infiltrer un autre ordinateur sans trop de problème, il n’y aura rien pour te barrer le passage…
— Si tout marche bien.
— …Il suffira alors de remonter le courant des ordres qui circulent par le Réseau. Tu peux le faire ?
— Je pense bien. Il n’y aura pas besoin d’un appareil comme Médusa qui est beaucoup trop encombrant et facile à repérer, il suffira de quelques données, d’un banal programme et d’une petite puce…
— Prévois quand même le cas où tu rencontrerais un minimum de résistance, fit Io, prudent.
— Bien sûr. Je fabrique donc tout cela, et ta tâche consistera à me connecter au bon ordinateur.
— Il faudrait celui d’une personne haut placée, mais n’importe quel dirigeant d’entreprise fera l’affaire, il y a donc largement le choix.
— Choix dont je te laisse entièrement libre. Mais trouve un bâtiment dans le centre ville, je ne veux pas d’un quelconque Projet périphérique à l’intérieur duquel tu n’aurais absolument rien à faire ! gronda Imalbo. »
Io souffla.
« Et pendant que tu cherches, continua Imalbo, je construis le nécessaire ; il te faut aussi une tenue correcte pour infiltrer facilement un immeuble comme un travailleur anodin. »
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