Chapitre XIII.5
» Je dois t’avouer avoir ressenti une vive terreur à la vue de mon adversaire : car il me restait encore tant de choses à explorer, tant de secrets à percer, qu’il était hors de question de quitter le Réseau à cet instant. Pourtant, rester pouvait signifier ma mort, et ainsi entraîner la tienne, ce que je ne pouvais supporter. De plus, le combat m’était absolument impossible : seule la fuite s’offrait à moi. Alors, pour récupérer la moindre information, il me fallut d’abord distancer la machine démoniaque, puis me cacher, être sûr de l’avoir semée, et enfin je pouvais tenter de localiser quelque chose d’intéressant. Mais jamais mes recherches ne pouvaient durer assez longtemps, car toujours il me retrouvait (je suppose qu’il avait demandé l’aide d’autres programmes) et je devais retourner me cacher, les mains vides.
» Le distancer n’était de plus pas une mince affaire. Il était incroyablement rapide, et ce n’était qu’en me plongeant au cœur des inextricables réseaux de données et en y changeant constamment de direction que je parvenais à le perdre. Cependant, pour localiser des informations, pour tenter une recherche précise, j’étais obligé de sortir de ce réseau, de "remonter à la surface", même si tu dois avoir du mal à te représenter ce monde virtuel comme ayant un haut et un bas. Saches qu’une fois à l’intérieur, il est aussi régi par des lois assez semblables à celles de la physique et des mathématiques ; seulement, ces lois ne sont pas immuables et le Réseau peut les changer à tout instant.
» Mais pour le moment, les données étaient comme un sol truffé de galeries, en fait comme un sol qui aurait été construit avec des fils de fer enchevêtrés. Les programmes du Réseau vivaient à la surface, et descendaient dans le sol quand ils avaient besoin de données. Autrement, ils établissaient des lignes de connexion pour être tenus informés. Et c’est donc dans ce sol surréel que je devais évoluer. J’en sortais vivement pour localiser une zone que je pensais pouvoir s’avérer intéressante, puis dès que mon poursuivant montrait son nez, je replongeais dans le sol, et alors il me fallait réussir à le perdre sans me perdre moi-même, ce qui était loin d’être aisé : j’échouai à plusieurs reprises, me retrouvant condamné à refaire surface pour m’orienter, m’exposant à chaque fois à tous les dangers que la machine infernale pouvait avoir rassemblés autour de ma sortie, si jamais elle avait prévenu ses petits copains. Ce fut donc une immense partie de cache-cache, dans un univers labyrinthique.
» Ce que je recherchais, avant tout, c’était naturellement l’histoire du Réseau, comment il avait pu s’établir. Mais à chaque fois que par un miracle inespéré je parvenais à rejoindre une des zones que j’avais repérées, je n’y trouvais rien que de très banal. Je récupérai quelques informations sur divers projets du Réseau, surtout des allusions assez vagues à un projet spatial, mais rien d’autre. Alors, je commençai à m’énerver. Je pense savoir garder mon calme habituellement, d’autant plus que cette fois, la peur que m’inspirait mon poursuivant et la mort qu’il amenait avec lui auraient dû réprimer toute action de folie. Mais non ! Je sortis des galeries de données, et me mis à parcourir le Réseau dans tous les sens, aussi vite que je le pouvais, de façon à couvrir le plus de surface possible, et de localiser, enfin, l’endroit où étaient cachées ces précieuses informations. Et quand le programme de surveillance fut presque sur moi, je ne retournai pas me terrer dans mon trou. Je l’esquivai d’un geste habile, et fonçai dans une autre direction, reprenant mes recherches. Evidemment, il eut tôt fait de se ressaisir et me rejoignit en peu de temps ; mais je l’esquivai de la même manière, et cette fois, m’attardai un peu sur lui : je commençai à lui tourner autour, faisant semblant de m’approcher à chaque instant, mais évitant toujours le coup mortel au dernier moment. Il tournait de façon frénétique, essayant d’anticiper mes mouvements mais échouant pitoyablement à chaque tentative, tellement je les rendais désordonnés. Je pense avoir réussi à produire chez lui l’équivalent d’une bonne crise de nerf, car à mesure qu’il se mouvait de plus en plus rapidement, de petits éclairs bleus commencèrent à zébrer sa surface d’un profond blanc phosphorescent. Pour finir, je m’écartai totalement, et au lieu de se jeter à nouveau sur moi, sa crise atteignit son paroxysme, et dans un dernier éclair de lumière, il se fragmenta, pour reproduire les trois programmes de vapeur violette qui s’étaient unis pour le former. Apparemment, en voulant me frapper alors que je leur tournais autour, ils n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord, leur division résultant de leur énervement. Ils étaient pourtant tout à fait unis pour continuer à me poursuivre et à me mettre en pièce, mais ils avaient libéré beaucoup d’énergie en mettant terme à leur fusion, et se trouvaient affaiblis, ralentis. Moi, en revanche, je repartis de plus belle.
» Bien sûr, ils étaient constamment derrière moi, et plus souvent encore autour de moi. Mais je parvins à les esquiver tout en gardant un cap à peu près droit, et pus malgré eux élargir le champ de mes observations. Enfin, je parvins à localiser un endroit où les réseaux de données étaient si touffus que la zone en était démesurément foncée et faisait tache dans le paysage : sûrement un endroit où tout était fait pour y compliquer l’accès ! Arrivé à proximité, je replongeai dans le sol, semant une fois de plus mes trois poursuivants, et fonçai vers la zone. Je l’explorai alors dans ses moindres recoins et m’emparai avidement de tout ce qui me semblait utile. Quand je n’eus plus rien laissé au hasard, mes chers amis finirent par me rejoindre, et je m’enfuis, définitivement.
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