Chapitre XII.6
Ils se retrouvèrent au niveau inférieur, mais ne perdirent pas beaucoup de temps à l’explorer : ils continuèrent la descente dès qu’ils virent que le trou béant avec quelques entailles sur les parois laissait la place à un superbe escalier en colimaçon, fait de pierres légèrement rugueuses pour éviter les glissades, sorti d’un autre âge.
Ils avaient décidé de descendre jusqu’au bout de cet escalier, et d’aviser après. Mais ils s’arrêtaient à chaque niveau pour explorer un peu les alentours. Ainsi, ils purent constater une évolution inquiétante des galeries : chaque niveau était de moins en moins éclairé. Non pas que les tuyaux sur les parois éclairaient moins, car Io et Imalbo attendaient toujours que leur présence ait produit le maximum de lumière ; ce qui se passait en revanche, c’était que la pierre prenait peu à peu le pas sur le métal. Quand ils avaient commencé à explorer les galeries souterraines, absolument tout était fait de métal, les parois cylindriques étant tapissées d’une myriade de tubes, sans doute en nickel. Mais maintenant c’était la pierre qui dominait, au sein de couloirs anguleux, et les très rares tubes subsistants étaient uniquement destinés à l’éclairage, faits d’un métal que même Imalbo ne put identifier. Et comme si cela ne suffisait pas, la pierre elle aussi changeait. Il était déjà extraordinaire pour Io d’avoir marché sur cette pierre noire, lisse et parfaitement taillée ; mais voilà que la pierre était à chaque niveau un peu plus rugueuse que précédemment, un peu moins taillée, un peu plus claire aussi, toujours plus ancienne. Et pour finir, le niveau sur lequel l’escalier s’acheva était en tous points digne de catacombes moyenâgeuses.
Comme toutes catacombes qui se respectent, il y régnait un noir total. Il n’y avait plus la moindre trace de métal, plus rien que la pierre, et la pierre éclaire peu…
« Fantastique ! s’écria Io. Mais de quand peut bien dater cet endroit fascinant ? »
Fascinant, c’était bien le mot : car même si Io ne pouvait s’expliquer pourquoi, malgré le noir et la situation plutôt désespérée dans laquelle ils se trouvaient, l’endroit lui semblait chaleureux, accueillant. Cette pierre rugueuse, dure sous la main, lui semblait d’une réalité, d’un concret rassurants. Il aimait l’atmosphère qui se dégageait de ces vieux couloirs : tout était calme, sans stress, la moindre agitation ou précipitation ne pouvait amener un individu qu’à se perdre à jamais. Io aimait tellement cette sensation de se trouver dans un autre monde, un monde qu’il ne connaissait pas, donc où il pourrait faire ce qu’il voudrait et serait enfin libre, qu’il releva la visière de son casque, voulant admirer la pierre nue sans artifice malgré la faible lueur. Mais Imalbo l’entraîna à marcher :
« On ne peut tout de même pas s’éterniser ici. Tu peux trouver l’endroit joli, d’accord, mais moi pour que j’y sois à l’aise il faut que je m’y trouve de mon plein gré : quand on aura trouvé une sortie, je profiterai des lieux. »
Ils se remirent en route, Io marchant non pas comme sur un nuage, mais avec le bonheur d’enfin sentir le contact avec le sol, de poser ses pieds sûrement et sans regrets. D’ailleurs le sol n’était plus régulier, éternel, mais montait ou descendait, avec des creux et des bosses qui lui communiquaient la nature de la pierre.
Une expérience assez exceptionnelle, en outre, du fait de l’absence totale de lumière en dehors de leurs torches, fut de courir parmi ces galeries. Même avec l’augmentation de luminosité fournie par sa visière, on n’y voyait vraiment pas grand-chose, et Io trouvait cela très excitant. Mais ils marchaient depuis très longtemps déjà, et il leur fallait faire quelque chose.
Puis, de temps à autre, ils commencèrent à tomber nez à nez avec des portes. De vieilles, très vieilles portes, comme on n’en faisait plus : très lourdes, et en bois, mais un bois qui ne subirait jamais les outrages du temps. Elles étaient renforcées par des lanières en métal ; et de métal aussi étaient les charnières et les serrures. Mais ces dernières n’étaient jamais verrouillées.
Cependant, comme tout événement finit par se produire pour peu qu’on ne l’attende pas, ils finirent par trouver une porte refusant de s’ouvrir.
« Enfin ! s’écria Imalbo. Un accès interdit ! La sortie est sûrement de l’autre côté.
— Certainement. J’espère qu’on pourra revenir ici », dit Io.
Les serrures anciennes étaient certes fort belles, mais elles n’avaient aucune chance de résister au crocheteur automatique dont avait pensé à se munir Imalbo. Il poussa ensuite la porte massive, qui pivota sur ses gonds sans le moindre crissement. Au-delà, un couloir, très long, si long qu’ils n’auraient pu en voir la fin avec la seule lumière de leurs torches. Seulement, tout au loin, il y avait une autre lumière, vive, chaude, et mouvante.
Ils avancèrent prudemment.
Puis ils perçurent un peu mieux la fin du couloir : il donnait sur une pièce toute ronde, assez grande, de briques ocres, presque rouges sous le feu. C’était d’elle que provenait la lumière : des torches ! Eh oui, cette lumière étrange, qui semblait danser au fond du couloir, provenait des feux d’une dizaine de torches réparties tout au long des murs ronds de la salle. Mais toutes ces torches n’éclairaient pas si bien le couloir : les murs qui côtoyaient Io et Imalbo rougeoyaient de façon satisfaisante, mais à leurs pieds, le sol restait au noir. C’était à cause d’une ombre, projetée par les torches et qui provenait de la fin du couloir, dans la salle ronde.
Ils avancèrent encore… L’ombre provenait d’une colossale créature, qui se tenait immobile au centre de la pièce, et qui les toisait du regard. Ses visiteurs se tenaient alors juste à l’entrée de la pièce, à l’entrée de l’antre… Il y avait une porte de bois de l’autre côté.
« Sûrement un robot, affirma Imalbo. Regarde : les torches se reflètent sur son corps de métal.
— Impossible, rétorqua Io : il respire, regarde sa poitrine !
— En tout cas, il n'a pas l’air gentil. »
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