Chapitre XI.6
Et le procès commença à remuer. Les trois juges présentèrent à leurs spectateurs et au jury tous les éléments qu’ils possédaient sur l’histoire de Io, aussi bien au sujet des derniers jours que sur son passé sans histoires. Puis, on fit venir des témoins, qui durent prêter serment, jurer de ne dire que la vérité, et ces témoins racontèrent ce qu’ils avaient vu, confirmèrent les actes de Io. On vit aussi le propriétaire de la voiture qu’il avait dérobée, et c’est ainsi qu’il apprit que le policier qui avait voulu faire exploser ladite voiture avant que le propriétaire ne s’interpose avait blessé, et pas qu’un peu, ce Citoyen qui maintenant l’accusait lui, Io, au lieu de porter plainte contre un agent de police trop peu scrupuleux. Heureusement, le juge en chef, qui décidément n’était pas un imbécile et semblait presque vouloir l’aider, montra qu’il n’était pour rien dans ses blessures, même s’il n’alla pas jusqu’à condamner le policier. D’autres témoins vinrent, des collègues de travail, et puis les quatre individus avec qui il avait bavardé quand il était retourné à son ancienne cantine. Ces quatre-là expliquèrent comment il avait essayé de les rallier à sa cause perdue, en mentant sur son identité, et confirmèrent qu’il les avait poussés jusqu’à imaginer des défauts inhérents à la Société.
Et encore d’autres témoins… Dont des membres de l’ancien Centre d’Analyse (qui avait en fait rapidement été remis en marche ailleurs), qui certifièrent que les renseignements apportés par les abeilles et autres robots étaient bien exacts, et ne sauraient avoir été déformés.
Puis, un dernier témoin, de taille : le Réseau lui-même. Celui-ci se montra curieusement prudent, en se limitant lui aussi aux événements. Il insista surtout sur le fait qu’il avait été attaqué, via un de ses immeubles les plus récents, par une entité électronique alors même que Io se trouvait à proximité, et le Réseau exigea que l’accusé s’explique sur les prodigieux moyens dont il avait disposé.
Et c’est donc par cette question qu’on commença à interroger Io. Le juge en chef lui demanda :
« Comme l’a souligné le Réseau, la principale donnée manquant à la Cour est comment tous ces méfaits, dont, je vous le rappelle, vous avez reconnu la liste, vous ont été possibles. Il semble en effet que vous ayez disposé de moyens très peu communs : qui vous a aidé ? Car il semblerait que vous ne soyez pas le seul cancer de la Société, il y en a d’autres : expliquez-vous. »
Enfin. Io allait enfin pouvoir tenter de les manipuler un petit peu. Ils voulaient des explications ? Soit. Mais ils allaient être surpris.
« Le Réseau a vu juste. Evidemment me direz-vous, puisqu’il surveille tout et épie tout. Donc, la clé de l’histoire est là : qui m’a aidé ? Mais ce qu’il faut savoir avant tout, c’est que l’individu qui m’a aidé ne m’a pas uniquement fourni les moyens matériels d’accomplir ce que vous nommez des crimes, il m’a également fourni les preuves des erreurs de la Société, et ce sont ces preuves qui m’ont révolté et m’ont décidé à tout renverser.
— Eh bien, interrompit le juge en chef, commencez par vous expliquez sur vos moyens matériels. Pour le reste, nous verrons après.
— Oh ! s’exclama Io, ce n’est pas très mystérieux. Cet ami qui a permis ma révolte m’a tout simplement montré un endroit où une entité informatique gouvernait des machines qui pouvaient me fabriquer tout ce qu’on leur demandait. Malheureusement, la localisation exacte de cet endroit m’est inconnue.
— Allons donc ! se moqua un juge-assistant. Vous vous êtes rendu plusieurs fois dans cet endroit, vous n’allez pas prétendre que vous ignorez où il se situe ! Nous pouvons restituer la plupart de vos déplacements, savez-vous, aussi prenez bien garde à ne pas nous mentir.
— Je jure de dire la vérité, votre honneur.
— Serment que l’on ne saurait prendre en compte, précisa le magistrat.
— Et donc, je le répète, j’ignore où se trouve cet endroit. Un tunnel y menait, un très long tunnel, bouché maintenant, auquel on accédait par un trou à l’angle de mon bâtiment de travail. Et ce tunnel était si long et si sinueux que j’y perdais tout sens de l’orientation. Tout ce que je peux dire, c’est que le bâtiment en question avait quatre sous-sols.
— Et ainsi, vous vous êtes procuré des armes et de quoi survivre. Bien, nous tenterons de vérifier, mais plus tard. Maintenant, parlez-nous donc de cet ami qui vous a "poussé à la révolte". Vous avez fait allusion à des preuves. Qu’en est-il ?
— Des preuves, oui. Mon ami m’a montré comment les Citoyens n’avaient aucun pouvoir, comment ils n’étaient que des pions au sein de la Société. Nous sommes tous si surveillés que nous n’avons pas la moindre liberté, et nous sommes tellement conditionnés, depuis la plus tendre enfance, que nous ne pouvons pas nous en apercevoir.
— Ridicule ! Comment cet ami se serait-il alors rendu compte de prétendus "vices" de notre Société ?
— Je l’ignore. Je l’ai rencontré tout à fait par hasard, il m’a contacté par mon ordinateur de bureau, à mon travail : il prétendait avoir trouvé le moyen de communiquer sans que le Réseau puisse intercepter les messages envoyés.
— Et ce serait pourquoi nous ne pouvons avoir trace de votre ami. La Cour trouve cela absurde, aussi si vous voulez continuer sur cet axe de défense, vous serez obligé de nous fournir le nom de cet ami : il nous faut le retrouver.
— Je suis bien d’accord, et d’ailleurs c’est lui qui possède les preuves que vous désirez tous examiner, votre honneur. Seulement voilà, je ne le connais pas plus que ça. Il se nommait Silvère, disait-il, et c’est tout.
— Non, ce ne peut être tout. La Cour exige que vous fournissiez le moyen de retrouver cet homme ! Songez bien qu’il est votre seule chance d’appuyer votre défense insensée sur quelque chose de concret. Alors, réfléchissez !
— Eh bien, en fait il se pourrait qu’on puisse le retrouver. Voilà ce que je sais : il m’a dit que s’il avait pu détenir les preuves, et les machines pour les armes, c’était parce qu’il travaillait avec l’homme qui avait le plus de pouvoir au sein de la Société, celui qui était le plus haut placé, le chef des Citoyens. Retrouvez ce chef, et vous retrouverez mon ami. »
Les trois juges semblaient réfléchir intensément, ils n’arrêtaient pas de se concerter… Io pensait que puisque Imalbo et lui n’avaient pu trouver de chef à la Société, ces personnes-là finiraient par le dénicher. Comment quelqu’un d’aussi puissant pouvait-il se cacher aux yeux de tous ?
« La séance est suspendue ! annoncèrent les trois juges, de concert. La Cour va procéder aux recherches nécessaires afin de déterminer, dans un premier lieu, qui parmi nous détient le plus de pouvoir, et ensuite qui est l’ami de l’accusé, ce Silvère ; il va de soit que sitôt cet "ami" retrouvé, il constituera un nouvel accusé au sein de ce procès. La séance reprendra dès l’achèvement des recherches, recherches dont nous vous ferons part, évidemment, des résultats. Pour l’instant, chers téléspectateurs, une courte page publicitaire… »
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